Faire Sillons / Là où se trouve la forêt - deux expositions d'Elise Peroi
La première exposition, présentée dans le très bel espace du Centre Tour à Plomb, s’intitule « Faire sillons » et est consacrée aux jardins et aux champs. Elise Peroi y a installé 18 œuvres de nature et de taille différentes, tapis, tapisserie, aquarelles et objets. Les pièces les plus grandes sont des tapis de laine et de coton, qui évoquent le jardin, tant dans leur représentation, par les différentes scènes et paysages qu’ils figurent, que dans leur disposition. Inspirée par les écrits du penseur-jardinier Gilles Clément et ses différents jardins (jardin de résistance, jardin en mouvement, jardin planétaire, etc.), l’artiste a mis en parallèle l’acte de tisser et le travail de la terre. Tous deux consistent à tracer des sillons, et à entrecroiser des matières, tous deux sont des œuvres physiques, des travaux qui demandent de la patience et du temps. Les tapis sont disposés à travers l’espace, certains sont encore roulés à moitié, d’autres sont encore inachevés ou déjà déconstruits.
Comme dans un jardin, la visite consiste à tourner le regard vers le sol, mais aucune direction, aucun sens n’est imposé. On tourne autour des pièces en se penchant sur le travail autant que sur le paysage qu’il figure. On explore le jardin en appréciant son élégance, son harmonie, sa nature parfois sauvage, mais également pour prendre la mesure de l’effort et de l’application qu’a requis son élaboration. Ici aussi l’ouvrage est à la fois un art et une besogne. Chaque « parcelle » a demandé des heures, des jours, et les pièces qui les complémentent soulignent la part laborieuse des deux activités : esquisses à l’aquarelle, canevas, peignes pour l’un, graminées, graines et râteau pour l’autre.
Trois grandes vasques rappellent ensuite que l’artiste a conçu ses œuvres pour résonner avec d’autres formes artistiques. Plusieurs de celles-ci ont été élaborées pour ou durant des performances qui la faisait interagir avec l’espace ou en dialogue avec d’autres artistes, musiciens, danseuses, ou directement avec le public. Utilisées dans des performances précédentes (comme « îlot » aux Halles de Schaerbeek), ces vasques sont remplies de souvenirs, de graines, de « résidus » des gestes passés. L’exposition « Faire Sillons » sera elle aussi accompagnée d’un programme qui élargit le cadre de l’exposition avec deux conférences – de Camille Laura Villet le 26 juin et de Christine Van Acker le 10 juillet – ainsi qu’une capsule sonore d’Aliette Griz, invitée par les Midis de la Poésie à imaginer une déambulation qui relie les deux lieux d’exposition, la Tour à Plomb et le Botanique, et les deux sujets, le jardin et la forêt.
Si la première exposition se veut avant tout horizontale, celle du Botanique se présente au contraire comme verticale, les tapisseries sont ici droites, tendues au mur ou sur leur cadre. Le paysage s’aperçoit seulement de loin, la forêt disparait lorsqu’on s’en approche pour devenir densité, emmêlement. Le bois se fait feuillage et jeu d’ombre, la perspective du tableau se perd dans les fils du tissage et le spectateur s’immerge dans les entrelacs du lin et de la soie. Les grandes pièces, de panoramas qu’elles étaient de loin, deviennent, vues de près, des microcosmes complexes où les superpositions des matières, des couleurs, des textures, captivent le regard et fascinent, hypnotisent.
Admiration pour le travail représenté, séduction du détail, mais aussi plaisir ambigu de l’incomplet, du fragmentaire. Au centre de l’espace, quatre saisons de forêt se déploient sur une trame brisée, déchirée par endroits, laissant apercevoir l’envers du décor, le cadre, le travail, la matière. La béance révèle la construction architecturale de la tapisserie, le textile s’ouvre et se détricote. Comme dans une tapisserie mythique, élaborée pour mieux être démantelée par la suite, on entrevoit la minutie de ce qui a été fait dans ce qui a été défait. Sans un pas en arrière, le paysage figuré est inutile, invisible. Et quand on revient, c’est avec la tentation de faire le tour, d’aller voir à l’arrière comment ça marche, comment ça tient. Selon l’adage ancien qui dit qu’ « un ouvrage doit être aussi beau à l’envers qu’à l’endroit », les tapisseries d’Elise Peroi, comme ses tapis, demandent à être contournés, retournés, pour en percevoir le processus, le cheminement.
Depuis la fin de ses études à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, Elise Peroi a développé une œuvre qui veut « concilier et brouiller les interfaces présents entre l’artisanat, la performance et les arts plastiques en général ». Cette démarche l’a conduite à développer des performances collaboratives qui ont été présentées en Belgique, en Italie, en France et à Hong Kong. Les pièces proposées à travers ces deux présentes expositions ont été conçues entre 2018 et 2021.
(Benoit Deuxant)
À l’occasion de ces deux expositions, un livre consacré au travail d’Elise Peroi, intitulé "Ce qu'il reste de gestes", est paru aux éditions CFC
Exposition " Faire Sillons " du 10.06.2021 au 10.07.2021
au Centre Tour à Plomb, 24 rue de l’Abattoir 1000 Bruxelles
(ouvert de 10h00 à 21h00 du lundi au samedi, entrée gratuite)
Exposition " Là où se trouve la forêt " du 27/05/2021 au 11/07/2021
Galerie du Botanique, 236 rue Royale 1210 Bruxelles
(ouvert à partir de 12h, entrée 3 euros)
(crédit photographie : Fabonthemoon)