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« Cloup sur Cloup » | Interview de Michel Cloup

Michel Cloup Duo - Michel_par_Manuel Rufie
En novembre dernier, alors que le musicien Michel Cloup (Diabologum, Experience, Michel Cloup Duo) s'apprêtait à sortir, en collaboration avec Pascal Bouaziz (Mendelson, Bruit noir), un album adapté du roman de Joseph Ponthus, À la ligne, nous l'avions interrogé sur les aspects visionnaires de certaines de ses chansons. Une rencontre durant laquelle le musicien nuance quelque peu nos propos et aborde son processus créatif et son engagement.

Sommaire

Diabologum, « De la neige en été », 1996

Quand j'ai ouvert les yeux, le monde avait changé
Au milieu du mois d'août, je crois qu'il a neigé
Il n'y avait plus personne aux terrasses des cafés
Et tous les magasins étaient fermés
On aurait dit la guerre ou bien un jour férié
Sans repas de famille et sans électricité

- David Mennessier (PointCulture) : À propos de la chanson « De la neige en été » qui figurait sur l'album #3 de Diabologum (1996), j'aurais aimé savoir dans quel contexte ce morceau prophétique était né. S'agissait-il du résultat d'une longue gestation ou d'un texte écrit en une fois ?

- Michel Cloup : Le morceau a été écrit à un moment où le groupe était en pleine mutation et où on commençait tout juste à travailler sur l'album #3. Après les deux premiers albums, il y avait une certaine frustration. On était souvent associés à d'autres groupes avec lesquels nous n'avions pas d'affinités particulières et certains journalistes nous avaient catalogués dans ce qu'ils appelaient la « pop bébête ». À part Dominique A et Katerine qui étaient eux aussi soi-disant apparentés à cette pop naïve, on ne comprenait pas trop pourquoi on nous comparait à d’autres groupes. À ce moment-là, on écoutait Slint, donc on sentait que nous n'étions plus du tout raccord avec ce qu'on avait pu faire sur nos deux premiers albums. On sentait que ce qu'on avait essayé de faire ne nous correspondait pas. On avait découvert plein d'artistes – ce qui, quand on a une vingtaine d'années, est assez normal. Je sais que moi j'ai souvent tendance à ingurgiter beaucoup de musiques, beaucoup de mots, beaucoup de cinéma… et de par ce qu'on s'était mis à lire, à écouter et à regarder, on s'était dit qu'il était temps de faire notre musique après avoir copié celle des autres.

Diabologum_parValéryLorenzo

« De la neige en été » c'était la première chanson qui est arrivée après quelques mois de doutes et d'incertitudes. Ce texte a été un peu comme une libération pour moi, il est vraiment sorti d'un coup, avec aussi le texte de « Il faut » écrit par Arnaud Michniak. À partir de là, tout le reste de l'album a suivi assez rapidement. Après, par rapport au côté prophétique, c'est vrai qu'on revient assez souvent vers moi pour m'interroger sur cet aspect des choses, que ce soit pour ce morceau ou pour certains titres en solo, mais je ne me considère absolument pas comme un prophète. En même temps, ça me fait plaisir qu'on me complimente à propos de mes textes car, pour moi, un artiste important c'est quelqu'un qui arrive à ressentir et à capter l'air du temps.

On m'a aussi posé la question au moment de la sortie de l'album Ici et là​-​bas (2016) dans lequel je questionne mes origines. Ça parle aussi de migrations et c'était sorti juste au moment où il y avait ces vagues migratoires à travers l'Europe – même si on le sentait déjà venir car c'était déjà dans l'actualité, dans l'air du temps. — Michel Cloup

- Avec « De la neige en été », les thèmes abordés ne sont pas vraiment nouveaux mais n’est-ce pas la forme très surréaliste de les traiter qui en fait une chanson assez atypique ?

- Chez moi les choses sont assez empiriques et inconscientes, donc c'est plutôt au moment où j'ai fini d'écrire le texte que je comprends ce que j'ai voulu dire. Parfois je suis étonné de l'interprétation qu’on fait de mes textes et du sens qu'on leur donne. C'est souvent intéressant d'entendre ces réactions car derrière ces mots ou ces images, il y a toujours l'intention chez moi de laisser une porte ouverte pour que les gens puissent se réapproprier ces chansons, mais c'est parfois surprenant parce que les gens surinterprètent ce que j'ai voulu écrire.

- Avec des expériences comme celles des groupes Medvedkine créés par Chris Marker ou de François Tusques et de son Intercommunal Free Dance Music Orchestra, il y avait dans les années 1970 cette idée de rentrer dans les usines pour que les travailleurs puissent se réapproprier les instruments du cinéma ou de la musique pour s'exprimer via leurs propres créations. Est-ce que toi aussi, en lien avec cette thématique de la classe ouvrière qui est très présente dans tes textes et ceux de Pascal Bouaziz, tu as déjà eu l’occasion de travailler au sein de ces milieux ?

Michel Cloup Duo - Pascal Bouaziz : "À la ligne"

- Même si ce n'est pas notre activité principale et que nous le faisons de façon assez confidentielle, Pascal et moi nous participons à des actions sociales depuis de nombreuses années. J'ai bossé dans des ateliers musicaux et des ateliers d'écriture avec des centres sociaux, dans les milieux psychiatriques et dans l'Éducation nationale. C'est d'ailleurs ce qu'on vient tout juste de faire au sein d'un centre Emmaüs, avec notre nouveau projet À la ligne, où on a monté un groupe avec des gens du centre. Certains étaient de vrais musiciens et d'autres étaient complètement amateurs. Au final on a fait un concert avec eux dans le but qu'après notre départ ils puissent continuer sans nous.

Lorsque tu développes des idées et que tu écris des textes qui vont dans une certaine direction, le fait d'en faire un disque et de l'interpréter sur scène c'est évidemment très bien mais j'avais aussi besoin d'autre chose, de ne pas être juste dans la représentation ou dans le spectacle mais d'essayer de dépasser cela.

À un moment, il y a cette idée que, plutôt que de faire des posts politiques sur les réseaux sociaux, c'est de passer à l'action avec un engagement plus concret. Et puis, ce qui est gratifiant dans cette démarche, c'est que c’est un véritable échange, ce n’est pas juste moi qui viens apprendre quelque chose aux autres mais c’est aussi eux qui m’en apprennent. — Michel Cloup

J’essaie d’en savoir le moins possible sur le passé des personnes qui participent à ces ateliers, pour ne pas avoir d’a priori et de pouvoir avoir une relation « normale » avec eux. Lorsque tu travailles avec des sans-papiers, ça t’apprend beaucoup de choses, ton rapport au monde évolue. Artistiquement, tu peux aussi être surpris, c’est souvent très fort. Si tu peux les aider à sortir ce qu’ils ont en eux, cela devient une expérience encore plus épanouissante.

- Tu as souvent collaboré avec d’autres artistes (les batteurs Patrice Cartier et Julien Rufié, l’artiste vidéaste Béatrice Utrilla). Comment s’est passée la collaboration avec le metteur en scène Stéphane Arcas ?

- Avec Stéphane Arcas, on a commencé à travailler ensemble en 2012 avec la bande son du spectacle Bleu bleu qu’il a lui-même écrit et mis en scène. J’aime bien cette idée de sortir de ma zone de confort, j’ai une attirance assez prononcée et une sensibilité pour les arts visuels et le cinéma, j’ai par exemple aussi travaillé avec le réalisateur Jean-Gabriel Périot.

- En France ces dernières années on constate un glissement de la classe ouvrière de l’extrême gauche vers l’extrême droite, il y a cette impression pour une grande partie de la population d’un certain désenchantement, de ne pas être prise en compte, de ne pas être écoutée. Quel regard portes-tu sur cette évolution ?

- Le constat c’est qu’il faut aller parler aux gens. Il s’est quand même passé quelque chose d’assez incroyable en France avec les gilets jaunes et ce, même si les médias n’en n’ont pas forcément parlé, en préférant se focaliser sur les violences en marge de ce mouvement. Des gens issus des classes ouvrières et des classes moyennes qui ne se connaissaient pas nécessairement et qui vivaient dans le même village ont commencé à se parler. Des gens qui votent Rassemblement national ont dialogué avec d’autres plutôt orientés à gauche. Il y a eu des assemblées, il y a eu une prise de conscience, une politisation de personnes qui étaient les laissés-pour-compte du Parti socialiste et qui avaient abandonné depuis bien longtemps le vote ouvrier de gauche, communiste et apparenté. Alors malheureusement ça ne s’est pas ressenti aux élections, dans les urnes, mais ce mouvement populaire me paraît tout de même exceptionnel. C’est une petite révolte populaire qui a permis de mettre tout un tas de sujets au centre du débat et j’ai vraiment envie d’y croire, tout comme j’ai envie de croire à la démocratie citoyenne via le référendum d'initiative citoyenne (RIC) défendu par les gilets jaunes. Après, j’ai tout de même quelques réticences par rapport à certaines personnes peu recommandables qui se sont un peu accaparées ce mouvement mais, derrière cela, il y avait une telle force qui touchait tant de gens différents chaque samedi dans différentes villes, et puis personnellement je n’avais jamais vu un mouvement social durer aussi longtemps. C’était un peu mon rêve de mouvement social, on n’était plus avec le lundi les infirmières, le mardi les professeurs, mais avec tous les corps de métiers réunis en même temps et au même moment. J’ai assisté à des rencontres assez incroyables entre de vrais zadistes militants habitués aux manifestations avec des masques à gaz et tout ce qui s’ensuit, buvant des coups avec des gens plus âgés, qui auraient pu vivre dans mon village près de Toulouse, où à l’époque il n’y avait que des agriculteurs. C’était des rencontres improbables qui, j’espère, ne resteront pas sans lendemain.

Interview : David Mennessier, novembre 2020

image de bannière : Michel Cloup (au sein de Michel Cloup Duo) par (c) Manuel Rufie



> Site Michel Cloup


Agenda | Michel Cloup & Stéphane Arcas dans les PointCulture

le mercredi 16 juin à 20h au PointCulture Namur

le vendredi 18 juin à 20h au PointCulture Bruxelles

le samedi 19 juin à 20h au PointCulture Liège

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