Histoires de labels (1) : Analog Africa
« Je dirais qu’Analog Africa présente une musique du futur qui a été créée dans le passé. Parfois, elle est si futuriste et en avance sur son temps qu’il est difficile de croire qu’elle a été enregistrée dans les années 1970 ou même avant. Je voulais créer le label parce que beaucoup de gens se faisaient une idée de la musique africaine qui était très éloignée de la réalité. » — Samy Ben Redjeb - interview pour Rhythm Passport
Analog Africa, c’est l’aventure d’un homme passionné, d’un collectionneur acharné, d’un « crate digger » ou fouineur de bacs à disques. Samy Ben Redjeb, né à Carthage en Tunisie et basé à Francfort, a eu divers métiers avant de devenir patron d’un label : instructeur de plongée, puis DJ dans un hôtel au Sénégal et steward à la Lufthansa. Ces occupations lui ont permis de voyager en Afrique et de découvrir les musiques locales. Dans les années 1990, il s’est passionné pour les musiques d’Oliver Mtukudzi, mais quand il a voulu rééditer son premier album datant de 1977, il s’est heurté à un refus. Redjeb était un inconnu à l’époque et le management de Mtukudzi était persuadé qu’il y avait moyen d’en retirer plus d’argent que le montant proposé par Redjeb. C’est pendant une de ses visites à Harare, la capitale du pays, qu’il est tombé sur des disques du groupe Green Arrows. Il s’est lié d’amitié avec les musiciens et a finalement édité un premier album en 2007, créant par la même occasion un nouveau label, Analog Africa.
La situation politique au Zimbabwe l’a forcé à quitter le pays et il s’est retrouvé au Bénin. En 2008, il sort une première compilation qui donnera au label son empreinte particulière, African scream contest, un disque qui rassemble des chansons et musiques psychédéliques, très brutes, du Bénin et du Togo. Depuis lors, il a exploré les scènes de divers pays africains, du Ghana au Burkina Faso, du Cap-Vert à la Somalie ; il s’est tout particulièrement attaché à ressortir les chansons enregistrées par le fantastique Orchestre Poly-Rythmo de Cotonou.
Le label ne se limite pas à l’Afrique et a traversé l’Atlantique à la recherche de musiques qui ont mélangé les influences, qui ont été marquées par des siècles d’esclavage et qui ont intégré des éléments africains. Plusieurs disques présentent les musiques afro-colombiennes de la région de Barranquilla, ou les styles hybrides qui sont nés dans la région amazonienne du Brésil.
« Je n’ai pas de programme précis quant aux sorties chez Analog Africa. Pour être honnête, je reste fidèle à mes propres goûts. Cela reflète ce que j’aime et où je vais. L’année passée, j’ai listé tous les pays que j’avais visités et où j’avais cherché de la musique ; j’en ai comptabilisé 28. La plupart sont en Afrique, tandis que d’autres sont liés à la diaspora africaine ou ont été influencés par les sons africains. » — Samy Ben Redjeb - interview pour Rhythm Passport
Dès le départ, Ben Redjeb accorde une importance toute particulière à ses recherches et les explique en détail dans les livrets qui accompagnent chacun de ses disques. Il raconte ses aventures - souvent rocambolesques - dans les rues de Luanda ou de Cotonou ; il décrit ses fouilles dans des dépôts oubliés de vieux disques ; il détaille ses tentatives pour retrouver les ayants droits de chacun des morceaux – une recherche souvent oubliée par d’autres labels de rééditions ; et souvent même, il interviewe les artistes de l’époque, des artistes qui ont souvent changé de métier depuis. Il apporte également un soin particulier à la restauration des disques et au mastering.
Son label a contribué à la nouvelle popularité que connait aujourd’hui la musique africaine. Elle passe à la radio, les DJ jouent des disques et divers labels ont vu le jour depuis, mettant en avant des styles oubliés mais aussi des artistes actuels.
Le site du label: Analog Africa; et sur Bandcamp
Citations (traduites de l'anglais): Rhythm Passport
Texte: Anne-Sophie De Sutter
Cet article fait partie du dossier Histoires de labels.
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