Igor Stravinsky
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En l’espace d’un siècle, une approche musicale dite contemporaine s’est diversifiée en une multitude d’expressions qui continuent aujourd’hui à interpeler notre façon de comprendre la musique. Dans la mesure où le Festival «Ars Musica» de la saison dernière, a pu éveiller l’envie d’aller plus loin, pourquoi ne pas commencer un parcours initiatique par l’événement musical et chorégraphique qui devait, en 1913, faire trembler les fondements de l’esthétique musicale: le Sacre du Printemps de Stravinsky.
Le Sacre du Printemps fait partie de ces œuvres du XXème siècle qui ont fait scandale lors de leurs créations. Cet échec de la première représentation publique au Théâtre des Champs Elysées le 29 mai 1913, tout cuisant qu’il fut pour Stravinsky et ses collaborateurs Nijinski et Diaghilev, était en fait un signal prometteur à la mesure du changement profond qui commençait à s’opérer dans l’esthétique musicale du 20ème siècle. La musique classique, depuis sa naissance, a souvent évolué à coups de scandales et de réactions indignées qui, au siècle dernier, seront principalement dirigées contre les atteintes à une institution séculaire: la ligne mélodique. Depuis le scandale de «Pelléas et Mélisande» de Debussy à l’Opéra Comique en 1902 jusqu’à la représentation chaotique de «Déserts» d’Edgar Varèse au même Théâtre des Champs Elysées en 1954, sans oublier la catastrophique création du Quatuor à Cordes en ré mineur de Schoenberg à l’Opéra de Vienne en 1907 où l’on a frisé l’empoignade, les tentatives d’en finir avec les formes traditionnelles n’ont jamais pu emporter, à l’époque comme aujourd’hui d’ailleurs, l’adhésion totale du public.
Le Sacre du Printemps, par contre, connaitra le succès dans l’année même qui suivit la première et son compositeur finira par être porté en triomphe dans les rues de Paris. Stravinsky n’avait pas cherché à créer un nouveau système musical mais il avait réussi, au travers de ses «Tableaux de la Russie Païenne», à faire remonter des profondeurs les forces primitives et instinctives sur lesquelles des siècles de civilisation essayaient tant bien que mal de maintenir le couvercle. Sur ce point, les cinquante dernières années, avec l’explosion des expressions rythmiques dans les musiques savantes ou populaires, sauront lui donner raison en renouvelant sans cesse au Sacre sa pertinence au sein des musiques actuelles. En 1913, par contre, un sentiment de malaise doublé d’une sorte de peur sacrée face à ces rythmes instinctifs était relativement prévisible auprès d’un public nourri aux convenances sociales et dont une grande partie voyait, dans la musique wagnérienne déjà, la limite du supportable en matière d’avant-garde.
Autour du thème de la Russie Médiévale, le public aurait pu s’attendre à une touche de dépaysement et d’exotisme digne de celui qui fut l’élève de Rimski-Korsakov, mais Stravinsky devait creuser plus profond et trouver des racines plus universelles, sans âge, où la nature seule règne en maitre. Aucun discours linéaire ne relie entre elles les séquences rythmiques et les mélodies, tout semble monter de la terre dans une polytonalité foisonnante d’où se dégagent des agrégats de notes, martelés comme des «coups de poing» pour reprendre l’expression d’Olivier Messiaen, ce dernier allant jusqu’à identifier des «personnages rythmiques» pour souligner le caractère modulaire de l’œuvre. Le compositeur et ornithologue (comme Messiaen d’ailleurs) François-Bernard Mâche n’hésitera pas, de son côté, à établir des correspondances entre les structures rythmiques et mélodiques du Sacre et certains chants d’oiseaux que l’on peut justement entendre dans la région de Russie où Stravinsky le composa: «…de nombreux motifs du Sacre sont conçus dans le «style oiseau» comme dirait Messiaen: par exemple les glissandi en fusées…le thème lituanien de l’introduction, le petit staccato chromatique…ou encore les appogiatures de grands intervalles…»*.
Si le Sacre devait connaître un succès sans faille malgré ses débuts difficiles, ce sont surtout les chorégraphes et les danseurs qui en marquèrent les grandes étapes et firent la démonstration de l’universalité d’une œuvre à l’épreuve du temps et des modes. Du rituel païen de Diaghilev à la force sensuelle de Béjart en passant par l’expressivité dramatique de Pina Bausch, la musique de Stravinsky, qui a toujours su s’inspirer des sources les plus diverses et en réunir la quintessence, prête sa couleur et son dynamisme à toute forme de chorégraphie en gardant depuis près d’un siècle un rôle de passerelle entre divers approches musicales. Même si Walt Disney devait faire violence à Stravinsky en 1939 en s’emparant du Sacre pour l’intercaler dans Fantasia entre l’Apprenti Sorcier et la Symphonie Pastorale, on peut comprendre qu’il n’ait pu résister à la tentation d’exploiter le potentiel suggestif d’une musique dont les traits, vifs comme des coups de crayons, rendent la vue à nos oreilles.
Pour pénétrer le répertoire de la musique contemporaine qui est très vaste et ne cesse de s’enrichir, le Sacre du Printemps est une porte d’entrée idéale dans la mesure où bon nombre de développements plus audacieux et radicaux qui marqueront la musique du XXème siècle s’y trouvent déjà en germes. Afin de replacer l’œuvre dans son contexte musical et historique, quelques documents disponibles en DVD et en CD à la Médiathèque ont été sélectionnés pour leur clarté didactique et pour la richesse de leur documentation :
- Le Sacre du printemps- Wolfgang Manz & Rolf Plagge
Ce DVD présente une version pour 4 mains et une version pour orchestre avec le ballet du chorégraphe Uwe Scholz.
Le Sacre est présenté, analysé et commenté par le chef d’orchestre Michael Tilson Thomas qui la dirigea; s’appuyant sur une abondante illustration et des documents d’époque, il remonte aux sources inspiratrices de Stravinsky et reconstitue les circonstances du scandale de la première représentation. Ce DVD documentaire constitue une initiation passionnante à l’œuvre et à la vie du compositeur; il est en anglais sous-titré en français.
- Stravinsky - A National Film Board of Canada Release
Même si ce DVD est uniquement en anglais, il représente une compilation d’archives unique sur la carrière de Stravinsky. Il s’adresse à ceux qui chercheraient à connaitre davantage sa personnalité.
- Orchestral Music in the 20th Century, vol 2
Un autre chef d’orchestre, Simon Rattle, nous invite à découvrir le Sacre dans sa première version; il aborde aussi les œuvres de compositeurs importants comme Ligeti, Messiaen ou Varèse. Ce document s’inscrit dans une série de 7 DVD ( de GD5244 à GD5250) offrant un panorama complet et captivant de la musique contemporaine. En anglais avec sous-titres.
- Du Son à l’Œuvre Bernard Fort et Philippe Godin
Une étude plus pointue mais au combien pertinente de la problématique du son dans le musique contemporaine; une véritable initiation avec un livre, un lexique, une analyse des œuvres reprises sur le CD avec témoignages de compositeurs. Même si elle concerne ici principalement les compositeurs de la seconde moitié du XXème siècle, cette synthèse replace la réflexion dans le paysage général de l’histoire de la musique.
Voir aussi:
Jacques Ledune