Emmener les enfants dehors: comprendre les enjeux de l'éco-formation
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Maîtresse de conférence à l’Université François Rabelais à Tour et très active dans le secteur de l’éducation à l’environnement, Dominique Cottereau s’efforce de faire coïncider son mode de vie et son travail avec le besoin qu’elle a toujours ressenti, vivant proche de la mer, d’être à l’air libre et de bouger. Convaincue que le contact avec la nature est également une nécessité pour l’épanouissement de l’individu ainsi que pour l’avenir de la société et de la planète, elle s’emploie à réhabiliter l’apprentissage sur le terrain, en extérieur, fondé sur les techniques de corps et à la sensorialité originelle de chacun.
La proximité de la mer
" J’ai grandi grâce au dehors. Je me suis construite grâce aux arbres, à l’eau, aux oiseaux, à l’estran. — "
Votre parcours professionnel reflète-t-il l’histoire de votre rapport avec la nature et celle de votre approche de la pédagogie?
Tout à fait, j’en suis arrivée à cette approche de l’éducation par et dans la nature après avoir été moi-même une enfant qui aimait « le sirop de la rue et des chemins». Il me fallait des arbres à grimper, des rivières à poursuivre, des forêts à explorer et surtout la mer et ses abords à investir. J’ai grandi grâce au dehors. Je me suis construite grâce aux arbres, à l’eau, aux oiseaux, à l’estran et à ce que ma vitalité corporelle pouvait faire avec eux. Je n’en avais alors pas conscience. Je savais seulement qu’ils m’aidaient à assumer la difficulté de vivre l’école et ses pédagogies alors très autoritaires, parfois humiliantes.
Ce besoin de dépense physique m’a
amenée à choisir les études et le métier d’enseignante en éducation physique,
pendant que je continuais de pratiquer des activités de pleine nature.
L’enseignement universitaire m’a ouvert la réflexion sur l’éducation. Qu’est-ce
qu’éduquer ? Quels sont ses courants, ses penseurs, ses méthodes ? Je
découvrais alors que l’on n’était pas obligé de souffrir pour apprendre, qu’il
y avait d’autres moyens pour accompagner un être dans sa croissance, son
épanouissement, son intégration au monde. Je m’investissais également dans le
milieu associatif de l’environnement et à l’âge de 25 ans, on me proposa
d’intégrer une équipe d’animation de classes de mer. Je troquai alors avec
bonheur mon survêtement de prof contre les bottes et le ciré, les stades et les
gymnases contre le plein vent marin, ses odeurs d’iode, ses cris de goélands,
ses horizons infinis.
J’étais attirée par les écoles alternatives, les classes de mer étaient pour moi un moyen de faire de l’éducation autrement. En parallèle, je reprenais des études en sciences de l’éducation pour faire de mon nouveau métier une pratique réflexive. Je voulais comprendre ce qui se trame entre un enfant et le bord de mer selon les pédagogies qu’on lui donnait à vivre. C’est là que j’ai pris conscience de la part formatrice de la nature dans la construction de nos personnalités et dans la relation que l’on établit ensuite avec ses milieux. J’ai lu avec avidité Gaston Bachelard et ses ouvrages sur l’imagination de l’eau, de l’air, de la terre et du feu. J’ai découvert le travail de Gaston Pineau sur l’écoformation, concept qu’il venait d’inventer pour traduire ce processus éducatif au contact direct avec les éléments. Après avoir rédigé et soutenu une thèse sur cette question appliquée aux classes de mer, je suis devenue formatrice, accompagnatrice de projets pour mettre en application et transmettre toutes ces notions découvertes.
À l'écoute du corps
"Comme on a cultivé les tomates sous serre, on a mis les humains sous cloche. — "
Le corps occupe une position centrale dans votre projet éducatif. Cependant, il semble qu’on en a jamais autant parlé qu’aujourd’hui, de façon précise et chiffrée : règles d’hygiène, recommandations nutritionnelles, suivi des vaccins, injonction à pratiquer un sport, etc. Le corps, selon vous, se trouve bien loin de ces considérations. Vous parlez d’un corps habité, d’un corps ressenti. Or celui-là, vous dites qu’on le néglige en ne lui apportant pas ce dont il a besoin. Il manquerait d’espace, d’air, de mouvement, en un mot : d’expériences sensorielles. Comment l’extrême souci porté à la santé peut-il être compatible avec une telle négligence de ce qui serait pourtant essentiel à l’épanouissement de l’individu ?
Ce manque vis-à-vis du corps relèverait-il aussi d’une dimension symbolique qui échapperait aux professionnels de la santé ?
Vous avez raison, on n’a jamais autant mis le corps en
avant. Le corps est objet de mille expériences, sollicitations, significations.
On l'habille, on le dénude, on le rajeunit, on le remodèle, on le met en scène,
on le cultive, on le blasonne. Mille métiers sont dédiés au corps. Mais il
s’agit souvent d’un corps objet, conçu tantôt comme une parure, tantôt comme
une machine. Cette acception du corps que nous avons aujourd’hui a suivi
l’évolution de notre société sur la pente d’une quête de rationalité exclusive
de tout autre rapport au monde. Dompter le sauvage de la nature, de notre
nature était devenu une injonction. Le modèle séparatiste du corps et de
l’esprit, et par similitude de la nature et de la culture, de la rationalité et
de l’imaginaire, a la vie longue et la peau dure. Et dans le champ éducatif
encore plus.
Il nous faut pourtant « désobjectiver les objets », intimait Bachelard, faute de quoi « le monde s'éparpille en choses disparates, en solides immobiles et inertes, en objets étrangers à nous-mêmes ». Les recherches en neurosciences les plus récentes ont montré combien la mobilité et l’usage actif du corps facilitaient la créativité, la mémoire, la bonne humeur, la concentration. Pour autant les jeunes sont maintenus dans des salles de classes étriquées, derrière des bureaux avec obligation d’être le plus immobile possible. Pire, en éducation à l’environnement, les séances s’écourtent, le manque de moyens financiers impose aux animateurs de venir faire la leçon dans les classes. Comment être éduqué à l’environnement sans aller DANS l’environnement ? Notre société a pris de mauvaises habitudes l’éloignant de la nature, parce qu’on s’y salit, parce qu’il y fait trop froid ou trop chaud ou trop humide, parce que la rue est dangereuse. Comme on a cultivé les tomates sous serre, on a mis les humains sous cloche… logements sur-éclairés et sur-chauffés ; véhicules qui nous emmènent chercher le pain, à 50 mètres ; salles de sport remplaçant le plein air où l’on court sur des tapis roulants, où l’on grimpe sur des murs en plastique…
Le lien de l’éducation à l’environnement avec la santé n’en est qu’à ses débuts. Les représentations communes sont encore que notre métier est d’un côté apprendre à reconnaitre les petites bêtes (et les grosses), soutien à l’enseignement des sciences de la vie et de la terre, et de l’autre à intégrer des écogestes. Les approches sensibles sont encore considérées comme de joyeux moments introductifs ou récréatifs à une éducation plus sérieuse qui se pencherait sur les savoirs scientifiques. Or le sens vient par les sens, il n’est rien dans l’esprit qui n’ait d’abord transité par les sens.
Je ne saurais pas dire si la dimension symbolique du
corps échappe aux professionnels de la santé, ce qui est certain c’est qu’elle
échappe aux professionnels de l’éducation.
Quelles formes concrètes prend votre travail pédagogique ?
J’interviens aujourd’hui dans de multiples domaines de l’éducation à l’environnement, de son histoire à ses courants en passant par ses processus pédagogiques et ses dispositifs d’évaluation. Je pense que votre question concerne ma pratique autour du corps. Eh bien, elle se déroule en trois types de pratiques complémentaires :
- J’anime des sorties terrain qui ont pour objectif de se focaliser sur la rencontre avec le lieu, son appropriation, et la construction d’un lien sensible. Ceci s’effectue au travers de mille et une activités d’éveil sensoriel : écouter, contempler, observer, sentir, toucher, goûter, fermer les yeux, marcher en silence…
- Souvent de façon complémentaire et évolutive avec la précédente, j’insère des ateliers en pédagogie de l’imaginaire, usant de pratiques issues de la pédagogie artistique : écriture, land art, sculpture, dessin, en offrant là encore des outils et des clés d’entrée dans l’expression.
- J’anime enfin, auprès des adultes seulement, des ateliers de réminiscence de souvenirs liés à l’environnement. Il s’agit d’explorer la part que l’environnement a pu prendre dans la vie des personnes. Par exemple, faire l’inventaire de nos attachements : quels milieux, quels paysages, quels éléments nous parlent, nous ressourcent, nous rassurent ? Quels sont nos saisons, nos météorologies ? Quelles odeurs de nature gardons-nous dans nos mémoires ? Quels sons ? Quelles ambiances ? Qu’est-ce qui nous facilite la mise en relation avec la nature ? Je propose aussi, sur une ligne historique personnelle, de se remémorer et de noter des souvenirs prégnants liés à l’environnement. J’invite encore à dessiner ou à cartographier, finement, un lieu signifiant que la personne a investi longuement ou fortement. Lorsqu’on a amené à la lumière et qu’on a nommé l’importance que ces milieux, ces éléments, ces êtres appartenant au monde non humain avaient dans nos développements personnels, alors on ne les regarde plus de la même manière. Ils intègrent notre champ de conscience comme des êtres d’intérêt.
De l'empathie
"Je considère avec la même attention et le même respect de leur existentialité tout ce qui compose la nature. — "
Les rapports avec le monde animal ont-ils une place dans votre projet ?
On peut dire qu’ils ont la même place que n’importe quelle autre espèce vivante ou minérale de la Terre, ayant leur propre vitalité, leurs propres relations éco et socio-systémiques. Ils font partie de ces êtres avec lesquels nous pouvons créer des liens de parenté dans le juste milieu entre la fusion et l’indifférence. J’aime moi-même à regarder les oiseaux voler, ils nous apportent toute leur légèreté et leur liberté. J’aime à écouter le braiment des ânes, le meuglement des vaches, le bourdonnement des insectes. J’aime être surprise au passage d’un chevreuil, au croisement d’un renard. En fait je considère avec la même attention et le même respect de leur existentialité tout ce qui compose la nature. Au cours des ateliers que j’anime, ils prennent leur place dans les témoignages des participants. Quand tout ce travail d’éveil sensible à la richesse du monde auquel on appartient est effectué, il n’y a plus de hiérarchie entre ce que l’on doit respecter et ce qui nous indiffère. On ne peut pas entrer en relation avec la multitude vivante de la planète mais on peut accorder une valeur à tous à égale importance.
Comment un tel projet s’articule-t-il avec la réalité de l’exploitation massive et de la destruction de l’environnement ?
Mon projet ne vient pas s’articuler avec, il est fait
pour le contrer. C’est un projet d’éducation donc de changement, voire même de
transformation sociale. C’est parce que l’environnement est devenu un lointain
indifférencié, sur-objectivé qu’on est entré dans ce programme de destruction
massive. La conscience du lien de parenté n’existe pas. Une rupture profonde
s’est creusée avec le monde non humain, nous faisant oublier jusque nos
éco-dépendances biologiques : nous avons besoin d’une eau pure à boire, d’un
air sain à respirer, d’une terre riche pour nous nourrir, d’une énergie propre
et renouvelable pour maintenir la durabilité de la vie. Le projet que je mène
tente de renouer ces liens distendus, de transformer nos rapports d’usage « en
rapport de sage » comme l’écrivait Gaston Pineau. Développer l’attention à
l’autre non humain, être dans une présence qui l’accueille comme on accueille
nos amis, notre famille lorsqu’ils viennent nous visiter, tout en les
reconnaissant avec leurs propres singularités, sans excès d’anthropocentrisme ;
l’hypothèse étant que sur ce lien peuvent se construire un sentiment de
solidarité, un sens de la responsabilité et une nouvelle éthique du vivre
ensemble.
Quand vous parlez de changement, croyez-vous qu’il y ait encore suffisamment de désir dans l’espèce humaine pour que ce rapprochement avec la nature prenne une autre forme que celle, minoritaire, de l’utopie?
Je ne suis pas visionnaire, mais je constate des frémissements de changement. Nous sommes de plus en plus nombreux à reconsidérer la place de l’environnement dans la vie sociale. Les villes ne sont surement pas amenées à disparaitre, pas de retour d’une vie à la campagne pour tous. Mais ce sont les villes qui accueilleront une nature de plus en présente. La Terre ne sera plus jamais ce qu’elle fut car la vie humaine prend une ampleur considérable et il nous faudra apprendre à inventer une autre façon de l’habiter, en la ménageant.
Par ailleurs, quand on est éducateur on est obligé d’avoir une vision positive du développement humain. Comment aider celui qui grandit à regarder l’avenir de façon positive avec le désir de participer à sa construction si l’on n’est pas soi-même dans cette dynamique qui nous pousse à nous lever tous les matins avec l’envie de découvrir ce que le jour nouveau a à nous offrir. C’est mon cas, je travaille pour cela et le bon côté des êtres me fait penser que tout est possible. Cela ne s’opère pas facilement bien sûr. Nous sommes dans une tension permanente, tiraillés entre ce que l’on voudrait faire et ce qui nous est impossible de faire, tiraillés entre notre subjectivité et les contraintes objectives du réel. Mais c’est dans cette tension que l’on se construit et que l’on construit l’avenir. C’est dans cette tension que l’humanité a fait son chemin. Changer de paradigme demandera du temps, sauf à croiser la catastrophe qui nous obligerait au rebond vital. Mais à semer des petits cailloux on récolte parfois de bien jolies fleurs. J’en ai croisé des personnes qui avaient participé à l’une ou l’autre de mes actions et qui venaient me raconter, quelques années plus tard, combien cela avait transformé leur regard qu’ils portaient sur l’environnement.
Trois imaginaires
"L'imagination est une de nos fonctions éco-logiques, c’est-à-dire de la logique de l’habitat, car elle est de l'ordre de la relation vivante et vitale entre l'humain et tout ce qui l'entoure, perceptible ou non perceptible. — "
Vous sentez-vous proches de courants d’éducation alternative qui valorisent également l’expérience tels que, pour citer un des plus célèbres, les travaux de Maria Montessori ?
Absolument. Je le disais tout à l’heure, j’ai toujours
été attirée par les courants éducatifs alternatifs, des plus libertaires aux
plus organisés (sauf les courants totalitaires). J’ai grandi dans le sillon des
années 68 et, à l’époque, les écoles différentes fleurissaient de partout, avec
plus ou moins de bonheur, avec plus ou moins de réussite. Celles qui n’avaient
pas de socle réflexif solide disparaissaient, les autres étaient souvent
conduites par des personnes qui devinrent des figures de la pédagogie. Vous
citez Marie Montessori, c’est grâce à elle que nos écoles maternelles ont gardé
toute leur diversité d’apprentissage, offrant au petit enfant de quoi
développer son intelligence en usant de ses sens, de sa motricité et de la
multiplicité des expériences. Mais on peut aussi nommer Jean Piaget et ses
travaux sur la psychologie de l’enfant, Célestin Freinet et sa classe
coopérative, Vygotsky et la nécessité de faire travailler les enfants en
groupe, John Dewey et son fameux « doing by learning ».
Et puis il y a Jean-Jacques Rousseau et son Émile qui apprenait en pleine nature, au contact de la forêt. C’est de lui qu’est né le concept d’Ecoformation. Rousseau écrivait : nous avons trois sortes de maitre : notre nature personnelle, les autres et les choses. Par les choses il entendait ce que j’appelle aujourd’hui le monde non humain. Gaston Pineau en a déduit une théorie tripolaire de la formation qui articule dans notre éducation permanente, tout au long de la vie, autour de ces trois formes que sont l’autoformation (par soi-même), l’hétéroformation (par les autres) et l’écoformation (par les choses). Grandir et vivre dans un milieu participe de notre formation personnelle tout autant que nos parents, nos enseignants, la société. La différence c’est que nous n’en avons pas conscience et nous ne le considérons donc pas comme essentiel dans le champ éducatif.
Qu’en est-il, au final, du rôle que joue l’art dans notre rapport à la nature ? Nous éloigne-t-il du réel ou reste-t-il ce précieux adjuvant à nos expériences grâce auquel nous pouvons sans cesse aiguiser notre regard et le replacer dans une dimension universelle ?
Avec ce que je vous présentais de mes ateliers vous avez compris que pour moi l’art participe de la construction de notre rapport au réel. Il ouvre le champ des possibles, il façonne nos images mentales leur donnant de la souplesse, de l’ouverture, de l’amplitude. Il nous aide à sortir des sentiers battus, à regarder le monde avec d’autres lunettes. Il est issu de cette fonction symbolique indispensable au fonctionnement de l’être humain. La conscience humaine ne peut tout lire, tout expliquer, tout comprendre. D'où l'on vient, où l'on va, qu'y a-t-il dans l'infiniment grand et dans l'infiniment petit, pourquoi les choses sont ce qu'elles sont ... toute société, pour assurer sa perdurance dans une certaine tranquillité, invente des systèmes de réponses. L’imaginaire, cet ensemble d'images mentales organisées en notre esprit en un système d'interprétation, établit des liens et du sens entre le moi et le non moi, entre une société et l'univers. Le mythe, la religion, la philosophie, la science, l'art qui se développent au sein d'une culture sont les moyens de traduction d'un réel qui, toujours, lui échappe. On peut même dire que l'imagination est une de nos fonctions éco-logiques, c’est-à-dire de la logique de l’habitat, car elle est de l'ordre de la relation vivante et vitale entre l'humain et tout ce qui l'entoure, perceptible ou non perceptible. Elle met du sens sur le monde, elle traduit, interprète, insère chaque être humain au tissu complexe et inquiétant de l'existence.
En outre, vous avez raison, cette fonction symbolique, partagée par l’humanité tout entière en tant qu’espèce, nous renvoie vers un universel. Le sociologue Gilbert Durand l’a magnifiquement montré, tout ce qui dans la nature s’élève (arbres, oiseaux, ciel, flèches…) a façonné notre imaginaire héroïque car fondé sur notre geste vital de redressement ; tout ce qui dans la nature enferme (grottes, nids, sous-bois, fond de l’eau…) a façonné notre imaginaire mystique, celui par lequel nous cherchons les lieux de repos, de refuge, de protection car fondé sur notre geste vital d’avalement ; enfin tout ce qui dans la nature tourne autour de cycles et s’écoule (les saisons, la lune, la végétation, le cours de l’eau…) a façonné notre imaginaire synthétique car fondé sur notre geste vital de reproduction. L’art en est un mode d’expression qui peut nous aider à maintenir cette relation universelle avec la nature.
Concernant l’éducation que reçoivent les enfants, vous épinglez, bien sûr, le caractère essentiellement abstrait de ce que l’on enseigne, mais aussi les lieux où ce savoir est dispensé : la salle de classe, la chambre et l’ordinateur. A cet égard, le monde adulte n’est pas moins renfermé que celui des enfants. Aussi, lorsque l’on parle comme vous le faites d’éduquer les sens, peut-on rêver d’un projet commun transgénérationnel et social, capable de rallier diverses tranches d’âge et des univers sociaux éloignés ?
On peut faire plus que le rêver, on tente déjà de le mettre en œuvre. Les structures d’éducation à l’environnement le font aujourd’hui. Certaines, plutôt que de continuer de travailler auprès de chaque groupe social invente des projets de territoire où ce qui rassemble c’est le lieu et non l’âge et l’appartenance. Moi-même j’ai participé à des projets de ce type. Dans un contexte d’écriture d’un projet concerté pour un territoire nous (une équipe d’artistes, de médiateurs et d’animateurs) avions mis en place une démarche d’accompagnement des habitants les invitant à exprimer le lien subjectif qu’ils ont au territoire et la vision d’avenir qu’ils aimeraient lui donner. Enfants, personnes âgées, adultes, jeunes et moins jeunes, agriculteurs, ostréiculteurs, commerçants, élus, enseignants… nous allions auprès d’eux les faire parler, les filmer, leur faire écrire de la poésie, leur proposer un appareil photo avec pour consigne de choisir trois ou quatre lieux affectivement importants à montrer. Nous rassemblions toute cette matière et la leur avons restituée sous forme d’une installation artistique organisée un jour de fête, révélant l’esprit partagé des lieux, ceci conjointement à la restitution de projets politiques construits en parallèle au cours de réunions de concertation. Les élus ont eu du mal à accepter toutes les propositions, ils ont aussi besoin qu’on les forme à ce partage de construction de l’avenir mais on y arrivera… Je ne serai moi-même peut-être plus de ce monde, mais j’en suis à l’âge de la transmission et il y a aujourd’hui de jeunes animateurs qui prennent largement la relève.
Propos recueillis par Catherine De Poortere, décembre 2016
Une version plus courte de cet article a paru dans le Détours - Nature Culture #2 (janvier-février-mars 2017)
Échos d'images : le site de Dominique Cottereau