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Exposition "Le travail exposé à tou·te·s" : making of

Institut de la Providence - préparation expo Musee du capitalisme_3599
Tout au long de cette année scolaire, dans le cadre de l’opération « La Culture a de la classe » de la CoCoF, quatre classes bruxelloises ont été accompagnées par les bénévoles du Musée du Capitalisme pour s’interroger – depuis leur position d’élèves en dernière année du secondaire – sur ce monde du travail qu’ils rejoindront bientôt. Nous avons suivi toutes les étapes du processus.

Sommaire

Étape 4bis - Institut de la Providence – Woluwe – 28.03.2019

Heureusement, il fait sec en ce jeudi de début de printemps au cours duquel les élèves d’une des classes de l’Institut de la Providence doivent donner forme, groupe par groupe, en une matinée et quelques heures de cours à peine, à ce qu’ils ont imaginé deux semaines auparavant (cf. Étape 4 – en bas de cette page) comme proposition pour intégrer la scénographie à PointCulture Bruxelles. Le temps clément permet aux groupes de déborder du volume étriqué de la classe, dans la cour de l’école, entre autres pour les activités salissantes.

Un groupe scie, ponce et peint au pinceau une silhouette féminine qui invitera bientôt visiteuses et– surtout – visiteurs de l’expo à se mettre un moment dans la position d’une femme sur le lieu de travail. Un autre groupe construit et peint à la bombe un robot en carton tandis que des complices, transformés en faux-monnayeurs, assemblent des liasses de faux billets… Un troisième petit groupe – installé, lui, à l’intérieur du local de cours préfabriqué – se maquille, se met dans la peau d’un personnage (secrétaire, prostituée, etc.), prend la pose et se fait photographier au GSM par les amies en interprétant ce rôle, en incarnant ce métier de fiction…

À un bon mois du vernissage, formation des guides mise à part (il est prévu que les élèves transmettent aux guides potentiels de l’exposition le contenu qu’elles et qu’ils ont voulu exprimer et faire passer par chaque intervention), les élèves sont presque au bout d’un projet qui, au total, avec des moments de pause (vacances, examens), aura duré six mois, puisqu’il avait commencé fin septembre, de l’autre côté de l’agglomération bruxelloise.

Étape 1 – visite active de La Fonderie – Molenbeek – 25.09.2018

Pour la première prise de contact entre les bénévoles du Musée du Capitalisme et les futures conceptrices et futurs auteurs de l’exposition, rendez-vous avait été fixé au Musée bruxellois des industries et du travail, l’ancienne fonderie de statues en fonte de La Fonderie.

Au cours d’une visite qui fut tout sauf passive, les élèves devaient – par petits groupes –, en utilisant leur outil-fétiche (le smartphone), répondre à une série de questions dont les indices d’élucidation étaient éparpillés dans l’expo permanente du musée.

À l’issue de l’exploration des salles, dehors dans la cour pavée de La Fonderie, Hélène et Olivier du Musée du Capitalisme encouragent les élèves à faire le bilan de la visite, leur demandant ce qui les a le plus marqués : l’âge des plus jeunes enfants ouvriers (dix ans à peine) sur une photo d’archives de 1905 ; la durée du temps de travail à l'époque (12 heures par jour, 60 à 70 heures par semaine) ; la taille imposante d’un ancêtre d’ordinateur d’avant la miniaturisation de l’informatique…

L’évolution des machines a aidé les populations. Mais aujourd’hui, les machines remplacent l’homme. — un groupe d'élèves

Sur certaines questions amenées par la visite, les animateurs organisent un « débat mouvant » au cours duquel les élèves sont amenés à se positionner dans l’espace de la cour autour de deux pôles (« d’accord » / « pas d’accord »)… puis à argumenter leurs choix !

Étape 2 - Institut technique Cardinal Mercier – Schaerbeek – 10.10.2018

Deux semaines plus tard, de l’autre côté du canal, un peu plus au nord, près du pont Van Praet, les élèves de l’Institut technique Cardinal Mercier sont de retour en classe. Par souci de faire circuler la parole entre tous, loin d'un discours ex cathedra, Olivier et François poussent les tables vers la périphérie de la salle de cours et rassemblent les chaises en cercle au centre de l’espace. Après un bref retour sur la visite de La Fonderie pour se rafraichir la mémoire, la petite quinzaine de garçons (aucune fille dans cette classe de futurs électromécaniciens) est invitée à participer à l’animation proprement dite : une séance de « photo-langage ».

Quelques dizaines de photos plastifiées ayant trait de manière très explicite ou plus indirecte au travail (un ouvrier noir dans une mine, une chaine d’abattage de poulets, une femme électromécanicienne en bleu de travail, une top modèle qui défile, Eden Hazard ballon au pied, un hamburger, un bataillon de militaires, etc.) sont disposées sur le sol au milieu des élèves. Ceux-ci sont invités à saisir la photo qui leur parle, à expliciter leur choix puis à faire un lien avec la photo choisie par un de leurs camarades. Des discussions sont lancées sur les conditions de travail, la différence entre travail physique et intellectuel, sur l’automatisation, sur les inégalités de genre et de rémunération, sur la question du mérite, de la pénibilité du travail. Du talent aussi.

Pour eux, il n’est peut-être pas anormal qu’Eden Hazard empoche le salaire mirobolant qu’on lui octroie. N’est-il pas un des trois meilleurs joueurs du monde après tout ? Par contre – question étonnante et significative – sont-ils eux-mêmes assez intelligents, assez experts, assez informés pour avoir une légitimité à parler de tous ces sujets, à participer à une exposition sur le travail ? Et si réfléchir, avoir un avis, demandait aussi à s’exercer, à s’entraîner ?

Étape 2bis - Institut de la Providence – Woluwe – 11.10.2018

Le lendemain, même dispositif (même bilan de la visite à La Fonderie, même séance de « photo langage », mêmes photos proposées) pour une des trois classes – à 80% féminine cette fois – de l’Institut de la Providence à Woluwe.

Dans ce groupe-ci, la star du ballon rond est jugée trop bien payée par rapport à son utilité réelle dans la société. La photo des mannequins qui défilent amène la question de la pression sur le corps des femmes et celle de l’obligation tacite faite à la femme de soigner sa beauté pour décrocher et garder un emploi. Une femme photographiée alors qu’elle s’occupe de ses trois enfants est décrite « au bout de sa vie ». La photo de la femme électromécanicienne conduit à discuter du dépassement des préjugés relatifs aux métiers dits « masculins » et « féminins ».

En fin de séance, quand il s’agit de se regrouper autour d’une question relative au travail à traiter pour l’exposition, c’est l’impact sur la santé physique et psychologique (burn out), la robotisation et les inégalités hommes/femmes qui soulèvent le plus d’enthousiasme. L’évolution du travail au cours du temps, la question de la solidarité et de l’organisation des travailleurs et des inégalités Nord/Sud sont citées mais n’attirent pas assez de participantes au sein de la classe pour pousser chacune de ces idées jusqu’à l’expo du printemps 2019.

Étape 3 – conférence gesticulée - PointCulture – Bruxelles – 16.10.2018

Peu de temps plus tard, les quatre classes des deux écoles se retrouvent au PointCulture Bruxelles – l’occasion de jeter un œil sur le lieu de leur future exposition – pour une « conférence gesticulée » (forme d’animation et de spectacle entre conférence et théâtre, entre « savoir froid » – factuel – et « savoir chaud » – incarné), pas consacrée exclusivement au travail, mais à un sujet qui y est cependant intimement lié : la question des choix que nous posons.

Non sans courage dans leur mise à nu (évoquer leurs parcours personnels, leurs origines sociales très différentes de celles d’une partie de leur auditoire, chanter a capella du William Sheller ou du Serge Rezvani/Jeanne Moreau à des ados nés au XXIe siècle, etc.), Thomas Prédour et Olivier Vermeulen payent de leur personne dans À nos choix. En transitant par des points de passage d’apparence futile (choisir une chemise au sein d’une collection particulièrement bien achalandée) ou intime (les choix amoureux, le coup de foudre, les 1 600 000 swaps par jour de l’appli Tinder), ils en arrivent à aborder la surproduction, la pollution, le réchauffement climatique, les leviers de changement de la société (vote, manifestations, grèves, boycott, etc.), le roman de SF Les Dépossédés d’Ursula Le Guin ou la révolution citoyenne du « Balai citoyen » au Burkina Faso en 2014…

Ici aussi, comme lors de la visite de La Fonderie, l’activité n’est pas à sens unique, les élèves ne sont pas cantonnés au rôle de spectateur. À plusieurs moments de la conférence, ils sont encouragés à se positionner, à s’exprimer…

Étape 4 - Institut de la Providence – Woluwe – 14.03.2019

Quand Hélène et François, du Musée du Capitalisme, retrouvent les élèves de l’Institut de la Providence, environ quatre mois se sont écoulés depuis la dernière fois qu’ils se sont vus, à la mi-novembre 2018. Utilisant la dimension ludique d’une de ces techniques d’animation qu’ils maitrisent si bien, ils commencent par un bref récapitulatif des épisodes de la saison précédente : rencontre à La Fonderie ; photo-langage sur la thématique ; conférence gesticulée ; définition du travail ; choix du message à faire passer.

Pendant l’hiver, les bénévoles du musée n’ont pas chômé : ils se sont réparti des fardes remises par chaque petit groupe d’élèves (le groupe robots, le groupe burn out, etc.) et ont tenté de synthétiser leur message – sans le trahir et en l’étayant de données (« D’ici 20 ans, la robotisation aura diminué l’emploi de 77% »), matériau qui pourrait servir à l’exposition. Mais chaque petit groupe est d’abord encouragé à vérifier ce travail de digestion et de structuration de ses pistes de la fin de l’automne. S’y retrouvent-ils ? Leur message n’a-t-il pas été transformé ?

Une fois ces vérifications faites, il va falloir maintenant, en trois séances à peine, trouver une forme « exposable » pour faire passer le message de chaque groupe.

Alessia, scénographe liée au Musée du Capitalisme, donne un court exposé illustré relatif à différentes pistes possibles pour une exposition : le white cube, les cimaises, le piédestal, le cadre, le cartel, la performance, etc., en l’étayant d’exemples (les photos des disparus de la dictature chilienne au Musée de Santiago, les sculptures de gueules cassées de Kader Attia, les lettres de non-motivation de Julien Prévieux, etc.

Un groupe de filles qui pensaient faire une performance en direct pour montrer les conséquences du travail sur leur corps prennent conscience que l’expo ne s’arrêtera pas au soir du vernissage, qu’elle va rester visible pendant trois semaines pendant lesquelles elles devront retourner à l’école. Différentes pistes sont dès lors envisagées : faire une performance au vernissage, la filmer, en diffuser ensuite la captation ? Tourner une vidéo ? Au final, le projet évoluera vers une série de photos.

L’engagement dans le projet et les appréhensions quant à sa réalisation varient d’un groupe à l’autre. Une fille apostrophe ses complices :

Dans quoi on se lance ? Vous êtes sûres ? Je suis déjà stressée par les autres cours, les autres travaux à rendre… — une élève

Tandis qu’une autre élève se propose de cuire une figurine de patron en pâte polymère chez soi, à la maison, en dehors des cours.

Au final, deux semaines plus tard, lors de l’étape de réalisation des projets (cf. haut de cet article – Étape 4bis) ces différences initiales s’équilibreront, chaque groupe se donnant sans compter dans la réalisation de sa partie de l’exposition collective, dans ce qui ressemblait à un moment assez joyeux de bricolage et d’activité manuelle rompant un peu avec les cours habituels du cursus.


Philippe Delvosalle
photos : Philippe Delvosalle & PointCulture TV



Dans le cadre de la campagne "La culture a de la classe" (Cocof) :
exposition Le travail exposé à tou·te·s

PointCulture Bruxelles

Du mardi 30 avril au samedi 18 mai 2019

- vernissage le mardi 30.04. de 18h à 20h30 -

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