Gérard Preszow : faire entendre William Cliff
- PointCulture : Le film date déjà d’il y a vingt ans et plutôt du début de votre activité de cinéaste. Pouvez-vous en expliquer un peu l’origine (d’où est venue l’envie, le besoin de le tourner ?) et le replacer dans votre parcours de cinéaste ?
- Gérard Preszow : À vrai dire, le film est le fruit d'un double parcours. Sur le plan cinématographique, il est le second (et sans doute le dernier) que j'ai tourné en 16 mm avec une équipe « traditionnelle » : quelqu'un à l'image, au son, à la lumière, un machino, etc. Avant cela, il y eut La Sainteté Stéphane (1961-1986), un portrait du peintre Stéphane Mandelbaum. L'autre plan est littéraire : pendant près de dix ans, j'ai animé et dirigé une revue littéraire et plastique Revue et Corrigée. À la faveur de cette expérience, j'ai rencontré le poète Antonio Moyano qui, à son tour, m'a fait rencontrer le poète William Cliff chez qui, désormais, je me rendais le lundi pendant des années pour des séances de lecture. Et c'est donc de mon goût – si pas ma fascination – pour la manière de William de dire ses poèmes que m'est venu le désir de réaliser William Cliff, poëte. C'était aussi l'occasion d'assister à l'éclosion de son œuvre.
- William Cliff, poëte me paraît être un vrai « film de cinéaste », qui à la fois refuse les carcans et les normes du documentaire télévisuel (c’est-à-dire un certain didactisme et la durée standardisée de 52 minutes) et ose consacrer plus de vingt de ses trente minutes à William Cliff lisant de larges extraits de deux de ses ouvrages et une lettre de Conrad Detrez… Comme si l’écriture et la lecture étaient bel et bien la matière première principale du film.
Oui, faire entendre cet écrit-là est bien l'enjeu du film. Et la bataille avec moi-même aura été d'oser un film minimaliste qui tient le cadre serré à hauteur des mots. — Gérard Preszow
- Par ce choix fort (de privilégier la présence,
à l’écran ou en voix off, du poète qui lit), votre film m’apparaît à la fois
comme assez simple, fort, cohérent et comme très inventif, se permettant de
greffer sur cette ossature très claire une série de surprises qui viennent (en
plus du contenu même des lectures de Cliff) casser le risque de monotonie. Un
peu comme en musique, sur une rythmique ou une ligne de basse, viennent
s’articuler des variations mélodiques, des contrepoints, etc.
- Que dire, sinon que de mon peu de culture
musicale, j'aime Bach par dessus tout, le Bach épuré, immortel. Notre
contemporain.
- Pouvez-vous éventuellement dire quelques mots des « personnages secondaires » du film : Conrad Detrez très présent hors champ ou, dans l’image, le chanteur connu ou les incarnations des différentes langues et traductions (langue des signes, arabe, catalan, néerlandais, etc. ) ?
J'ai eu la chance d'assister à l'avancement de l'écriture de recueil de William consacré à l'écrivain Conrad Detrez, un ami à lui mort du Sida. Ce livre aux éditions du Dilettante, qui se nomme tout simplement Conrad Detrez, William l'écrivait à la manière du poète de la renaissance lyonnaise, Maurice Scève, faisant le pari d'un « livre cube », de dix fois dix dizains ! D'ailleurs, c'est assez comique : je retrouve à l'instant la dédicace qu'il m'avait faite et qui disait : « À G.P. Cette toccata dont il entendit les premières notes et dont l'oreille, j'espère, aimera les suivantes... »
- Un autre fil rouge secondaire du film me semble être l’inscription du corps du poète dans l’endroit où il vit et travaille, dans son immeuble, son appartement sous les toits ou les trottoirs de son quartier…
- Une manière de jouer la caricature du poète dans un espace « baudelairien », sous les combles, seul face à l'immensité
- Le cours du film est interrompu à deux ou
trois reprises, par des moments de rupture au niveau de sa bande-son, soit du
côté du silence, soit au premier tiers du film par le son mécanique tonitruant d’une machine qui est
assez violente dans ce qu’elle représente dans le monde du livre et de
l’édition…
- Autrement dit : on est bien peu de choses...
- Vingt ans après la réalisation du film,
comment le regardez-vous rétrospectivement ? Que vous a t’il permis de
faire par la suite ? Le referiez-vous de la même manière
aujourd’hui ?
- La radicalité de ce film (L'Homme atlantique
et son écran noir ayant déjà été tourné par Marguerite Duras) m'a contraint à
retourner vers le monde et à prendre, pour la première fois, sous l'impulsion
de mon opérateur - Jorge León - et de mes producteurs – les frères Dardenne –
la caméra pour réaliser À l'école de la Providence (en 2000).
Interview réalisée par e-mail en septembre 2018
Philippe Delvosalle
Le poète William Cliff, le cinéaste Gérard Preszow et le chanteur Noé
seront tous trois présents
Le Mardi 2 octobre à 18h
au PointCulture ULB Ixelles :