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Il était une fois… la Fédération de conteurs professionnels

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C’est dans la maison Autrique, petit bijou architectural de style Art Nouveau situé au cœur de la commune de Schaerbeek, que nous avons rencontré plusieurs membres de la Fédération de conteurs professionnels. Cette année, elle fête ses quinze ans et pour l’occasion, les conteurs prennent la parole pour lui rendre hommage.

Sommaire

Un conte est un miroir où chacun peut découvrir sa propre image. — Amadou Hampâté Bâ

La Fédération de conteurs professionnels

Depuis 15 ans, la Fédération de conteurs professionnels veille à faire exister la pratique du conte en Fédération Wallonie-Bruxelles. Son ambition consiste à travailler à la reconnaissance des conteurs, encore trop méconnus du grand public aujourd’hui, en structurant leurs actions et en les accompagnant dans leurs pratiques. C’est d’ailleurs un vrai challenge que l’association s’est lancée, lorsque l’on sait la persistance de certaines idées dans l’imaginaire collectif. Le conte, s’il est souvent ludique, n’est pas seulement réservé aux enfants, il est également (et presque avant tout) un formidable outil de divertissement et de réflexion pour le public adulte. À ce titre, il mérite qu’on le (re)découvre, que l’on s’y attarde et qu’on l’intègre de plus en plus dans notre quotidien.

Défendre le métier de conteur, promouvoir leurs créations, rassembler les membres, organiser des activités pour réfléchir sur le métier, se rencontrer et échanger autour de la pratique, se faire connaître auprès de nouveaux publics, tels sont les enjeux de la Fédération de conteurs professionnels. — Sabine Verhelst (coordinatrice du projet)

Pour son anniversaire, la Fédération mettra les petits plats dans les grands en organisant plusieurs rencontres. Seront au programme, dès le mois de juillet et dans le courant du mois de septembre, une grande marche de conteurs dans les Ardennes, un tout nouveau festival à Braine-le-Comte et un colloque pour réfléchir à la pratique du conte en invitant des regards extérieurs à venir s’exprimer sur l’oralité ainsi que sur l'importance et la spécificité de ce métier en plein essor.

L’interview

PointCulture : C’est quoi être conteur ?

Véronique de Miomandre : Être conteur, c’est faire des bulles comme un rêveur, souffler des bulles dans une paille. Ces bulles, ce sont des contes ou des histoires de vie, des paroles qui ont été dites, il y a longtemps ou maintenant, mais que les personnes ne peuvent pas ou plus dire elles-mêmes. Vous devenez alors le porte-voix, c’est ça être conteur.

Roxane Ca’Zorzi : Être conteur, c’est raconter des histoires et c’est être dans l’instant, toujours en connexion avec le public et avec l’histoire. C’est une espèce de triangle magique où il y a le conteur, l’histoire et le public. C’est à chaque fois différent.

Bernadette Heinrich : C’est faire un pas de côté, prendre du recul par rapport à toutes nos préoccupations et à la société. C'est plonger dans les histoires, parfois jusqu’au début du monde… C'est revenir à la source de la parole et de ce qui nous fait humain. C'est aussi, à travers les histoires, pouvoir raconter tout ce qui touche à l’humain et le raconter avec tout ce que l’on a comme ressources. Cela peut être la voix, l’intonation, les gestes. Chacun a sa manière de raconter et chacun puise en soi ce qui est nécessaire pour dire cette parole.

En tant que conteur, on est toujours en déséquilibre. On essaye de sentir ce qui est présent, la manière dont on peut être en contact avec le public. Chaque fois que l’on raconte, c’est quelque chose de nouveau qui arrive, c’est une expérience singulière. Le conteur entre dans un mystère, dans l’invisible, quelque chose qui n’est pas toujours la réalité concrète, cela permet de voyager ailleurs et de se donner des libertés que, souvent, nous n’avons pas dans la vie quotidienne. Lorsque l'on ose se donner ces libertés en écoutant le conte ou en le racontant, on devient alors plus libre. C’est un peu ça pour moi, le métier de conteur.

PointCulture : Comment envisagez-vous votre pratique du métier de conteur ?

VdM : J’envisage la pratique du métier de conteur du mieux que je peux. C’est-à-dire par essai/erreur. Je m’aventure sur des chemins que je ne connais pas et j’essaye qu’ils soient les plus courbes possibles…

RCZ : Je l’envisage dans l’émerveillement, dans le goût d’une histoire ! J’ai un répertoire surtout traditionnel mais c’est vraiment le coup de cœur, l’envie de partager et de raconter une histoire qui a fait battre le cœur qui est le moteur.

BH : Le conteur improvise beaucoup, il est en contact direct avec le public, mais cette improvisation demande beaucoup de travail en amont. Si on va chez un conteur, on verra qu’il a une immense bibliothèque avec plein de livres et du répertoire. Chaque histoire compte souvent beaucoup de versions différentes. Le conteur s’imprègne de toutes ces versions qui sont aussi tout un savoir humain puisque d’autres conteurs ont raconté ces histoires, ils y ont mis ce qu’ils sont vraiment. C’est donc habiter l’histoire avec toutes ces ressources et puis créer sa propre version, celle qui correspond à ce qu’on a envie de dire aujourd’hui pour le monde contemporain. C’est à la fois quelque chose de très ancien mais aussi d’actuel, parce que nous les conteurs, nous vivons dans la société d’aujourd’hui. Nous sommes des personnes avec des préoccupations, des envies, des rêves. Tout ça vient se marier avec des histoires, celles de la tradition, celles du répertoire, du patrimoine que l’on trouve dans les livres ou que l’on a entendu dans sa propre famille ou dans celles de personnes que l’on a rencontrées.

PointCulture : D’où vous vient le désir de conter ?

VdM : Le désir de conter me vient d’un conteur d’histoires que j’ai rencontré et entendu. Je me suis dit : « C’est ça ! C’est vraiment ça que je veux faire ». Je pense que dans ce métier, il y a beaucoup de filiations et de rencontres. Souvent, on dit qu’on cherche des histoires mais ce n’est pas vrai, ce sont les histoires qui vous cherchent et quand elles vous rencontrent, ça fait une belle histoire !

RCZ : Le désir de conter me vient de mon grand-père. Il racontait tout le temps, pas que des histoires de contes, mais tous les films d’horreur qu’il avait vus dans les années 1930. Je pense, aujourd’hui encore, que je n’arrive pas à voir les mannequins de cire ou bien m’approcher d’une maison avec une réputation hantée. Il m’a fichu la trouille avec toutes ces histoires !

BH : Chacun a son parcours, son histoire. C’est très singulier. Moi je dirais que j’ai travaillé dans des mouvements militants dans lesquels je sentais que j’avais une langue de bois. Je parlais « au nom de ». C’était un mouvement de femmes et je ne sentais pas que j’avais ma propre parole. J’étais porte-parole. Le conte m’a permis d’essayer d’habiter ma parole, de revenir à ce que j’avais envie de dire, de me poser la question de qui j’étais pour prendre la parole. Ce n’est pas toujours simple. Est-on légitime de parler ? Décider de devenir conteur est un choix que l’on peut faire à un moment donné parce que l’on sent que l’on a quelque chose à transmettre et que l’on a envie de le dire.

Nous avons besoin que la politique culturelle et le politique reconnaissent le métier de conteur comme un vrai travail qui demande, par conséquent, une rémunération et une reconnaissance plus large dans notre société. — Bernadette Heinrich (conteuse)

PointCulture : Qu’est-ce que la Fédération de conteurs professionnels apporte concrètement à votre pratique ?

VdM : La Fédération me donne l’audace de m’aventurer, c’est un peu une assurance. C’est être plus fort à plusieurs pour avoir une voix plurielle. Je pense que c’est important parce qu’on est tous conteurs différemment et la Fédération nous permet d’avoir un visage multiple.

RCZ : La Fédération est un peu une bouée de sauvetage, c’est savoir qu’il y a cette espèce de grand roc avec plein de conteurs, plein de pratiques différentes, la possibilité d’appeler si on est en détresse. C’est un peu « Un pour tous, tous pour un ! ». C’est aussi s’organiser pour aider, mettre des outils en commun, notamment par rapport à tout ce qui est un peu moins agréable dans la pratique du conte comme le côté administratif, la reconnaissance de l’art du conte, les préjugés etc. On sait qu’ils peuvent nous aider.

BH : La Fédération de conteurs, je la vois comme un lieu de rassemblement, une force de pression par rapport au politique, parce que ce métier est relativement nouveau dans notre société. En tant que conteur, nous avons parfois besoin de soutien, notamment financier pour créer nos spectacles et pouvoir vivre de notre art. Nous avons besoin que la politique culturelle et le politique reconnaissent le métier de conteur comme un vrai travail qui demande, par conséquent, une rémunération et une reconnaissance plus large dans notre société.

La capsule vidéo

Texte et interview : Alicia Hernandez-Dispaux

Site web de la Fédération de conteurs professionnels : https://conteurs.be/

Conteurs en marche, du 8 au 12 juillet à Mont-sur-Martin, Virton, Orval et Chiny

Colloque "Aux sources de l'oralité", le 11 septembre à La Bellone (Bruxelles)

Festival Chimères, du 12 au 15 septembre à Braine-le-Comte

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