Revolutions - Records and Rebels - 1966-1970
Revolutions, à l’instar de David Bowie is est une création du Victoria and Albert Museum de Londres, complétée pour l’occasion de quelques développements propres au plat pays.
Consigne de bon usage, le visiteur reçoit à l’entrée un équipement sonore avec écouteurs et a le loisir de faire sa visite au son de quelques figures musicales emblématiques (mais sans surprises) de cette époque, relevant toutes et uniquement du registre rock (Beatles, Beach Boys, Rolling Stones, Who, Hendrix, Doors, Jefferson Airplaine, Janis Joplin, etc. ). Pas d’indications à devoir lire sur les murs mais chaque effet présenté porte un numéro qui renvoie à une explication dans un volumineux livre rouge (!) explicatif fourni à l’entrée !
Occupant deux étages de l’ING Art Center, cette expo découpée en thèmes et sous-thèmes revient sur cette demi-décennie (1966-1970) qui voit la montée en puissance et l’affirmation d’une nouvelle catégorie sociologique - la jeunesse – en rupture radicale avec les us coutumes et mentalités de ses aînés. Une période de contestation et de remise en cause des formes d’autorité traditionnelle dans un monde agité (guerre du Vietnam, révolution tchèque, mai 68), alors largement bipolaire et en conflit larvé (l’axe USA-URSS), et où le processus de décolonisation s’achève, le plus souvent dans la douleur !
Entre aspirations sociétales à plus de libertés, de justice et de désirs de changement, cette révolution de la jeunesse s’accompagne d’esthétiques nouvelles radicales, de formes de contestations propres (la rue en est le lieu d’expression), mais aussi d’un consumérisme tout-puissant, générant bientôt ses propres discours autocritiques teintés d’écologie et/ou de catastrophisme…
Revolutions, (l’expo) débute sur une note joyeuse avec un aperçu du Swinging London, de ses vêtements colorés extravagant. Signe des temps d’une ère où la mode (de rue) était anglaise, avait pour reine le mannequin brindille Twiggy, faisait fi des classes sociales et de la sinistrose ambiante d’un pays qui pense encore ses plaies de la guerre mondiale et de la fin de l'empire !
Fringues célèbres d’époque collants aux corps enfin dévoilés trônent derrière les vitrines de magasin reconstitués voisinent affiches situationnistes, textes utopiques et poèmes inspirants. Tout le charme de cette expo vient de ce mélange entre documents textes ou photographiques, projections filmées, objets atypiques (vêtements, parures…) ou technologiques et mini-reconstitutions. De courtes citations balisent aussi ce parcours de leurs observations/injonctions parfois paradoxales (dont une attribuée à l’économiste ultralibéral Milton Friedman !).
Les Beatles, dans la foulée de l’album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (1967) découvraient le psychédélisme, l’Inde et faisaient l’expérience de la composition « sous influence » ! Une reproduction dudit album occupe un mur entier et les quatre de Liverpool ont quasi droit à une expo dans l’expo (et John Lennon à une sous-section entière !) ! Un peu plus loin, c’est un fac-similé d’affiches et de quelques agrandissements qui recadrent une courte séquence vidéo du génial Blow Up d’Antonioni (1967). Une touche locale, une collection de clichés de héros rock sixties/seventies signés Herman Selleslags a été judicieusement ajoutée.
C’est que la pop (et le rock), prise en chassé-croisé constant entre ses origines américaines et ses réinterprétations/ relectures britanniques successives devient - démocratisation des moyens d’écoute aidant – le vecteur d’identification de toute une jeunesse, illustré ici par quantité d’affiches, de visuels et d’animations représentant autant les artistes, leurs travaux (pas mal de notes écrites à la main) que leurs fans. Les drogues (surtout le LSD) se sont aussi glissées dans les habitudes d’une jeunesse ou de musiciens qui vont parfois jusqu’à en faire un champs d’expérimentation sensoriel et musical, qui est au cœur de ce psychédélisme décliné aussi bien en musique, en art, qu’en « nouvelles manières » de vivre, de sentir et de penser. Une génération qui se reconnait dans les écrits de la Beat Generation (Burroughs, Kerouac, Bukowski, etc. ) et cherchent dans science-fiction matière à illustrer leur soif de réalités parallèles ou futures, ou guider leurs démarches ésotériques.
Une jeunesse qui associe les démarches de recherche intérieure, d’expérience de vie collective et/ou sexuelle, de découverte de soi ou d’exploration spirituelle à des protestations et actions militantes collectives en faveur des « minorités » (noires, amérindiennes, homosexuelles), pro-féministes, contre la guerre du Vietnam ou la répression soviétique du printemps de Prague (sérigraphie de Joe Tilson, 1969). Un masque de taureau (Arnold Crowther, 1968), une statue hindoue, ou encore des affiches et sérigraphies qui reprenent les différentes variétés de haschisch (Harvey Wasserman, 1967), ou appelent à résister pacifiquement aux législations répressives qui se mettent en place un peu partout, illustrent cette connexion entre drogue/mode de vie hippie/revendications sociétales nouvelles.
La dimension consumériste de cette ère du tout à la croissance, de son corolaire technologique (la tv retransmet les premiers pas de l’homme sur La Lune dont un court extrait est diffusé dans l’expo) et publicitaire, crée derechef une sorte de malaise existentiel chez les intellectuels et artistes. On voit ainsi presque côte à côte une pub Lamborghini (1968), d’American Airlines (1969), une carte de crédit (1966), une armoire Kewlox (modèle d’époque), un portrait du « Che » (C. Logue, 1968), un buste de Mao ou un exemplaire de l’incontournable de Guy Debord La Société du Spectacle (1970 )!
Par ailleurs, les technologies informatiques et numériques nouvelles émergent dans un contexte utopique post-hippie : Une réplique de la première souris (1964) et un calculateur HP9100A (1968) nés en Californie sont là pour le rappeler !
La seconde moitié des sixties consacre aussi la montée d’une conscience écologique forte (film Dead Earth) et l’apparition de communautés alternatives qui optent pour un retour à la nature (The Place la nouvelle société selon Dennis Hopper, 1969).
Si les évènements de mai 1968 en France et l’importante production artistique qui en découle (ou s’en inspire) directement sont évidemment relayés (une couverture du mythique magazine L’Enragé de 1968). Quelques documents, télégrammes et tracts renvoient plus spécifiquement au Walen Buiten de la scission de l’Université Catholique de Louvain de 1968 ont aussi droit à leur espace propre. On trouve aussi des documents témoins de l’opposition d’une partie non-négligeable de la jeunesse américaine à la guerre du Vietnam comme ces marionnettes en papier mâché représentant le président Lyndon B. Johnson, une maman vietnamienne et son enfant (San Francisco Mime Troupe, sans date). Une réplique d’une tenue de Black Panther atteste de la radicalisation des jeunes afro-américains devant l’immobilisme ségrégationniste de leur pays, alors que paraissent les premières revues homosexuelles (The Ladder, Gay Drum) dont on voit quelques exemplaires, attestant un relâchement progressif du cadre moral dominant. Les supports (affiches, magazines) de combats féministes de l’époque (le droit à l’avortement, la pilule) mènent directement au costume, placé sous verre, du film Barbarella porté par Jane Fonda en 1968.
Enfin, une partie de l’exposition fait une jolie place au phénomène des festivals, ces immenses rassemblements collectifs qui consacrent en leurs sein tous les aspects de cette contre-culture. Le plus emblématique d’entre eux, Woodstock (1969) est largement documenté via les archives de l’un de ses deux organisateurs, Michael Lang (cartes, mémo diagramme, rapports divers), et consacré via un costume de scène (celui de Grace Slick de Jefferson Airplane), une robe de Janis Joplin, la guitare Gibson de Pete Townshend des Who et quelques films autour de celui qui en reste l’étendard, Jimi Hendrix ( et sa fameuse interprétation de l’hymne américain à la guitare). Photos, films et plans dressent un topo en affiches sur le Summer of Love (San Francisco, 1969) festival de l’île de Wight (Grande-Bretagne) de 1970, tandis que l’étape belge de Rebel... jette un œil rétrospectif sur deux des plus grands rassemblements festivaliers (qui mêlent alors jazz et rock) jamais organisés en Belgique, celui du Jazz Bilzen et surtout l’incroyable épopée du festival d’Amougies (1969). Celui qui devait initialement se dérouler sur Paris (pièce de choix : un programme « parisien » du non-festival !) avait fini par atterrir dans la campagne proche de Tournai (Belgique). Un doc RTBF de 1969 est diffusé dans ce qui ressemble à la reconstruction en modèle réduit d’un échafaudage tel que ceux où s’agrippaient de jeunes festivaliers pendant les concerts.
Si Rebels
touche au but dans sa façon d’interroger les spécificités d’une époque de façon
fouillée et accessible à tous, au moyen des dispositifs scéniques les plus
variés, il usurpe quelque peu son titre par un discours et une vision certes
sans nostalgie, mais un peu convenu sur l’époque. Qui s’est un peu renseigné
sur cette époque n’y apprendra pas grand-chose de neuf et l’absence de quelques
réelles figures de la contestation de l’époque (où sont Iggy & The Stooges,
les MC5, Black Sabbath) ou de symbole culturel de l’underground devenu
universel (la banane qui illustre le premier Velvet Underground signée Andy Warhol)
fait un peu mentir son titre, à la façon des fac-similés d’albums en carton censés
reconstituer la discothèque idéale de l’époque !
Maintenant, à vous de vous créer votre opinion... Bonne visite !
Yannick Hustache
Revolutions - Records & Rebels - 1966-1970
Jusqu'au 10 mars 2019
ING Art Center
Mont des Arts
Place Royale
B-1000 Bruxelles