Fake for real - Exposition à la Maison de l’histoire européenne
La taille de l’exposition ne permet pas d’épuiser le sujet, infini, du faux, mais la scénographie permet de circonscrire les grands thèmes qui en découlent et de donner des exemples pertinents, en prenant soin à chaque chapitre de donner à la fois des exemples anciens et d’autres tirés de l’actualité ou de l’histoire récente. Le lien entre notre époque et les cas d’école des siècles précédents est une volonté de tromper en manipulant les faits. La différence tient dans les moyens de diffusion. Les réseaux sociaux, l’internet et avant eux la télévision n’ont pas inventé le phénomène, ils l’ont simplement amplifié et ont permis sa circulation incontrôlée. Cette question du contrôle, et son corollaire, la censure, accompagnent toute l’exposition.
Faire un faux, construire une histoire mensongère, demande un objet, un support. L’exposition retrace par la bande l’évolution de ces supports, de ces médias, depuis la statuaire de l’Antiquité en passant par toutes les formes d’écriture, gravée, manuscrite ou imprimée, et d’images, dessinées, peintes, photographiées puis filmées. À chaque format de diffusion correspondent plusieurs fonctionnements différents, selon le but recherché et le public visé. La volonté de réécrire l’histoire est le premier exemple donné. Selon le principe de damnatio memoriae, dans la Rome antique, toute personne tombée dans l’opprobre et la disgrâce, généralement pour avoir mécontenté un empereur, était condamnée à l’oubli. Cette double peine impliquait de briser toute image le représentant, de la mosaïque à la statue. Des œuvres construites pour durer étaient alors défigurées, au sens littéral, pour briser le souvenir même du destitué.
Le faux a toujours un but, il peut justifier une position politique, un privilège, la mainmise sur un territoire, il peut enrichir le peintre qui en contrefait un autre, ou le trafiquant médiéval qui vend son cinquième tibia de saint Jean-Baptiste enfant, il peut servir la petite gloire d’un affabulateur ou être une arme de guerre redoutable. À côté des usages presque innocents de la désinformation, lorsqu’un surcroit d’imagination pousse des gens à s’inventer une existence plus extraordinaire que la réalité, la désinformation est aussi souvent l’arme d’un crime. De l’affaire Dreyfus aux « Protocoles des Sages de Sion », les illustrations du faux à visée antisémite montrent que les conséquences du mensonge peuvent être considérables. Les mises en cause récentes du milliardaire George Soros par l’extrême droite, des États-Unis à la Hongrie, sont la suite directe des théories complotistes du passé.
L’exposition propose une explication à cette persistance du faux et de la désinformation à travers l’histoire : si le mensonge fonctionne, c’est que son public a déjà la volonté d’y croire. Le mensonge fonctionne s’il confirme les opinions, les préjugés, les émotions de celui qu’il veut tromper. Chercher à justifier ce qu’on ressent et non ce qu’on comprend, les émotions plutôt que les faits, est la porte ouverte à toute intox, toute manipulation. Le contexte n’a pas changé de l’Antiquité à nos jours, l’information juste et le mensonge sont aussi accessibles l’un que l’autre. C’est le choix entre eux qui est délicat, soit parce qu’on manque des moyens pour les départager ou bien parce qu’on a envie de croire à une histoire plus intéressante, plus grande, plus violente que la réalité.
L’exposition prend soin d’expliquer les clés de lecture, les signes à repérer, pour éviter de tomber dans le panneau. Les meilleurs faussaires commettent des erreurs, laissent des traces, mais au final, c’est la volonté ou non de son public de se laisser berner qui fait la différence.
(Benoit Deuxant)
jusqu'au 28-10-2021
Maison de l'histoire européenne
Rue Belliard 135 Bruxelles - Parc Léopold