Ever Meulen et son Bruxelles
L’exposition présentée au MAD est née d’une invitation de la maison Louis Vuitton, qui a demandé au dessinateur de présenter en image sa ville, à travers ses lieux et ses bâtiments préférés. Ever Meulen, qui a depuis longtemps une passion à la fois pour l’architecture et pour sa ville d’adoption, a profité d’une année un peu particulière, où la pandémie interdisait les voyages au long cours pour redécouvrir Bruxelles. S’il avait déjà souvent évoqué la ville dans ses illustrations, les dessins qui composent ce « guide de voyage » montre des paysages contemporains, saisis sur le vif dans l’année écoulée.
Les 120 vues de Bruxelles exposées ont été réalisées selon une routine précise : Ever Meulen et son épouse Viviane sont partis en balade, le dimanche matin (pour éviter le trafic) dans leur Oldsmobile 1959 vintage, aux quatre coins de la ville, à la recherche des points de vue à croquer. Dûment documenté par les photographies de Viviane, le dessinateur a ensuite laissé son imagination agrémenter la réalité. Les monuments, les immeubles, les places, ont été remplis de vie : des habitants, quidams ou célébrités, de belles voitures anciennes dans les rues, des avions dans le ciel, et les bizarreries typiques de la belgitude.
Ever Meulen est la signature d’Eddy Vermeulen, né à Cuerne en 1946. Ses parents emménagent à Bruxelles, à temps pour assister à l’Expo 58, qui lui fera une grande impression. Il se lance dans le dessin et publie ses premières illustrations en 1970 dans le magazine Humo. Son style se range dans le renouveau de la ligne claire de la bande dessinée, célébré à l’époque en mode rétro, et dont il est fan. Mais s’il admire Hergé, Franquin, Edgar P. Jacobs et les autres, lui se voit plus comme un illustrateur que comme un raconteur d’histoires. Ses dessins, véritables tableaux pop, seront reproduits, publiés et exposés à travers le monde, de couvertures pour le New Yorker à des rétrospectives au Japon.
Le Bruxelles d’Ever Meulen
C’est un portrait personnel, subjectif, de la ville, que présente le dessinateur. Il a sélectionné une série de lieux incontournables, bien sûr, de la Grand Place à l’Atomium, mais il y a également ajouté des bâtiments moins connus, moins touristiques, choisis pour leur valeur architecturale, leur étrangeté, leur signification pour la vie du quartier. On y trouve des palais (le palais Royal, le palais Stoclet...), des villas luxueuses et des maisons de maître, mais aussi des cités ouvrières et des logements sociaux (les cités-jardins Floréal ou Kapelleveld, ou la Cité Moderne par exemple), des bâtiments industriels, des immeubles de bureaux, des ponts. L’accent est mis sur les créations d’architectes des années 1920 et 1930, mais aussi sur l’optimisme et la modernité de l’après-guerre et des années 1950. On y trouve beaucoup d’Art déco, et étrangement peu d’exemples de l’Art nouveau de Victor Horta, ce qu’Ever Meulen explique par sa préférence pour la ligne claire et par le fait que les volutes et les entrelacs de l’Art nouveau sont «trop compliqués à dessiner ».
Il insiste pour décrire son style comme « fait au crayon et à la règle » et va jusqu’à prouver ses dires en réalisant plusieurs de ses vues, les plus techniques, sur papier millimétré. L’usage de différents supports, carton, papier à dessin, pages de carnet ou de journal arrachées, ajoute d’ailleurs à la diversité de ses 120 croquis, qui ont chacun leur style propre, une touche de collage ici, une épure d’atelier là, parfois encore s’ajoute un morceau des photographies de Viviane. Certains crayonnés sont soulignés à l’encre, d’autres sont bruts, à peine agrémentés de traits de couleurs.
Du Nord au Sud
L’exposition est organisée en quartiers, Nord, Sud, Est, Ouest et centre, et comporte comme pièce centrale une grande vue (peinte sur le mur cette fois) du viaduc de Vilvoorde. Ce choix, qu’on pourrait voir comme anti-touristique, souligne l’idée d’une ville vue par ses habitants. Les lieux choisis sont des points de vue vivants et non des curiosités historiques, pas de ruines donc, et si certains bâtiments sont comme figés dans le temps, ce sont parfois aussi des ouvrages récents, comme la passerelle de la Woluwe sur l’avenue de Tervuren. Souvent les époques se superposent et s’entrechoquent, et le dessin montre le paysage et les constructions telles qu’elles sont aujourd’hui mais aussi comme elles se voyaient en leur temps. Les traits les plus actuels sont les avions (devenus en quelques années omniprésents dans le ciel bruxellois) et l’usage actuel des édifices (le showroom Citroën est aussi le Kanal, le magasin Bristol côtoie un Brico).
Ever Meulen a également pris un malin plaisir à truffer ses vues de Bruxelles de citations et d’allusions à ses héros de la ligne claire, Tintin y est Manneken-Pis, sa fusée croise dans le ciel la zorglumobile, Spirou y habite quelque part entre l’Atomium et le Palais de justice, et Fantasio y circule en Turbotraction. Lambique y commande un verre sur la Grand Place tandis que l'Aile rouge du colonel Olrik survole le Résidence Palace. Mais il se livre également à d’autres emprunts belgo-belges, à Folon, à Magritte, et peuple sa ville de bekende Brusseleers : Jacques Brel, Eddy Merckx, Jacky Ickx, Arno, et autres Bruxellois célèbres, parmi lesquels lui-même et ses amis. Sa ville se visite comme une version alternative de Bruxelles, une vision en réalité augmentée, et chaque dessin attire le regard autant pour la familiarité, le sentiment de reconnaitre les lieux, que pour la touche de folie personnelle qu’y ajoute Ever Meulen.
(Benoit Deuxant)
-
L’exposition se tiendra du 17 juin au 5 septembre 2021 au MAD, place du Nouveau Marché aux Grains, 10 - 1000 Bruxelles. L’espace est ouvert du jeudi au dimanche, de 11h à 18h.
Le Louis Vuitton Travel Book Brussels est disponible en français, néerlandais et anglais au prix de 45 euros. Plus d’info sur le site de Louis Vuitton