Festival Alimenterre 2022 : recomposer le monde
Composer des mondes
Des voix, des visages et des mots pour décomposer puis recomposer le monde comme « un ensemble parties sans un tout ». Le film, guidé par les travaux de Philippe Descola, détisse le monde moderne dont la trame repose sur la création, la séparation et la hiérarchisation de deux concepts : l’humain et la nature. A l’écran, des hommes et des femmes incarnent cette réflexion dans leurs pratiques, notamment sur le site de la ZAD de Notre Dame des Landes. Là, il ne s’agit pas de sacraliser mais d’habiter, de cohabiter de « vivre avec », de négocier avec des partenaires humains et non-humains. Il ne s’agit pas d’inventer un monde mais de le composer et de vivre des expériences de transformation. C’est « un apprentissage de l’attention générale » auquel nous invite le film.
Stolen Fish
C’est la nuit en Gambie. Peu dorment. Trop de soucis, trop de travail. Au petit matin, l’agitation s’accentue sur la plage. Des mains se serrent, se saluent, tirent, poussent, jettent des filets dans l’espoir de remonter quelques poissons. Des corps debout dans les barques ou au pas de course vers le marché, le regard parfois dirigé vers l’horizon lointain, vers l‘Europe : partir peut-être, dans l’espoir de nourrir sa famille ? Car, en Gambie, le poisson est désormais réduit en poudre par des entreprises chinoises. « Tout ce qui vit, ils l’attrapent », « le poisson des pauvres sert à nourrir les animaux des riches » (l'élevage industriel). Privée de sa principale ressource alimentaire, la population lutte pour sa survie tandis que la surpêche épuise les écosystèmes marins.
Zut
Tout est paisible dans la campagne belge. Il y a des champs et des jardins. Mais aussi des maisons, de plus en plus nombreuses, des routes et des fermes qui n’ont plus rien à voir avec la paysannerie. Et sur cette terre, des hommes et des femmes en colère qui préparent une action citoyenne, d’autres qui pratiquent l’agroécologie, qui s’organisent pour faire évoluer les pratiques autant que les mentalités. Leur territoire est devenu ce qu’ils ont baptisé une « ZUT », une zone d’urgence à transformer. Leur combat : rendre visible et inventer pour débarrasser les corps et le futur des substances polluantes et toxiques.
White Cube
Ils grimpent au sommet des arbres, bravent les risques de la chute ou de l’accident pour subvenir à leurs besoins. Ce sont des travailleurs du cacao à Lusanda en RDC. Tout à coup, et mal chaussé sur ce terrain forestier au bord de l’eau, l'artiste néerlandais Renzo Martens entre en scène. Il vient proposer aux travailleurs un projet un peu fou : réaliser des sculptures d’argile ; les numériser en 3D ; les reproduire en chocolat pour les exposer à New York où elles seront vendues. L’artiste veut ainsi interroger le lien entre art et capitalisme et tente d’inverser les flux de la machine capitaliste. Grâce aux profits générés par ces ventes, un lieu surgit de ses terres dont la population est dépossédée par les géants de l’agroforesterie. L’art devient alors un espoir de récupération du territoire en lieu et place des plantations.
Les voix croisées
Ici, avec de vieilles photos et des archives vidéo, on commence par rappeler l’Histoire, celle, souvent passée sous silence, des immigrés venus du Sénégal, du Mali ou de la Mauritanie pour construire des voitures et ramasser des poubelles en France, vivotant tant bien que mal dans des conditions déplorables. Le film tire un fil jusqu’à aujourd’hui pour raconter un héritage, celui de l’exploitation et des inégalités. Au fil du temps, ces voix entrent en échos avec d’autres, à l’Université Libre de Vincennes dans les années 60, dans les luttes au Larzac en 1973, etc. Elle se mêle aux cris lancés par les paysans, les féministes, se transforme en tracts, en films, en chansons créées à l’époque pour raconter la lutte, témoigner de l’existence des résistants. Ainsi nait la coopérative agricole « Somankidi Coura » fondée en 1977 par des travailleurs immigrés d’Afrique de l’Ouest vivant en France dans des foyers. Depuis, cette communauté de lutte couve et, face aux violences de l’agriculture coloniale et des changements climatiques, appelle au sursaut : « Il faut que le réveil sonne ».
Semeuses de vie
Des voix de femmes s’élèvent au-dessus des montagnes andines et des jupes épaisses et colorées parcourent les champs de quinoa et de maïs. Ici, la terre et la femme sont liées dans leur pouvoir de donner et de soutenir la vie. Des dialogues entre les éléments et les humains ont tissé au cours des siècles des pratiques respectueuses du vivant. Mais celles-ci sont désormais malmenées par les intrants chimiques et les changements climatiques. La terre et les femmes sont désormais aussi liées par une même structure de domination qui les menace et les exploite. Alors les femmes luttent pour préserver les pratiques et les semences, en véritables gardiennes de la vie, vulnérables mais pas fragiles.
Dremmwel
Plongé.e.s dans une ambiance en noir et blanc pleine de vent et d’embruns de la mer, nous découvrons les témoignages des marins pêcheurs qui racontent leur quotidien difficile, du Nord au Sud, tenaillés par la solitude, les horaires, les faibles prises et les modèles économiques qui favorisent les industriels. Au Sénégal, une voix se fait entendre « Il ne s’agit pas seulement de constater les pratiques mais de décider ce qu’on met maintenant en place ». Le film termine sur ce grand-écart propre au monde moderne : une livraison de sushi à domicile quelque part en Europe car, oui, tandis que les pêcheurs se tuent à la tâche et que la mer se vide, la demande en poisson continue d’augmenter.
La restanza
Des voix fortes, des discussions, des rires et des soupirs. Sous le soleil d’Italie, on s’organise, on imagine, on ne baisse pas les bras. Alors que les jeunes du village se destinent tous à partir, ces trentenaires-là sont restés ou revenus. Ensemble, ils et elles veulent redonner vie au territoire et construire un moulin communautaire. Ensemble, ils et elles cultivent le futur avec des graines anciennes et des variétés locales. C’est difficile, on se dispute, n s’ajuste mais on n’abandonne pas. Le village devient celui de la « restance ». Rester, c’est résister, c’est inventer.
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