Festival Anima 2022 | une sélection de films
Sommaire
« La chance sourit à Madame Nikuko » d’Ayumu Watanabe
Madame Nikuko et sa fille de onze ans, Kikuko vivent sur un vieux bateau dans un village de pêcheurs du nord du Japon. La première est très naïve et a accumulé les mauvais choix dans sa vie, déménageant d’une ville à l’autre suite à des rencontres avec des hommes qui ont profité d’elle, pillant à chaque fois ses maigres économies. Elle est obèse, adore manger et travaille aujourd’hui comme serveuse dans un restaurant. Sa fille, qui ne lui ressemble pas du tout, est gênée par le comportement enfantin de sa mère et par ses formes dont tout le monde se moque. Si le titre du film renvoie à Nikuko, l’histoire suit essentiellement la fillette, toute maigre, avec des jambes en forme de piquets, et qui n’a pas encore atteint la puberté. Sa relation avec sa meilleure amie Maria se détériore après des disputes entre filles à l’école mais elle rencontre Ninomiya, un garçon mal aimé parce qu’il fait des grimaces à des moments inopportuns et un lien spécial se forme entre eux.
Le parcours de la fillette qui grandit est montré avec beaucoup de douceur, malgré les aléas de la vie. Nikuko, elle, est l’élément (tragi-)comique qui jaillit à tout moment. Elle exalte la joie de vivre et est heureuse, sans vraiment se rendre compte du monde qui l’entoure. A chaque fois qu’elle apparaît, il y a une explosion de couleurs, et les images pétillent. Elle est représentée de manière assez cartoonesque, comme un bidibule qui tient à peine sur ses pattes. Kikuko est représentée de manière beaucoup plus sobre et réaliste. Elle traverse des paysages finement dessinés, donnant une image de carte postale du Japon. Le village et la baie vus de haut sont tout simplement superbes et donnent envie d’y séjourner. Certains plans renvoient à Mon voisin Totoro, comme cette attente à l’arrêt de bus ou quand Nikuko dort avec la bouche ouverte… comme un gros Totoro.
C’est un film plaisant, léger, très drôle par moments (mais est-ce vraiment drôle de se moquer de l’obésité, même quand le personnage en question se sent bien dans sa peau ?). Il ne se passe pas grand-chose mais ce n’est pas très grave, et le miracle qui est mentionné dans tous les résumés de présentation tombe à peu à plat dans le dernier tiers du récit. C’est un très joli film d’animation sur le passage de l’enfance à l’adolescence ainsi que sur la résilience et l’espoir d’une vie meilleure. (ASDS)
La chance sourit à Madame Nikuko, Ayumu Watanabe
Japon – 2021 – 96'
Projection le dimanche 6 mars à 21h30, en clôture du festival à Flagey
« Josée, le tigre et les poissons » de Kotaro Tamura
N’ayant jamais pu marcher, Josée a retiré de sa situation la liberté de se définir comme elle l’entend. Son prénom très peu japonais lui a été inspiré par Françoise Sagan. Ses journées consacrées à la lecture et au dessin ont fait d’elle une personne souverainement indépendante quoique limitée dans ses aspirations. Dotée d’un imaginaire foisonnant dont ses dessins portent l’empreinte, elle se rêve sirène fendant les eaux dans une nuée de poissons multicolores. A cet égard, la chambre et la maison qu’elle partage avec sa grand-mère sont comme un sanctuaire. Aussi lorsque cette dernière prend à son service un étudiant féru de plongée, l’événement a tout d’une intrusion. Josée, qui n’avait jamais socialisé avec personne d’autre que son chat acariâtre (ce qui, loin d’être anodin, témoigne de sa capacité à nouer des relations avec des êtres très différents d’elle), se voit soudain propulsée dans un monde d’émotions inédites.
Josée, le tigre et les poissons n’est pas la première adaptation de la nouvelle éponyme publiée en 1984 par Seiko Tanabe (Janina Tomimoto pour la traduction française en 2017). Dans son approche personnelle, le réalisateur a tenu à désencastrer le handicap des représentations morbides qui s’y rattachent communément. Racontée du point de vue de Josée, l’histoire offre une synthèse délicate de réalisme et de fantasme. Triste réalité d’une personne privée de l’usage de ses jambes, l’exclusion se voit ainsi largement tempérée par la personnalité hors du commun de l’étudiant. Ce jeune homme qui a tout du « prince charmant » des contes traditionnels se voit heureusement renvoyé à un rôle plus modeste par une héroïne bien décidée à ne pas s’enfermer dans celui de la jeune fille fragile et passive. Sur ce présupposé mis en scène avec humour dans un scénario qui ne fait pas mine d’ignorer ses enjeux, on peut sans trop d’arrière-pensées se laisser emporter par une romance qui prend le parti du travail de la volonté comme celui de l’imagination dans une traitement pictural de haut vol. (CDP)
Josée, le tigre et les poissons, Kotaro Tamura
Japon – 2020 – 98'
Projection le samedi 26 février à 14h et le samedi 5 mars à 19h, à Flagey
« Belle » de Mamoru Hosoda
Très jeune, Suzu a vu sa mère se noyer en sauvant la vie d’un autre enfant. Une perte équivalant à un abandon pour la petite fille qui par la suite a cessé de chanter, ne mangeant plus guère et parlant peu. Restée seule auprès de son père, voici qu’à 17 ans elle offre l’apparence effarée de la peine et de l’envie, comme si rien de ce qui mettait ses camarades en joie ne pouvait la concerner.
Un environnement complexe s’ouvre à elle lorsque son unique amie, lasse de la voir se morfondre, l’inscrit de force sur U, une communauté virtuelle fondée sur les données biométriques de ses adhérents. Dans le monde de U, Suzu se métamorphose en Belle. Le rose de sa chevelure, l’éclat de ses robes, son maquillage élaboré et sa voix enchanteresse composent un personnage pas si éloigné d’elle. Belle, c’est Suzu sans la tristesse et les inhibitions.
Les adolescents font corps avec leurs problèmes, tendance que renforce l'absence de figures parentales, également défaillantes et immatures. Puisque le monde des adultes en tant que principe de réalité se dérobe, le combat d'émancipation se livrera sur un territoire de fantasmes et de délire. Les réseaux sociaux sont ce vaste champ de bataille. (CDP)
Belle, Mamoru Osada
Japon – 2021 – 122'
Projection le samedi 26 février à 21h30 et le vendredi 4 mars à 16h30, à Flagey, ainsi que le jeudi 3 mars à 21h15 au Palace
« Où est Anne Frank » d’Ari Folman
Longtemps, par l’exercice de sa seule imagination, Anne Frank est parvenue à tenir en respect la terreur de son quotidien de recluse dans l’Annexe, appartement clandestin aménagé à l’arrière de l’entreprise amstellodamoise dont son père était propriétaire. Cette capacité de résistance qui s’exprima au travers de la rédaction du désormais célèbre Journal, Ari Folman la dote aujourd’hui d’un corps et d’une voix en la personne de Kitty, amie imaginaire de la jeune fille. À charge de ce témoin tout droit sorti du texte d’interroger les répercussions des politiques migratoires sur les enfants des pays en guerre.
Au fil des rencontres et d’un périple qui l'entraîne fatalement jusqu’au camp de Bergen-Belsen en Allemagne, lieu du décès d'Anne Frank au printemps 1945, c'est avec l'émotion que l'on devine que Kitty découvre tout ce qu’un enfant qui ne connaît rien de la Solution finale serait amené à apprendre.
Entre-temps, son statut de fugitive aura rapproché la jeune fille d'une catégorie de la population avec laquelle elle partage la condition de fantôme. Des familles entières vivant dans la clandestinité, souffrant de la faim et du froid, tremblant d’être découvertes par la police et renvoyées dans leur pays : les demandeurs d’asile et les sans-papiers.
Le constat qui s’ensuit est triste et d’autant plus tranchant que posé avec une grande douceur : à voir ce qu’endurent quotidiennement les migrants, en dépit des foules qui s’amassent devant les portes du musée, l’héritage d’Anne Frank s’est perdu. Voici la martyre devenue symbole d’un oubli : l’industrie de la mémoire est sa nouvelle prison. Au final, lorsque Kitty disparaît à son tour, elle laisse derrière elle une ultime question. Dans un monde qui rejette et traque les exilés, faut-il se mettre hors-la-loi pour que le Journal soit davantage qu’une relique privée d’âme ? (CDP)
Où est Anne Frank ?, Ari Folman
Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Israël – 2021 – 99'
Projection le mercredi 2 mars à 16h30, à Flagey
« Charlotte » d’Eric Warin et Tahir Rana
« C’est toute ma vie » aurait dit Charlotte Salomon des quelques 800 gouaches qu’elle acheva de peindre entre 1940 à 1942 tandis qu’elle séjournait en secret à Villefranche-sur-Mer. Née en 1917 à Berlin dans une famille juive aisée, l’artiste peintre mourut l’année suivante à Auschwitz. Elle avait 26 ans. Son autobiographie en images intitulée Leben ? oder Theater ? (Vie ? ou Théâtre ?) fut assurément un geste de conjuration, mais pas uniquement sur le front de l’antisémitisme et de la guerre. Ayant passé son enfance dans une relative insouciance, Charlotte Salomon finit par apprendre que sa tante, dont elle portait le prénom sans le savoir, et sa propre mère, prétendument morte de la grippe quand elle-même n’avait que neuf ans, s’étaient toutes deux suicidées. Ces révélations tardives sur sa lignée maternelle firent craindre à la jeune femme de succomber à son tour à la malédiction familiale. Angoisse renforcée par les rapports incestueux que lui imposait son grand-père dans l’impunité d’une époque troublée. Pour se préserver de la folie, l’artiste imagina une forme d’expression très moderne, vive en couleurs, mêlant dessin, musique et fragments de textes.
Aujourd’hui ces travaux sont conservés au Musée de l’Histoire Juive à Amsterdam. Parallèlement la vie de l’artiste a inspiré de nombreuses œuvres dans la littérature (David Foenkinos, 2014), au cinéma (Frans Weisz, 1981), à l’opéra (Marc-André Dalbavie, 2014), ou encore au théâtre et au ballet. À l’heure où l’héritage artistique des femmes est devenu l’objet d’une grande attention, le film d’Eric Warin et Tahir Rana rend hommage à l’acte de créer dans la tourmente. Cependant aucun fil narratif ne semble prévaloir au sein d’un récit qui croise pas mal de problématiques plus que jamais contemporaines : racisme, violence contre les femmes, santé mentale, mais aussi travail des artistes, spécificité et modernité de l’œuvre de Charlotte Salomon. Les diverses étapes du parcours de l’artiste s’enchainent de façon linéaire et purement illustrative. Seules les peintures représentées proposent un intéressant basculement de style au cœur d’une animation qui s’en trouve par ailleurs dépourvue. Prise en étau entre une volonté de pudeur et la nécessité de dire, le film n’avoue que sa propre impuissance à s’emparer d’une histoire que nul à ce jour n’aura mieux mise en scène que Charlotte Salomon elle-même. (CDP)
Charlotte, Eric Warin et Tahir Rana
Canada, France, Belgique – 2021 – 92'
Projection le lundi 28 février à 22h et le vendredi 4 mars à 19h30, à Flagey
« Archipel » de Félix Dufour-Laperrière
Une silhouette féminine se découpe sur fond noir ; elle révèle les images filmées d’un fleuve et un pan de ciel bleu. Archipel serait-il un voyage dans les îles du Saint-Laurent, au Québec ? Il y a de ça, mais bien plus dans ce film d’animation qui combine diverses techniques hybrides, du dessin crayonné, de l’animation à l’ordinateur, de la gouache, des images filmées, des archives. Un texte omniprésent, sous forme d’une conversation entre un homme et une femme, parle du fleuve, mais aussi d’autres choses, de sujets politiques ou philosophiques. Certains passages sont oniriques, hypnotiques même, d’autres se perdent un peu, le récit traînant en longueur et la voix envahissant l’écran. Félix Dufour-Laperrière a créé un ovni extrêmement inventif, un objet expérimental et poétique, qui a peut-être plus sa place sous forme d’installation dans un musée ou une galerie que sur un écran de cinéma. (ASDS)
Archipel, Félix Dufour-Laperrière
Canada – 2021 – 72’
Projection le dimanche 27 février à 22h et le mercredi 2 mars à 20h à Flagey
« Trois histoires de Cowboy et Indien » de Vincent Patar et Stéphane Aubier
Revoilà les célèbres personnages en figurines plastiques et plasticine animées qu’on connait depuis au moins depuis Panique au village (sorti déjà en 2002-2003) pour trois nouveau épisodes ! Le petit hameau de deux maisons, celles qu’habitent Cowboy (ou Coboy), Indien et Cheval d’un côté et la ferme de Steven, Jeannine (mais quid de leur fille Bénédicte ?) et leurs animaux de l’autre, traversé par une route en contrebas dont la circulation est réglée par Gendarme qui vit dans sa guérite-maison.
Dans La bûche de Noël, Indien et Cowboy sont tellement surexcités à l’idée de recevoir leurs cadeaux de Noël via la cheminée qu’ils saccagent la buche amoureusement préparée par Cheval. En rupture de stock au magasin, nos deux lascars décident de s’en procurer une coute que coute, quitte à se fâcher avec le voisinage Et le Père Noël
Ayant fait preuve d’une remarquable obstination, Indien et Cowboy ont réussi leurs examens ? En récompense Cheval leur a promis des tickets pour La foire agricole mais chute dans un accident avant de les leur donner. Mais c’est sans compter le « génie scientifique intrépide » de nos deux trublions qui vont devoir jongler avec les lois étranges de l’espace-temps…
Une science à nouveau sollicitée dans la La rentrée des classes, où cette fois, TOUS les moyens sont bons à nos deux amis pour remporter le grand concours qui les mènera sur la Lune !
Au-delà des subtiles améliorations techniques (virtuelles) apportées à leur petit univers trépidant (ah ces voix et accents tonitruants …), on vérifie à nouveau que l’adage « les enfants sages n’ont pas d’histoire » et que nos deux figurines de western domestique sont prêtes à tout – y compris moult petites bassesses pour arriver à leur fins (mais plus souvent droit dans le mur !). Mais on fera, plutôt deux fois qu’une, attention aux innombrables clins d’œil et détournements cinématographiques et télévisuels (la saga des Retour vers le Futur, L'Aventure fantastique, Il était une fois la vie…), et aux multiples détails et références humoristiques peuplant les mini-décors de ces trois épisodes (les posters de la chambre). Question subsidiaire : mais pourquoi mettre autant de lapins dans les prairies entourant le village ? (YH)
Trois histoires de Cowboy et Indien, Vincent Patar et Stéphane Aubier
Belgique, France – 2021 – 75’
Projection le mardi 1er mars à 14h au Palace
Une sélection de Catherine De Poortere, Anne-Sophie De Sutter et Yannick Hustache
Cet article fait partie du dossier Sorties ciné et festivals.
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