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Entretien avec Solange Wonner

Solange Wonner

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publié le par Alicia Hernandez-Dispaux

Après une quarantaine d’années passées au service du Centre culturel de Wolubilis, Solange Wonner tire sa révérence. Retour sur un parcours professionnel audacieux et indissociable de la personnalité de cette passionnée d’arts.

- 42 ans au service du Centre culturel de Wolubilis et Directrice, depuis 1998  c’est bien cela ? Bientôt vous prendrez votre pension, dans quel état d’esprit abordez-vous ce (nouveau) départ ?

J’essaie de rester positive parce que je vais apprendre d’autres choses dans mon espace-temps qui sera à présent beaucoup plus libre.

Indépendamment de cela, il est vrai que j’ai tout vu grandir ici. À la différence de certains services culturels communaux, à Woluwe-Saint-Lambert il y avait déjà un embryon d’asbl au sein du service culturel communal.

Lorsque j’ai été engagée, je sortais de l’université et je venais de passer l’examen d’animateur organisé par le Ministère de la Culture. Je suis arrivée en 1976, toute fraîche, avec mes idées, avec mes bouillonnements et mes envies de bouger ! C’est avec Denise Thiel que nous avons doucement mis en place ce que l’on appelait à l’époque «  le foyer culturel ».

En 40 ans, nous sommes donc passés d’un simple bureau au sein de la maison communale, au Centre culturel de Wolubilis comme il existe actuellement. En 1981, le bourgmestre de la commune, Georges Désir, a eu une idée géniale ! Il a récupéré pour un franc symbolique tous les pavillons de l’Athénée royal qui déménageait  et il nous a ensuite proposé d’occuper avec toutes les associations socioculturelles qui n’avaient pas de toit ces espaces que nous avons  baptisé « Les Chantiers du Temps libre ». Ces espaces verts étaient  très bucoliques: verger, pelouses, arbres. Grâce à ces nouvelles infrastructures qui devaient au départ être provisoires, nous avons pu développer beaucoup de choses, les Ateliers du Temps libre par exemple.

Je ne dirais pas que je suis dans la nostalgie. Au contraire, quand je me retourne je dirais que je suis plutôt contente de voir tout le chemin parcouru… — -

La commune mettait aussi à notre disposition le Château Malou. Nous avons pu y faire notre première exposition. Nous devenions un peu trop envahissants dans cet espace qui accueillait d’autres évènements, nous avons donc récupéré la Médiatine (l’ancienne conciergerie du Château) et nous en avons fait un véritable espace d’arts plastiques. Ça a été un véritable déclencheur car ma collègue et moi étions passionnées d’arts plastiques. Personnellement, sans prétendre être une artiste, j’aime créer de mes mains, je l’ai toujours fait à travers la céramique. Avec la création du Centre culturel, cette passion a été mise en veilleuse.

Aujourd’hui, je suis déjà réinscrite au cours de céramique. Je suis dans le futur, j’ai besoin de projets pour exister. Je ne dirais pas que je suis dans la nostalgie. Au contraire, quand je me retourne je dirais que je suis plutôt contente de voir tout le chemin parcouru…

- D’où vous vient cette passion pour les arts contemporains ?

Mon papa était ébéniste, il dessinait énormément. Je l’ai toujours vu dessiner... Et puis, j’ai eu la chance, en humanités inférieures, de suivre des cours avec une professeure de dessin qui était une femme exceptionnelle. Elle m’a vraiment marquée dans mon parcours et elle m’a aidée à ouvrir les yeux. Elle m’a aussi initiée à beaucoup de techniques. Il est vrai que j’étais ouverte à l’art puisque cette dimension était présente dans mon milieu familial. Mon papa avait un petit côté artiste et pas vraiment celui d’un homme d’affaires à la tête d’une menuiserie-ébénisterie, loin de là ! C’est ma mère qui gérait (rires) ! Et enfin, il y avait aussi une céramiste qui m’invitait souvent chez elle. C’est un environnement qui m’a aidée.

- C’est donc aussi par la pratique que vous vous êtes intéressée aux arts plastiques ?

Oui tout à fait et c’est comme ça que j’ai trouvé mon boulot au Centre culturel de Wolubilis. Je sortais de l’université de Liège, mon fiancé de l’époque avait obtenu un boulot à Bruxelles, j’ai donc immigré ici. Je me suis retrouvée à Woluwe où je voulais suivre des ateliers de céramique. Je m’y suis inscrite et c’est par ce biais que j’ai appris que la commune cherchait quelqu’un. J’ai aussi eu la chance de rencontrer Madame Thiel qui était aussi une passionnée d’arts. Ensemble, nous avons conjugué nos passions.

- Quelles évolutions avez-vous pu observer à propos des arts plastiques tout au long de votre carrière ?

Les disciplines ont explosé dans tous les sens, elles ne sont plus cloisonnées ! La frontière entre les différentes disciplines, tout au long de ce long parcours, est devenue complètement poreuse. Tout se croise, tout s’enrichit et aujourd’hui avec les nouvelles technologies, cela va encore fondamentalement changer les choses même si la peinture, la sculpture, « les classiques », ont toujours leur place. On revisite, on redécouvre sans cesse.

Ousmane Sow

- Dans une interview, vous déclarez que ce qui vous a le plus marqué durant votre parcours, ce sont les rencontres et vous ajoutez que la fonction première de l’art est la rencontre de l’Autre. Est-ce une sorte de précepte sur l’art et de la connaissance que vous en avez ? Dans une vision plus introspective, l’art est aussi la rencontre avec soi… Qu’en pensez-vous ?

Évidemment, c’est d’abord une rencontre avec soi. Ensuite, ce sont les univers de « l’autre » que nous découvrons, c’est un monde différent du nôtre, nous pouvons l’accepter ou le refuser - en tout cas, nous sommes interpellés. C’est le rôle de l’art: interpeller, poser des questions par rapport à soi-même, par rapport à notre société et à notre environnement. Les artistes ne sont pas dans leur tour d’ivoire. Ils ne sont pas coupés du monde dans lequel ils vivent, que du contraire, ils sont le reflet de notre société actuelle. Je pense ainsi que l’artiste peut révéler l’invisible. Il est un visionnaire et en ce sens, il peut nous apprendre beaucoup sur ce qu’on ne voit pas a priori mais aussi sur nous et notre société.

De plus, je me suis rendue compte que pour bien défendre le travail d’un artiste et transmettre cette passion qu’il nous a communiquée, il faut une complicité avec l’homme ou la femme qui est derrière. Il y a quelque chose de l’ordre de l’humanité qui intervient. Avec la majorité des artistes, cette complicité s’installe. Beaucoup sont réservés. Ils ont parfois du mal à parler de leur travail. Discourir autour de leur production les met mal à l’aise mais la rencontre est fondamentale. Je pense notamment à Ousmane Sow (artiste sénégalais - cf. photo ci-dessus) avec qui la rencontre a été marquante. Je me suis retrouvée devant un grand monsieur qui était d’une incroyable modestie. Sa générosité, sa simplicité, son humilité m’ont profondément touchée.

- Selon votre connaissance expérimentée du secteur culturel bruxellois, comment envisagez-vous l’évolution de la place de la Culture à Bruxelles et peut-être plus largement au sein de notre société occidentale ?

La Belgique est petite, mais tout de même, nous pouvons être fiers de toute la dynamique culturelle de notre pays ! À Bruxelles, le nombre de spectacles, de lieux, la richesse de la création sont extraordinaires, ça bouillonne !

À la campagne, dans les Ardennes profondes (ma région natale), il y a d’autres formes d’arts qui sont tout aussi importantes. La Belgique est reconnue, nous pouvons être fiers de l’évolution de la Culture de manière générale. Nous avons à présent une reconnaissance que nous n’avions pas auparavant. Pendant longtemps nous avons dû nous expatrier en France pour être reconnus ici, ce qui n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui.

Par contre, au niveau des arts plastiques c’est beaucoup plus compliqué. C’est en quelque sorte un cénacle avec un côté très mercantile. Je me souviendrai toujours d’une conférence à laquelle j’ai assisté il y a quelque temps durant laquelle l’orateur expliquait que dans le monde, il y a quinze personnes qui sont les grands référents en arts plastiques et qui induisent le marché de l’art. Il suffit de voir les grandes collections, ce sont toujours les même noms, ce sont eux qui ont le monopole ! C’est donc assez compliqué pour la création émergente même si je trouve qu’une ouverture est possible.

Aussi, du côté francophone, nous avons toujours eu plus de difficultés que du côté flamand parce que le soutien des politiques n’est pas le même. Du côté francophone nous n’avons pas beaucoup d’artistes qui ont une reconnaissance internationale. En revanche, du côté flamand, le politique a pris l’art à bras le corps et en a fait une identité de sa région. Je pense à Jan Fabre, à Wim Vandekeybus (pour n’en citer que deux), tous ces artistes sont reconnus internationalement. Ce qui n’est pas le cas en Wallonie, il y en a quelques-uns bien sûr, mais ça n’était pas une volonté politique au départ.

Il faut tout de même constater les changements concernant le Prix de la Jeune Peinture belge au Palais des Beaux-Arts (actuellement « Young Belgian Art Prize »). Il ne s’agit plus vraiment de promouvoir des artistes émergents mais plutôt de pousser des artistes qui sont déjà reconnus vers l’international, en cela, ils ont carrément changé leur objectif…

« C’est le rôle de l’art : interpeller, poser des questions par rapport à soi-même, par rapport à notre société et à notre environnement. Les artistes ne sont pas dans leur tour d’ivoire. Ils ne sont pas coupés du monde dans lequel ils vivent, que du contraire, ils sont le reflet de notre société actuelle.  — »

- Concernant le nombre d’artistes émergents, il est assez exponentiel. Cela devient difficile de savoir ce qui est bon, ce qui l’est moins. Tout le monde peut se dire artiste à présent…

Ça n’est pas nouveau… Dans les années 1970, cette philosophie existait déjà, « tout le monde est créateur et artiste » et c’est vrai ! Oui, tout le monde est créateur et ça je le crois profondément. Mais quel est le statut de la production ? Est-ce une œuvre d’art pour autant ? C’est tout un autre débat. Je pense néanmoins que c’est important de laisser la créativité à chacun. Quant à savoir ce qui est bon et ce qui ne l’est pas ? Mon dieu, c’est une question !

Durant le Prix Médiatine, nous sommes confrontés à 150 artistes qui déposent chacun trois œuvres. Après sélection, il ne reste que 15, 20 ou 25 artistes (quand tout va bien). Dans le jury, nous sommes une dizaine de personnes avec des points de vue différents, avec nos filtres, nos subjectivités qui se conjuguent pour aboutir à un choix. En sachant que « choisir, c’est renoncer »  Nous essayons de trouver un consensus mais quand je constate le lendemain du jury tout ce qui a été mis de côté, je me pose des questions et je dors en général très mal car nous sommes passés à côté de beaucoup de choses, j’en suis persuadée.

Finalement, c’est une question que l’on n’arrive pas à trancher, je dirais que c’est l’histoire qui fait le tri. Quand nous prenons du recul, nous voyons ce qui reste et quels artistes ont pu mettre en évidence leur travail.

- Quels partenariats avez-vous développé durant votre mandat ?

Tout dépend du type d’exposition que nous préparons. Une de nos particularités est que nous nous situons dans le non marchand. Nous essayons de développer un point de vue différent de celui adopté par la société libérale et par le marché en proposant par exemple des concepts comme l’Artothèque, l’Art Truc Troc et en privilégiant le grand public et pas cette petite élite qui « a les moyens de… ».

Depuis longtemps, dans le cadre des expositions que nous mettons sur pied, nous sommes aussi très attentifs à la médiation. Ainsi, nous avons un service d’éducation permanente qui propose des visites guidées et des ateliers pour les enfants. Nous nous focalisons sur les citoyens de demain en développant des partenariats avec la Ligue des familles ou encore avec les comités de quartier. Avec ceux-ci par exemple, nous organisons des rencontres avec les artistes pour essayer de toucher un maximum de gens même si, il est vrai, il ne suffit pas que ce soit gratuit pour que les gens poussent la porte…

On peut tout de même mettre en avant l’Art Truc Troc. Il s’agit d’un évènement qui a lieu au Palais des Beaux-Arts et qui bénéficie d’une publicité incroyable. Le Centre culturel de Wolubilis est commissaire  de cet événement et y organise des ateliers créatifs,des visites guidées. L’objectif est de permettre à chacun de troquer un service, un objet, ou toute autre idée incongrue contre une œuvre.

Au Prix Médiatine (qui est beaucoup plus pointu), ce sont des œuvres qui sont encore en chantier et en pleine évolution. C’est de l’art émergent, c’est un autre langage qui est beaucoup plus difficile (et qui par conséquent attire moins) et la médiation y joue un rôle extrêmement important. J’y ai d’ailleurs toujours été vigilante, c’est en fait la base de notre centre. La médiation fait partie de notre ADN depuis le départ.

- On s’imagine que vous n’en avez pas fini avec l’art ? Quels sont vos projets pour le futur ?

Je vais reprendre mes premiers amours (la céramique). Je vais aussi m’occuper de certains artistes que j’aime beaucoup et qui, en sachant que j’allais prendre ma pension, sont venus me demander de l’aide. Je vais aussi « rester dans le champ artistique », avec l’envie de développer davantage le pôle médiation et l’interface entre les écoles et la culture. Il y a là un vaste champ d’action à explorer…

 

Alicia Hernandez-Dispaux

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