Influences de l’Orient en général et de la Turquie en particulier dans la musique classique occidentale.
Sommaire
Photo: Soliman le magnifique, peint par Titien http://j-times.ru/turciya/garem-sultana-tureckij-vzglyad.html
Aashenayi
En persan, " Aashenayi " signifie rencontre, un thème cher à Emmanuel Bardon et aux musiciens du Canticum Novum, qui évoquent ici une rencontre musicale envoûtante en terre ottomane, au temps de Soliman le Magnifique. Tout comme la Tolède du XIIIème siècle, Constantinople était une terre de passage pour les populations du monde entier au XVIème siècle. La richesse de ces monodies puisées aux confins de l'Europe et du Moyen-Orient nous sont dévoilées au fil d'improvisations éblouissantes, égrenées comme autant de variations sur le thème de la rencontre entre les peuples.
La Sérénissime et la Sublime Porte - Musiques des Cours Ottomane et Européennes au XVIIème siècle
Rassemblées par la musicologue turque Chimène Seymen, les œuvres de ce disque sont issues d’un recueil de chansons compilées par Ali Ufkî (1610 – ca1675), un polonais converti à l’Islam affecté au Palais Topkapi pour la chambre de musique. La version préparatoire du manuscrit contient également des pièces instrumentales européennes, entendues ici en regard de la musique turque. Le Recueil « Mecmûa-i Sâz ü Söz » est un document capital dans la connaissance de la musique « savante » ottomane de l’époque. Un autre regard sur les liens qui ont unis l’Orient et l’Occident au XVIIème siècle.
Osmanli Barok Müzigi
Leyla Pinar a étudié la composition, le violon, le piano et le cor à Istanbul, sa ville natale, avant de se rendre en Italie pour approfondir la composition. En 1975, elle fonde " Istanbul Baroque ", spécialisé dans les musiques traditionnelles et baroques turques du 17ème et 18ème siècle. Le livret qui accompagne l'enregistrement explore les relations entre musiques baroques turques et européennes jusque dans leurs fondements esthétiques et sociopolitiques.
Le temps des « turqueries »
Photo: Ingres, le bain turc File:Le Bain Turc, by Jean Auguste Dominique Ingres, from C2RMF.jpg
Mariages imposés, amoureux séparés, trahisons, retrouvailles après de nombreuses péripéties… la recette est connue de longue date. Mais la transposition du sujet dans l’empire Ottoman apporte une note d’exotisme très recherchée au XVIIIème siècle.
L’usage de « turqueries » dans le domaine artistique (peinture, littérature, musique) en témoigne : utilisation de percussions simulant la musique turque (cymbales, tambourin, triangle…), fascination du harem, représentation de textiles luxueux aux lourds drapés, coloris lumineux, intrigues mettant en scène des personnages puissants et inquiétants de par leur face sauvage.
Tous ces aspects attestent de la représentation que l’Européen se faisait du monde turc, et par extension (amalgame), du monde arabe entre le XVIème et le XVIIIème siècle.
Voici quelques œuvres musicales et documentaire attestant de cette mode :
Mozart in Turkey
Tourné en 2004 dans le Palais Topkapi d’Istanbul, lieu de résidence pendant quatre siècles des Sultans Ottomans, l’opéra de Mozart Die Entführung aus dem Serail (L’Enlèvement au Sérail) est ici le prétexte à un captivant documentaire. Les commentaires du metteur en scène Elijah Moshinsky mêlent faits historiques, analyse de l’œuvre et autres secrets de tournage. Le film nous fait également découvrir plusieurs aspects de l’Istanbul actuelle, le tout sur de nombreux extraits tirés de l’opéra. Très vivant !
L’action se situe en Turquie. Konstanze, la jeune femme dont Belmonte est amoureux a été enlevée par des pirates et vendue au Pacha Sélim pour son harem. Konstanze est également convoitée par le gardien du harem, Osmin. Grâce à son serviteur, Belmonte pourra sortir sa bien-aimée des griffes d’Osmin, avec l’assentiment surprise du Pacha.
Si l’intrigue manque d’originalité, si le livret n’est pas du meilleur cru, la musique de Mozart comble ces lacunes. Rien d’étonnant à ce que ce Singspiel (opéra entrecoupé de scènes parlées) ait été, du vivant du compositeur, le plus populaire de ses opéras.
Le Sultan turc Bajazet et sa fille Asteria sont prisonniers du Grand Emir Tamerlan.
L’intrigue s’attache une fois de plus au très classique triangle amoureux : Tamerlano veut épouser Asteria, elle-même amoureuse du général grec au service de l’Emir, Andronico. Renoncements, sentiments de trahison, menaces, tentative de meurtre et suicide parcourront l’histoire de bout en bout. La mise en scène dépouillée de Graham Vick alliée à la performance excellente des chanteurs, en particulier à celle de Placido Domingo, place très haut cette version.
L’engouement pour l’Orient ne s’est pas arrêté au XVIIIème siècle. La période romantique s’éloigne de la bouffonnerie (Rossini, Il Turco in Italia) ou de la transposition d’aventures amoureuses (Mozart, Die Entführung) pour mettre en exergue le fantasme érotique. Né dans l’imaginaire des peintres, écrivains et musiciens, cet exotisme voluptueux n’épargne aucun domaine artistique.
C’est, bien entendu, la femme qui concentre toute cette sensualité venue d’ailleurs. La bayadère indienne, destinée dès son plus jeune âge au service de la divinité hindoue au sein d’un temple, maîtrisait la danse et bénéficiait de conditions particulières qui allaient de pair avec une certaine liberté sexuelle. Cette figure fut notamment évoquée par Théophile Gautier (Sakountala), par Goethe dans sa ballade Der Gott und die Bajadere, et par Marius Petipa dans le ballet mis en musique par Leon Minkus, La Bayadère.
D’autres formes d’exotismes feront leur apparition dans l’histoire de la musique et de l’art occidental en général. Ne citons que la figure de Carmen dans l’opéra de Bizet. Bien qu’européenne, elle représente elle aussi une sensualité sauvage venant bouleverser la morale prude de nos sociétés occidentales. On l’aura compris, l’exotisme en musique couvre de nouveaux horizons qui vont bien au-delà de l’Empire Ottoman des XVIIème et XVIIIème siècles. Mais c’est une autre histoire…
Nous terminerons cette balade turque en évoquant la discographie du pianiste et compositeur Fazil Say. Ce musicien turc a entamé des études musicales au Conservatoire d’Ankara avant de poursuivre sa formation à l’Institut Schumann de Düsseldorf et au Conservatoire de Berlin. Il s’est d’abord fait connaître comme pianiste avant d’émerger en tant que compositeur.
Pour Fazil Say, la composition est intimement liée à l’improvisation. Dans ce domaine, il s’est ouvert un champ de liberté propice à la création. Mais ce constat ne serait pas suffisant pour cerner l’art de Fazil Say. En effet, toute sa musique est inspirée par sa mère patrie que ce soit la musique, la poésie ou simplement les images : tout parle de la Turquie. Sélection :
Say plays Say
Avec ce programme composé de compositions originales mâtinées de réminiscences anatoliennes ou d'arrangements jazz à partir de grandes oeuvres classiques. The Four Dances of Nasreddin Hodja, son premier opus, est de forme rhapsodique. Ces danses sont traversées par l’influx vital qui caractérise la manière de Fazil Say. L’aspect mélodique est influencé par le folklore de son pays et des pays voisins inscrivant le compositeur dans la tradition de créateurs comme Bela Bartok, Leos Janacek et György Ligeti. Une rencontre à ne pas bouder !
Istambul Symphony
Istanbul Symphony est un hommage passionné à la ville telle qu'elle était avant la naissance de Say. Rien d'étonnant à ce que le premier mouvement ait pour titre Nostalgia. Sous les dehors d'une musique descriptive qui pourrait faire penser à de la musique de film se cachent des formes empruntées à la musique turque et savamment orchestrées par le pianiste. Les sept mouvements de la symphonie nous entrainent dans un voyage hors du temps dont vous découvrirez les charmes avec les deux documentaires en DVD accompagnant le disque.
Les fans du pianiste turc Fazil Say seront comblé: exotisme, romantisme, jazzisme, classicisme et autres qualificatifs en -isme. Le concerto pour violon est une fresque orientale bien torchée et surtout bien interprétée. Deux pièces pour piano, transcriptions destinées à des bis, offrent une transition avec Alla turca, une extrapolation intéressante quoique statique du célèbre rondo de Mozart.