Le Congo en cases. Quand la bande dessinée parle du Congo
Sommaire
Étonnement
Première remarque d’un vieux fan pourtant curieux de bandes-dessinées (votre serviteur), le Congo fourmille d’auteurs de bandes-dessinées, et ce depuis les décennies, et plus particulièrement à partir des années (19)80, qui font à la fois preuve d’une incontestable maîtrise de style(s), d’originalité narrative et d’un regard souvent sans concession et acerbe sur leur vie dans le Congo d’hier et d’aujourd’hui. Malgré d' infinies difficultés à se faire éditer, ou encore moins d’en vivre, dans un pays où le marché du livre est riquiqui et les points de vente quasi inexistants, et/ou à se voir reconnaître dans les pays de solide tradition BD. On souhaiterait vraiment voir plus régulièrement certaines de ces productions « made in Congo » garnir les étals des meilleurs magasins BD d’ici.
Le corpus des planches reprises dans l’exposition résulte d’une sorte de choix arbitraire et ne prétend nullement à l’exhaustivité tant la production BD, tant ici que là-bas est imposante.
Thèmes
Le Congo en cases s’articule autour de sept grands thèmes, eux-mêmes subdivisées en sous-chapitres mais qui tous participent à la construction d’un imaginaire BD foisonnant largement méconnu.
Un Congo sauvage :
Très présent dans les récits BD des débuts de l’école franco-belge, le Congo est un gigantesque bout de terre sauvage et exotique où le danger est partout. Sur cet immense terrain d’aventure, des personnages, tantôt explorateurs, journaliste ou missionnaire (et tous masculins) demeurent en tout point conforme aux stéréotypes l’imagerie coloniale ; « il apporte au prix du danger, la civilisation au sein d’une contrée où le cannibalisme et la superstition règnent en maître ». Il est un aventurier courageux qui soumet par son intelligence et son ingéniosité une nature farouche - voire même préhistorique ! - et indomptée. C’est le temps (en Belgique) des BD hagiographiques à caractère pédagogique autour des « grands explorateurs » tel le Stanley de Joly et Hubinon (Buck Danny…)
Mais à partir des années 1990, la figure du « blanc » acquière d’autres nuances tel celle du baroudeur désenchanté dans Equator. Katale (Dany) qui parcourt un pays compliqué en pleine déliquescence, bel exemple (photo de couverture) de ces premières tentatives d’écrire des récits se passant durant la colonisation ou la période instable qui l’a suivi, et qui font fi des écueils habituels au niveau des stéréotypes noir/blanc (Alice et Léopold Les Croix de cuivre de Lapierre et Wozniak) et masculin/féminin (Eva K de Giroud & Baruti).
Un Congo pour les Blancs
La période coloniale tant dans son préambule léopoldien (L’État Indépendant du Congo de 19885 à 1908) que dans sa période de subordination forcée (le Congo belge de 1908 à 1960) trouvent toujours un écho dans la production BD actuelle, même s’il a fallu attende le XXIème siècle pour que des auteurs s’attaquent (en historien) à cette problématique, hélas toujours sensible aujourd’hui. Dans Africa Dreams Un Procès colonial, Jean-François et Maryse Charles passent par la fiction pour raconter l’Histoire, tandis que Perrissin et Tirabrosco vont adapter l'emblématique Au cœur des ténèbres (1899) de Joseph Conrad en roman graphique dans leur Kongo. Un projet colonial décortiqué et démystifié dans Congo 40 et Fleurs d’ébène des Warnauts et Raives, aux intrigues complexes et personnages et situations empreints de réalisme.
Rouage essentiel du processus colonial, la figure du missionnaire (catholique) apparait autant dans la BD franco-belge de l’époque que dans la production des artistes congolais. À noter, le Mémoire de l’esclavage Bulambemba de Serge Diantatu du nom de cette île située à l’embouchure du fleuve Congo, , où débutât la traite négrière en direction de l’Occident dès la fin du XVème siècle . Les auteurs mettent en avant les rapports « verticaux et inégaux », caractéristiques du colonialisme (chez Christophe Cassiau-Haurie ou Berthet), et le caractère profondément vénal de la colonisation au travers d’un panel de personnages blancs, puissants, fourbes et manipulateurs. De même, la « coopération » est vue par de nombreux auteurs Congolais (Barly Baruti dans Afro Baruti, Mongo Sisé avec Bingo à Yama Kara) comme un système de relations postcoloniales profondément asymétrique générateur de nouveaux déséquilibres.
Un Congo urbain
À partir des années 1980, des auteurs congolais commencent à prendre les espaces urbains comme décor de fond et lieu d’action de leurs histoires. Ils se démarquent peu à peu des codes de l’école franco-belge pour déployer un art profondément urbain assorti d'une réinvention langagière constante. Ils créent des revues locales qui prennent, avec humour, ironie, mais non sans une certaine pédagogie, le pouls des populations qui vivent en ville avec leurs difficultés propres (Junior, Matchatcha, Tangawisi, …). Le sport et la pratique sportive y sont des motifs récurrents et on fera une mention spéciale à Jérémy Nsingi, l’un des rares auteurs du cru à voir son travail édité en album cartonnés (en Chine...) où se côtoient des figures locales et internationales célèbres (Djamel...).
Un Congo en lutte
Bien que l’association Afrique/misère n’ait pas totalement disparu de l’imaginaire occidental (et donc de la BD), certains ONG ou organismes de coopération au développement continuent de recourir à une certaine bande-dessinée dite de sensibilisation qui fait appel aux services d’auteurs congolais (La Lucha, Chronique d’une révolution sans armes au Congo de Brabant et Kamgang), quand d’autres, localement, créent des BD qui évoquent - parfois assorties d’un commentaire moral - les problèmes auxquels font face les Congolais au jour le jour (Pourquoi tout pourrit chez nous ? de Zamenga Batukezanga et Al’Mata, Le Sacrifice de Pie Tshibanda…), les soucis de santé et ceux liées spécifiquement aux maladies tropicales et pandémiques (Monzeli maka, nzinga et les autres… Les jeunes à l’heure du sida de Courtejoie et Targou). Mais il existe aussi une école plus récente attachée davantage aux seules qualités esthétiques et narratives du média BD.
La persistance de longs conflits endémiques dans l’histoire récente du Congo est au cœur de nombreux récits : Kadogo, Le singe jaune, Kivu… De même que la question de la migration qui dans la réalité congolaise renvoie à des déplacements massifs internes de populations est évoquée dans Les tribulations d’Alphonse Madiba dit Daudet d’Edimo et Al’Mata ou encore Le garçon qui venait du Nord de Bomboko et Kojélé…
Le Congo des Esprits
Les thèmes de la sorcellerie et des esprits, dans un contexte de précarité généralisée où de nouveaux cultes et églises fleurissent partout, demeurent également une constante scénaristique dans la BD congolaise moderne (Bandoki de Zamenga et Kondi, Bienvenu à Kinshasa de Stassen et Hypolite…).
Un Congo, une Nation
L’histoire du Congo depuis son indépendance est une succession de périodes d’agitation et de moments de stabilité relative durant la période mobutiste marquée – durant les années 1970 – par la Zaïrianisation, un processus de construction identitaire mené tambour battant ( mais qui fit long feu), qui enjoignait de jeunes auteurs congolais à se pencher sur les figures essentielles de l’histoire du pays. Avec une attention toute particulière accordée aux personnalités chrétiennes (Anuarite, vierge et martyre zaïroise d’Esposito et Lukombo, Joseph-Albert Malula, premier cardinal congolais de Zola et Kalombo. Mobutu et Paul Panda Farnana (l’un des premiers Congolais à obtenir un diplôme d’études supérieures) ont ainsi eu droit à leur propre biographie dessinée, de même que l’un des musiciens les plus emblématiques de l'histoire de la musique congolaise, Papa Wemba (Papa Wemba, viva la musica ! de Baruti).
Un Congo fraternel
Enfin, pour terminer sur une note plus positive, une série de planches d’auteurs tant franco-belges que congolais qui tirent les relations et rapports humains comme fil rouge de leur travail.
D’un contexte de départ fortement marqué le paternalisme où les « indigènes » pouvaient au mieux aspirer à devenir « frères » des blancs, parce qu’occidentalisés, à partir des années 1950, la notion de fraternité va évoluer vers une exigence de plus d’égalité blanc/noir : Blondin et Cirage en Amérique de Jijé. Dans le même ordre d’idée, c’est la valeur amitié qui cimente les récits des Jimmy Tousseul, Le visage de dieu (Desberg et Desorgher) et autre Kinshasa Rudby-Club d Cassiau-Haurie et Tshitshi…
Enfin, bonus appréciable du volet "panneaux" de l’exposition, on trouve une série d’objets et d’artefacts (une griffe, un crâne de félin, un drapeau…) vus ou liés dans ou aux cases BD, un extrait de film muet humoristique en noir et blanc datant de l’époque coloniale tournant en boucle…
Merci à François Poncelet pour la visite et ses généreuses et lumineuses explications !
Le Congo en cases. Quand la bande dessinée parle du Congo :
02 > 30/09 du mardi au samedi de 11h00 à 18h00 - PointCulture Namur.
https://www.pointculture.be/agenda/evenements/congo-en-cases/#
MusAfricain.
Rue du Premier Lanciers 1, 5000 Namur
+32 (0) 81 23 13 83
info@musafrica.net
musafrica.net