Fovento – l’émergence d’une nouvelle forme de bénévolat
Sommaire
Fovento, quésaco ?
Fovento est une association sans but lucratif dont l’outil principal est une plateforme en ligne. L’objectif est de connecter des bénévoles issus du monde de l’entreprise à des associations culturelles et socioculturelles. Cette initiative permet de faire profiter le secteur associatif des compétences propres à des individus issus d’un autre domaine et qui fonctionnent avec d’autres manières de voir et de faire. Fovento donne aussi l’occasion aux bénévoles de se sentir utiles en s’investissant dans des missions diverses et d’exaucer un besoin de sens qu’ils estiment difficile à trouver dans leur activité professionnelle.
Aux commandes de cette initiative citoyenne ce sont de jeunes travailleurs issus du monde de l’entreprise qui, sortis de l’université il y a quelques années, ont vu leurs ambitions professionnelles évoluer au fur et à mesure de leur jeune carrière. Le souhait d’autonomie financière, désormais satisfait, a laissé place à de nouvelles aspirations liées à de nouvelles préoccupations. Ces jeunes trentenaires veulent croire en une société plus juste et sont soucieux des nombreux enjeux auxquels elle fait face. Derrière leur engagement auprès de ce projet, qui se veut avant tout citoyen, se cache une volonté ferme de contribuer au développement d’une société meilleure.
Concrètement, Fovento réunit trois bruxellois en charge de l’asbl et plus de 350 bénévoles inscrits dans une base de données. Le système fonctionne plutôt bien, puisque plus d’une soixantaine de missions ont déjà abouti et qu’une vingtaine restent encore à accomplir. Toutefois, selon Christophe Swaelus (membre de l’équipe Fovento), l’association peut encore faire mieux. La difficulté est de passer la porte de ce nouveau monde et de communiquer.
Actuellement, c’est en grande partie via le bouche-à-oreille que Fovento remplit son carnet d’adresses. « Nous devons prospecter dans un milieu que nous ne connaissons pas, avec notre regard du secteur privé. Lorsque nous contactons les asbl, deux questions reviennent régulièrement. Quel est le business model qui se cache derrière Fovento ? Et, quels sont les besoins des associations que nous contactons ? » Il est vrai qu’en plus d’une certaine méfiance sur la manière dont Fovento trouve son compte au sein de ce processus, les associations ont souvent quelques soucis pour définir précisément les actions concrètes qui pourraient faire l’objet d’une mission et contribuer efficacement à l’amélioration de leur activité.
Chez Fovento, définir clairement la tâche à accomplir est pourtant une condition essentielle pour la réussite de la collaboration entre une association et un bénévole. Que nous révèle cet axe majeur du déploiement de leur action ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes penchés sur une part fondamentale du bénévolat : l’engagement.
L’engagement post-it
Le discours de Fovento interpelle. Il y a la conscience de l’engagement citoyen, l’envie de prendre part, de se responsabiliser au sein de la collectivité. Il y a aussi paradoxalement, une certaine mise à distance, un contrôle de ce que l’on a envie de donner, qui différencie l’engagement de l’acte militant.
Dans le paysage belge du volontariat, Fovento est l’un des représentants d’un tournant opéré par une nouvelle génération. Il est le témoin d’un changement dans les manières de s’engager. Là où les bénévoles d’hier s’engageaient sur le long terme au sein d’associations militantes qu’ils choisissaient pour leur identité et dont ils revendiquaient les valeurs, aujourd’hui, la tendance est à l’engagement pragmatique, individualisé, qui fluctue selon les envies (donc à court-terme). Dans un rapport de la Plateforme francophone du Volontariat, on parle d’un « engagement zapping qui n’implique pas forcément d’adhérer au projet et au fonctionnement de l’association (…). Un engagement post-it, en fonction du vécu de l’individu qui va se coller à une association durant un temps déterminé pour aller se coller ailleurs par la suite. » Cela peut paraître éloigné de ce qu’est à l’origine le bénévolat ainsi que de l’image qui persiste dans l’imaginaire collectif. C’est-à-dire, celle qui le place du côté de la solidarité plus que de la charité comme le précise la sociologue Estelle Durand. Dans cette nouvelle optique, les bénévoles placent leur désir de réalisation personnelle sur le même pied d’égalité et parfois même au-dessus des bénéfices qu’ils pourront apporter à l’asbl par leur action.
Mais alors, lorsque la promotion de nos désirs et de nos besoins s’invite audacieusement dans l’équation, cela ne pose-t-il pas une question d’ordre éthique portant atteinte à la beauté du geste gratuit ? Certains préfèrent d’ailleurs le modèle d’autrefois. Il n’en reste pas moins qu’avec l’arrivée de cette nouvelle manière de s’engager, on a observé une hausse du nombre de bénévoles. Plus encore, il semblerait que leur volatilité entraîne plus d’efficacité et d’exigence envers eux-mêmes !
Jacob Atangana-Abé, dans un rapport sur la gestion des bénévoles dans les organismes à but non lucratif, distingue différents profils de volontaires en se basant sur deux critères : la nature des tâches effectuées et le temps qui leur est consacré. Si on applique sa grille d’analyse à la base de données de Fovento, il apparaît que la catégorie dans laquelle se situe les membres de l’association correspond à ce que l’auteur nomme « les bénévoles de prestige ». Ce sont des personnes qui s’impliquent occasionnellement et qui sont actives dans la stratégie organisationnelle de l’association plus que dans des tâches opérationnelles.
Finalement, mettre l’accent sur la tâche à accomplir c’est en quelque sorte entrer dans cette nouvelle logique d’engagement post-it, qui, si elle est parfois regrettée par le secteur associatif, profite pourtant de manière équitable aux deux partenaires. C’est également ce critère de spécificité de la mission demandée qui clarifie la limite, souvent fragile, entre le travail et le « coup de main ». Fovento est catégorique à ce sujet, le bénévole ne peut pas excéder les 15 heures par mission. Il s’agit bien de proposer des contributions ponctuelles afin de permettre aux associations de grandir et à terme, nous dit Christophe Swaelus, favoriser l’emploi.
Travail, bénévolat, une frontière ténue
Cette vidéo lancée en 2015 a été créée lors d’une campagne par la Plateforme francophone du Volontariat. Elle clarifie la frontière qui existe entre le volontariat et l’emploi. Le message est clair : le bénévolat et l’emploi ne sont pas à opposer, ils sont complémentaires. De plus, le volontariat permet étonnement la création d’emplois. Pourtant, n’est-il pas justement un concurrent redoutable dans un secteur économiquement fragilisé ? Emmeline Orban, secrétaire générale de la Plateforme francophone du Volontariat, a répondu à notre question :
« Les syndicats ont longtemps craint le développement de l’activité volontaire. Aujourd’hui le message est plus positif. En effet, des études ont démontré que l’activité volontaire a généré la création de nombreux emplois. Selon plusieurs études, les emplois dans le non-marchand ont continués à croître alors que dans d’autres secteurs la création d’emploi stagnait. En 2010, la part de l’emploi salarié dans le secteur [non-marchand] en Belgique atteignait presque 12% du total de l’emploi en Belgique. Ces emplois sont d’ailleurs toujours gérés par des administrateurs volontaires. Ils seraient plus de 80.000.
Néanmoins, ces données ne doivent pas faire oublier qu’il existe parfois une confusion entre l’emploi et le volontariat. En contexte de contrainte budgétaire, comme c’est le cas depuis quelques années, conserver des emplois rémunérés est un véritable défi. En créer est encore plus ardu. Les besoins quant à eux sont toujours aussi présents, souvent de plus en plus pressants. Le bénévolat a toujours été une alternative, un moyen de pallier les failles d’un système. Il faut également pointer que si historiquement, les volontaires s’engageaient là où il n’existait rien, aujourd’hui, les volontaires doivent de plus en plus s’engager là où l’Etat s’est retiré. Le problème n’est donc pas de recourir au bénévolat. Le problème est de recourir au bénévolat parce qu’il est une main-d’œuvre gratuite, sans envisager son apport spécifique, sa plus-value pour l’organisation et pour le projet. Le bénévole ne doit pas être considéré comme une main-d’œuvre gratuite, comme un employé sans salaire.
Ce ne sont ni la fonction ni le niveau des responsabilités ou de compétence qui déterminent si l’activité doit être rémunérée ou pas. Par exemple, un médecin rémunéré peut devenir médecin bénévole dans un contexte de premiers secours ou de volontariat international. Il est donc essentiel pour une organisation (et les pouvoirs publics) de déterminer quel est l’apport spécifique du volontariat, au-delà de sa gratuité. »
Dans ses propos, Emmeline Orban insiste sur l’importance des raisons pour lesquelles une structure fait appel à des bénévoles. Elle insiste également sur l’apport spécifique du bénévolat en rappelant « qu’il y a une valeur sociale à ce qu’une série d’activités soient réalisées en dehors d’un cadre mercantile ». C’est l’idée que tout ne peut pas être marchand. C’est aussi l’ambition d’une alternative coexistant avec le modèle de travail dominant (le salariat), qui rejoint en fait l’aspiration de départ des membres de Fovento, la volonté de contribuer à l’évolution vers une société plus solidaire. C’est beau, oui, mais cela suscite encore quelques questionnements avant de clôturer ce sujet intarissable…
Engagement citoyen et bénévolat, une fatalité ?
S’engager professionnellement dans une asbl n’est pas une voie facile. Le secteur est saturé bien que le travail n’y manque pas. Y décrocher un contrat est comme trouver une aiguille dans une botte de foin. Une fois trouvée, les bénéfices personnels se situent plutôt dans le plaisir que l’on pourra trouver dans la fonction, plus que dans les chiffres qui figurent sur la fiche de paie à chaque fin de mois.
Pour se sentir en accord avec son rôle de citoyen et vivre correctement, le bénévolat en complément d’une activité professionnelle est-il la solution la plus adéquate, comme le propose Fovento finalement ?
Selon Emmeline Orban : « Il existe de nombreuses manières d’exprimer son engagement citoyen via par exemple les canaux que nous utilisons pour nous exprimer dans l’espace public, via les pétitions, les cartes blanches, les blogs, les élections, ou un travail qui défend un projet de société et des valeurs démocratiques ou encore en étant attentif à son propre mode de consommation. Les formes de participation sont en constante évolution et la créativité y est à l’honneur. Il est vrai cependant que les associations restent un vecteur essentiel de l’engagement citoyen. Une enquête menée en 2016 auprès de plus de 1600 Français âgés de 15 ans et plus révèle que 40% d’entre eux considèrent l’engagement bénévole au sein d’associations comme la première action collective pouvant nettement contribuer à améliorer le fonctionnement de la société. »
C’est vrai, il existe mille et une façons de vivre la citoyenneté. Il faut opérer des choix pour la vivre en accord avec soi-même. Fovento est une option parmi d’autres et remplit parfaitement la mission qu’elle s’est donnée en pensant par analogie et en ouvrant le dialogue entre plusieurs champs complémentaires.
Alicia Hernandez-Dispaux
Site web de Fovento : http://www.fovento.be/
Site web de la Plateforme francophone de Volontariat : http://www.levolontariat.be/
Cet article fait partie du dossier Le travail et l'argent.
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