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Gurshad Shaheman (Pt.2) | Partitions sur les traversées

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Avec Gurshad Shaheman, l’interview se poursuit. Entre souvenirs et dramaturgie musicale, le théâtre continue son chemin, loin, très loin des sentiers (a)battus…

Beaucoup de tes spectacles parlent, et on comprend parfaitement pourquoi, de mouvements, de migrations, du « laisser derrière soi ». Mais en contrepoint sont aussi présents ceux qui restent. Pourquoi ne pas écrire sur ceux qui restent ?

Je ne sais pas s’il y a une binarité entre les gens qui partent et les gens qui restent. Je crois que le déplacement peut être intérieur… En réalité, ce qui m’intéresse, ce sont les trajets. Pas l’immobilité. C’est montrer l’avancée, l’évolution. C’est lorsque tu luttes contre des éléments qu’un récit advient. C’est dans l’antagonisme que je trouve mon théâtre… (un temps)

Tu sais, on écrit toujours la même chose… Quand j’ai écrit Il pourra toujours dire que c’est pour l'amour du prophète, je parle de personnes que je ne connais pas et je prends, dans la vie des autres, ce qui me touche. Et ce qui me touche, c’est ce que je suis à même de comprendre et d’analyser. Donc, ça veut dire que c’est quelque chose que j’ai aussi vécu.

Je n’ai jamais connu la stabilité. En Iran, à l’âge de 8 ans, on avait déjà déménagé 8 fois. Je n’ai pas d’ami d’enfance parce que je changeais d’école deux fois dans l’année. D’ailleurs, après l’Iran et jusqu’à ce que j’arrive à Bruxelles, je déménageais tous les ans ou tous les deux ans. Je connais des gens qui vivent toute leur vie dans la maison où ils sont nés. Ça ne me parle pas trop tout ça, je ne le comprends pas vraiment. Ce que je comprends, c’est quand tu es trimbalé et comment tu te construis sans avoir des pierres sur quoi t’inscrire. Mes ancêtres, je ne les connais pas. Je n’ai ni arbre généalogique, ni terre, ni maison.

Avoir de la stabilité te semble ennuyeux ?

Avoir une stabilité, c’est sans doute quelque chose de très beau, je ne le sais pas. J’ai la conviction profonde que dans toute vie, il y a, avec plus ou moins d’intensité, la même somme de déceptions, d’aspirations, de regrets, d’amour… Mais on est tous, quel que soit notre âge, notre genre, nos origines, représentatifs d’une part de l’humanité dans son entièreté. Les récits qui me parlent sont tumultueux. Ce qui m’intéresse, c’est quand tu es pris dans les vagues et que tu t’accroches à une planche. Tout ce que je raconte, c’est ça…

Tes récits sont factuels, fragmentés. Tu accordes à la musique toute l’émotion que tu ne commentes jamais dans tes textes. C’est le résultat de 8 ans de travail avec le compositeur Lucien Gaudion. Comment ça se construit, une ligne dramatique musicale ?

Avec Lucien Gaudion, on est dans une osmose artistique totale. Dès la première proposition qui était sur Touch Me -première partie du spectacle Pourama, Pourama - la rencontre a été immédiate. J’ai écrit le texte et Lucien a enregistré ma voix. On parlait des émotions qu’il devait y avoir. Je suis complètement inculte en musique donc je lui parlais par images, par couleurs, par sensations et il a très bien traduit tout ça.

Aujourd’hui, nous nous connaissons tellement qu’il fait les propositions de lui-même. Sur Les Forteresses, il y a trois heures de bande son et on a très peu parlé. Les actrices traversent le texte et Lucien fait des essais. Je lui dis juste : « Oui, ça, ça me parle plus ».

Le son a trois fonctions essentielles dans mes spectacles. Parfois, il est présent pour juste placer le décor. Ce sont des ambiances comme sur la scène de bombardement. Il y a des avions mais ce ne sont pas des enregistrements d’avion. C’est du son synthétique. Parfois, il traduit la trame émotionnelle. Il est là pour guider l’écoute et pour emmener le spectateur vers l’émotion. Parfois, il est là comme contrepoint, comme la scène extrêmement violente d’Orange mécanique contrastée par un morceau classique. On jongle entre ces trois aspects.

C’est pour ça aussi que je dis souvent que je ne suis pas un metteur en scène. C’est parce que je laisse les acteurs et actrices, Lucien et les éclairagistes travailler ensemble. J’interviens après. ça ne m’intéresse pas de voir sur scène ce que j’ai dans ma tête. J’aime voir comment d’autres imaginaires se saisissent de ce que je leur propose et dont le retour va m’épater ou m’emmener ailleurs. Avec Lucien, c’est toujours comme ça. Il y a le texte et la musicalité qu’il entend. Parfois même, ses propositions peuvent changer quelque chose dans mon écriture. Ça devient un vrai aller-retour.

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Litanies - Hubert Amiel

Litanie, Les Forteresses, le chant est souvent présent…

(Il rit)… Merci, c’est gentil… C’est gentil de qualifier ça de chant ! Je massacre plutôt les morceaux dont je m’empare. C’est un vrai défi pour moi. J’ai beaucoup de difficulté à entendre la musique et à chanter. Dans Les Forteresses, c’est chanter qui m’angoisse le plus. Alors, pourquoi je le fais ?

Ce n’est pas par pur masochisme !

Je suis un auteur français, c’est vrai. Mais, je viens d’ailleurs. Le français est ma troisième langue. Ma première langue, ce n’est même pas le persan. C’est l’azéri. Les Forteresses parle de ma mère et de mes tantes. Ce sont mes trois mères. Elles sont sur scène et je voulais faire entendre cette langue que nous avons partagée et dans laquelle elles m’ont élevé… quitte à la massacrer, je m’en fous ! Mais je viens de là. Cette langue-là, elle est brimée en Iran. Il n’y a pas de livre, on ne peut pas l’enseigner. Toutes ces musiques populaires des années 50, elles sont interdites. Et… Je m’en fous que ce soit faux, que ça vous arrache les oreilles… ça, c’est à moi ! Ce sont les chansons qui me touchent le plus, j’ai le droit de m’en saisir de manière complètement amatrice comme mes trois mères font avec moi du théâtre amateur.

Après, je le fais très sérieusement. J’ai un coach merveilleux à Bruxelles qui s’appelle Jean Fürst. Il m’a fait faire un chemin énorme. Je ne désespère pas qu’un jour je puisse chanter bien. Je continue de prendre des cours… Mais c’est une longue discussion que j’ai avec Lucien, qui fait ma musique. Il me demandait « pourquoi est-ce que je ne les fais pas en play-back ? » Ou alors - « Pourquoi on ne prend pas une version karaoké ? » « Pourquoi tu veux chanter par-dessus la chanson originale? » C’est parce que la version karaoké, je vais être largué, j’ai besoin de me cadrer sur la voix du chanteur. Et, à un moment, il a compris. Je ne parle jamais pendant le spectacle, je ne dis pas un mot. Je suis l’oreille, j’écoute et ma réponse, ce sont les chansons. Je trouvais ça bizarre que l’on vienne voir un spectacle que j’ai écrit et où je suis sur scène et qu’on ne m’entende jamais. De plus, j’aime cette opposition entre ces chansons anciennes - presque dialectales car cette langue est réduite à un dialecte alors que c’est une langue complexe - et le texte, très écrit, très français et travaillé. Le chant représente le rapport avec les origines de mon éducation.

Du 18 au 21 mai prochain, le spectacle participatif Silent Disco revient fouler le plancher du Théâtre Les Tanneurs. Un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte. Si vous n’avez pas encore rencontré l’univers de Gurshad Shaheman, précipitez-vous, vous n’en sortirez pas indemne !

Propos recueilli par Jean-Jacques Goffinon

Voir aussi, une interview du Pôle européen de la création.

Gurshad Shaheman est artiste associé au Théâtre Les Tanneurs.

Photographies:

Bannière : © Agnès Mellon

Silent Disco : © Alice Piemme

Litanie : © Hubert Amiel

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