« Indépendance cha cha » | Une chanson de l’indépendance congolaise
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Janvier 1960 – Bruxelles
« Indépendance cha cha nous avons gagné ! /Nous sommes enfin libres /Oh Table ronde cha cha nous avons gagné ! /Indépendance cha cha te voilà enfin entre nos mains ! » — Grand Kallé, « Indépendance cha cha »
En janvier 1960 se tient à Bruxelles, un mois durant, une « Table ronde » pour discuter de l’indépendance du Congo et de ses conditions. La date de celle-ci est finalement arrêtée au 30 juin de la même année. La délégation congolaise, composée des leaders politiques indépendantistes, dont Joseph Kasa-Vubu et son rival Patrice Lumumba, n’était pas venue seule pour négocier avec les autorités belges ; en effet Grand Kallé et son groupe l’African Jazz faisaient partie du voyage. Inspiré par les événements, le chanteur improvise un morceau qui deviendra un hymne pour les mouvements anticolonialistes de toute l’Afrique noire, racontant l’enthousiasme de cette émancipation tant espérée par les populations locales.
Joseph Kabaselé, dit Grand Kallé, est déjà un musicien reconnu à cette époque. Il est né en 1930 à Matadi, port important près de l’embouchure du fleuve Congo. Il apprend à chanter dans les chorales catholiques des pères Scheut mais une fois adulte, il opte pour la chanson populaire de l’époque, la rumba afro-cubaine, s’entourant d’amis d’enfance pour créer le groupe African Jazz en 1953. Les années 1950 sont une période charnière pour l’évolution des musiques congolaises. Les influences se multiplient, les instruments s’électrifient et l’Afrique centrale devient le creuset de ce style nouveau, mélangeant les sons afro-cubains et le jazz à des sons plus anciens, qu’ils soient traditionnels ou hérités des danses européennes et fanfares coloniales. De part et d’autre du fleuve Congo, à Léopoldville et Brazzaville, des groupes naissent et embrassent les styles nouveaux : OK Jazz, Les Bantous de la Capitale…
« Indépendance cha cha » provoque une onde de choc au Congo. C’est par cette chanson diffusée sur Radio Congo belge que les Congolais apprennent l’indépendance future de leur pays. On l’entend partout, dans les rues, dans les bars, dans les maisons, à la radio. Les rythmes du cha cha sont entraînants, enivrants ; comment ne pas danser sur ce morceau ? Les paroles sont en trois langues locales, le lingala, le tshiluba et le kikongo, permettant à tous de comprendre le texte.
Quelques mois plus tard, en janvier 1961, Lumumba est assassiné. La chanson prend un goût amer, la période de l’insouciance prend brusquement fin et la désillusion remplace la liesse de l’indépendance.
Janvier 2010 - Kinshasa
« Les promesses de lendemain, les promesses de l'aube / D'un état souverain où le sol se dérobe / Entre milices et rebelles, pillages et recels » — Baloji, « Le jour d'après / Siku ya baadaye (Indépendance cha-cha) »
Le 27 janvier 2010, jour anniversaire de la Table ronde belgo-congolaise qui a décidé de la date de l’indépendance, Baloji publie son deuxième album solo, Kinshasa succursale. Il y reprend « Indépendance cha cha », sous le titre « Le jour d'après / Siku ya baadaye (Indépendance cha-cha) ».
Baloji est né à Lumumbashi en 1979. Son nom désigne en swahili un « homme de science », signification qui a dévié pendant la période coloniale et l’évangélisation chrétienne vers « sorcier ». Il est arrivé en Belgique avec son père vers l’âge de quatre ans et a d’abord vécu à Ostende puis à Liège. A quinze ans, il quitte la maison et s’investit dans la musique et le rap, rejoignant le groupe Starflam. En 2008, il publie son premier album solo, Hotel Impala. A cette époque, il reprend contact avec sa mère, qu’il retrouve après une séparation de plus trente ans. Ces retrouvailles provoquent également un nouvel intérêt pour son pays d’origine. L’album Kinshasa succursale est une réponse à ce retour aux racines. Il travaille avec des musiciens congolais, de Zaïko-Langa-Langa à Konono N°1 et compose plusieurs chansons sur le thème du Congo.
Sa version d’ « Indépendance cha cha » est tout aussi politique que celle de Grand Kallé, et sans doute plus revendicatrice. Il énonce les illusions perdues d’un pays troublé depuis son indépendance et dresse le triste bilan des cinquante premières années de l’État d’Afrique centrale. Les nouvelles paroles écrites par Baloji parlent des erreurs du passé et de la stagnation du pays. Cette version reprend l’hymne d’antan, avec ses extraits rejoués par des musiciens de l’époque et un contrepoint résolument hip-hop, scandé par Baloji. Le clip a été filmé à Kinshasa, dans le quartier du « Bon marché » (Barumbu), avec la complicité de musiciens de Wendo Kolosoy.
> Les paroles de la reprise de Baloji
Texte: Anne-Sophie De Sutter
Crédits photo
Cet article fait partie du dossier Congo 1960-2020.
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