Identité et appartenance : un peu de lumière
Les derniers épisodes migratoires ont exacerbé tous
les fantasmes d’invasion et de perte de « notre » territoire. Le roman
national a repris du service et a resurgi à la manière d’un texte sacré à
défendre coûte que coûte, en sortant les armes si nécessaire. Les identités
rigides "s’hystérisent". L’appel à fermer les frontières récolte pas mal de
suffrages, surfant sur la peur de l’autre. Tout cela repose sur des croyances
en une histoire nationale qui serait une sorte de nature inaliénable, une
essence distillée par le lieu où l’on naît et les générations qui nous y ont
précédées, avec l’illusion que l’histoire dont nous dépendons serait quelque
chose de figé, une vérité univoque inscrite une bonne fois pour toute dans le
marbre.
Or, il n’en est rien. L’histoire est une science qui bouge et explore
les mille et une manière de raconter les vies individuelles et collectives.
Elle ne délivre pas une vérité intangible des faits, petits ou grands.
L’histoire est libre. C’est ce qu’ont voulu montrer 122 historiens concernés par l’histoire de la France et regroupés
autour de Patrick Boucheron. On a tous
en tête la célébration du Gaulois par Sarkozy, pour justifier le rejet de ce
qui pourrait venir entacher cet héritage, ou l’exaltation des racines
chrétiennes comme début de la civilisation. Dans « Histoire mondiale de la
France », l’origine est située « 34.000 ans avant notre ère, avec
l’homme de Cro-Magnon et la grotte Chauvet.
« Une façon de désarmer les gaulois, de neutraliser les origines. » s’amuse Boucheron » (Libération, 11 janvier 2017), mais aussi de construire un récit plus hétérogène, plus polyphonique, plus mélangé. Cela propose d’autres bases pour repenser une « appartenance » qui ne soit pas excluante mais qui considère au contraire les héritages culturels comme des outils pour construire un devenir commun, accueillant et hospitalier. « L’histoire nationale ne m’intéresse pas tant que ça, mais l’émotion de l’appartenance, oui ! » admet Boucheron, mais libre à nous d’en inventer les modalités. « Sans culpabilisation, ni repentance, les 122 historiens proposent, sur le modèle de Jürgen Habermas, de réinventer « un patriotisme constitutionnel d’inspiration universaliste et ouvert à la diversité du monde. » Une façon de ne pas laisser les marchands de l’identité emporter la bataille. » (Libération) Un exercice salutaire, de savants éclairés, mais largement accessible, ces intellectuels ayant le soucis d’expliquer la complexité. Un exercice à conduire pas seulement en France, mais systématiquement dans chaque pays, chaque région. Comme ressources d’intelligence qui ne manqueraient pas d’intéresser nos responsables politiques.
Des liens, vers la presse écrite ou des podcasts :
Libération : "Une autre histoire de France est possible"
Le Monde / Livres : "Un courant d'air frais sur l'histoire de France"
France Culture / La Grande Table : "Quelles frontières pour le récit national?"
RCF / Livres : Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron
France Inter / L'Invité de 8h20 : Patrick Boucheron
Pierre Hemptinne
image : couverture du journal Libération 10 janvier 2017 (illustration (c) Tofdru)