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Sarah Bouhatous (Scivias) rebat les cartes du genre dans le secteur musical en FWB

Sarah Bouhatous.png
Récemment nommée comme coordinatrice de la plateforme Scivias qui s'engage pour une meilleure représentation des femmes dans le secteur de la musique en Fédération Wallonie-Bruxelles, Sarah Bouhatous succède ainsi à Elise Dutrieux qui avait su poser les jalons d'une initiative primordiale et salutaire dans un milieu qui reste très marqué par un manque cruel de visibilité donné aux femmes dans ce secteur.

Grâce aux données collectées par les différents signataires de la charte de Scivias, l'opportunité est enfin donnée à tous.tes de pouvoir mieux identifier la représentation réelle des femmes et des hommes au sein de leurs structures respectives et d'ainsi encourager de nouvelles présences féminines à tous les niveaux. Le Scivias pointe également des conditions de travail défavorables pour les femmes et des mécanismes d’autocensure les amenant à ne pas pouvoir développer toutes leur potentialités et à se détourner de domaines à l’intérieur desquels leur présence n’est pas encouragée. Sarah Bouhatous a bien voulu répondre à nos questions sur ces sujets qui agitent et bousculent les certitudes de chacun.e tout en tentant d'avancer avec bienveillance en faisant appel à un changement profond de paradigme par la créativité et la proactivité.


- Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel avant d'être devenue la coordinatrice de Scivias en avril dernier ?

- Sarah Bouhatous : Je suis née et j’ai grandi en France, dans une famille où la musique avait une grande importance puisque ma mère était professeure de musique ! J’ai suivi un cursus scolaire avec des horaires aménagés pour tous mes cours de musique dès mon jeune âge. Si la musique était une « passion » familiale, je réalise aujourd’hui qu’elle a aussi été, pour mes parents, le souhait très fort d’une ascension sociale à l’égard de leurs enfants. Après l’obtention de mon baccalauréat littéraire, j’ai suivi deux années de classes préparatoires littéraires, puis je suis entrée à Sciences Po Lyon dont je suis diplômée. J’ai travaillé dans différentes structures culturelles lyonnaises pendant et dès la fin de mes études (Opéra de Lyon, Musée des Confluences, Le Sucre…). J’ai intégré l’équipe du festival des Nuits de Fourvière pendant cinq années (comme assistante de la secrétaire générale puis en tant que chargée des relations aux publics) avant d’occuper le poste de chargée de mission culturelle à l’Institut français de Djibouti pendant deux ans. A mon retour je me suis installée à Bruxelles où j’ai suivi un master de spécialisation en études de genre, avec l’envie de lier ma passion du secteur de la musique aux questions des inégalités de genre et de ne plus être seulement la témoin de ces inégalités mais de pouvoir lutter contre. Je coordonne la plateforme Scivias depuis avril 2021 et je suis également la coordinatrice du programme de mentorat Mewem Europa depuis juillet 2021 pour Wallonie-Bruxelles Musiques.

- Grâce au travail de Scivias, l'apport de données fournies par les signataires qui jusqu'ici n'existaient pas ou en tout cas étaient d'une certaine façon invisibilisées permet de constater la réalité des chiffres par rapport à l'ampleur des discriminations à l'égard des femmes dans le secteur culturel. Quels enseignements tirez-vous de ces chiffres ? Vous ont-ils surpris ou ont-ils confirmé ce que beaucoup avaient déjà constaté au sein même du secteur ?

À travers la création d’un rapport annuel basé sur des données quantitatives et qualitatives récoltées auprès de nos membres, Scivias souhaite effectivement mettre en lumière les inégalités dont les femmes font l’objet dans le secteur de la musique. Le rapport #0 a été publié en septembre 2019 et le rapport #1 en septembre 2020, et c'est Elise Dutrieux (qui a co-fondé et coordonné Scivias avant moi) qui a mené ce travail colossal de récolte et d'analyse des données. Si le rapport #0 était une sorte d’ébauche d’état des lieux, le rapport #1 montre assez clairement une double ségrégation, et notamment au sein des équipes des membres de Scivias. Si les femmes sont de manière générale moins nombreuses au sein des équipes, elles sont également inégalement présentes en fonction des différents postes.

D’après le rapport #1, alors que les femmes ne sont que 28% aux postes de direction, 17% sur les postes liés à la programmation artistique et 7% aux postes liés à la technique et régie, elles sont en revanche 76 % sur les postes administratifs. Pour ce qui est de la présence des femmes dans les programmations des membres de Scivias, les données révèlent qu’elles sont en tout et pour tout seulement 28 % en moyenne à être programmées. — Sarah Bouhatous (coordinatrice de Scivias)

Il faut préciser que ces rapports, s’ils donnent une idée globale de la représentation des femmes dans le secteur, portent toutefois de nombreux biais notamment méthodologiques. Ces rapports ne sont en réalité pas tout à fait représentatifs de l’ensemble du secteur de la musique en FWB puisqu’ils ne sont composés que des données de nos membres adhérents, qui plus est sont des structures a priori déjà sensibilisées à la question des inégalités de genre dans la musique. Par ailleurs, les chiffres et leur analyse au sein de ces rapports ne sont pas exactement « scientifiques ». Pour les prochains rapports, nous souhaitons justement trouver le moyen de collaborer avec des structures spécialisées dans la récolte et l’analyse de données afin de rendre nos rapports plus scientifiques. Malgré ces biais, les chiffres issus de nos rapports sont finalement assez peu étonnants : du côté français où les enquêtes sont nombreuses et où les rapports se multiplient ces dernières années, on retrouve plus ou moins ces chiffres.

- Un an après la présentation publique de votre premier rapport (le 24 septembre 2020 au BRASS — Centre Culturel de Forest), en quoi cette "photographie" ou disons cet "état des lieux" du secteur permet d'être plus efficace pour inverser ces chiffres sur le long terme ?

Les rapports de Scivias et leurs chiffres sont indispensables : ils permettent de quantifier et de sourcer le problème des inégalités de genre dans le secteur de la musique en FWB en présentant un état des lieux (qui se veut) incontestable. Un problème qu’on ne quantifie pas reste invisible, les chiffres nous permettent de passer du simple stade de « l’impression » au stade du constat, saisissant et implacable.

Nous avons besoin de chiffres pour prendre conscience des inégalités, compter nous permet de rester attentif·ves aux postes qu’occupent les femmes dans la musique autant que cela permet de visibiliser les inégalités. Si on ne sait pas d’où on part on ne peut pas savoir où on veut aller... — Sarah Bouhatous
Rapport Scivias 1.png

Cependant, si les chiffres du rapport #1 avait pour but de donner une impulsion pour une plus grande parité au sein du secteur de la musique, les efforts ont été en partie freinés du fait du covid.

- La Fédération Wallonie-Bruxelles vient de donner plus de moyens à Scivias pour agir. En même temps la FWB ne demande pas une égalité 50-50 au sein du secteur mais ne suggère qu'un minimum de 30%. Est-ce que cela ne risque de freiner le travail mise en place par le Scivias et surtout de voir certains signataires freiner des quatre fers par rapport à vos recommandations ?

La Ministre de la Culture, Bénédicte Linard, a décidé d’apporter un soutien financier à Scivias depuis quelques mois, ce qui nous permet de mettre en place un certain nombre de projets pour développer la plateforme. La question de l’imposition des quotas n’est pas simple. Si Scivias recommande la parité, nous pensons aussi que tendre vers cette parité peut se faire par étapes. Si la FWB suggère aujourd’hui la présence de femmes à hauteur de 30% minimum, nous espérons que ce chiffre atteindra très prochainement les 50% !

- A la différence d'un texte ratifié pour la forme, chaque signataire de la charte de Scivias a le devoir d'être proactif et créatif en faisant tout pour mettre en place des outils qui sont censés permettre de réduire les inégalités de représentation entre femmes et hommes dans le secteur de la musique en Fédération Wallonie-Bruxelles. A la demande, le Scivias peut aider les signataires de la charte en leur fournissant certains outils en fonction des besoins. Pouvez-vous nous en décrire quelques-uns et est-ce que certains des signataires vous ont surpris avec la mise en place de dispositifs inédits ?

Toustes nos membres s’engagent et s’investissent à leur niveau en fonction de leur possibilité et des problématiques qui sont propres à leurs équipes et à leurs activités. L’Atelier 210 a notamment mis en place la parité au sein de son CA, Wallonie-Bruxelles Musiques développe un programme de mentorat destiné aux femmes dans la musique, le FACIR organise des ateliers, et d’autres membres comme Five Oh ou La Vague Parallèle mènent des réflexions au quotidien autour de ces problématiques.

Nous encourageons et soutenons toustes nos membres dans leur engagement quelque soit son niveau, d’un début de conscience à la mise en place d’actions concrètes et originales, chaque membre apporte une pierre de plus à l’édifice. — Sarah Bouhatous (coordinattrice de Scivias)

Nous avons conscience de la nécessité de fournir des outils aux professionnel·les de la musique, et nous souhaitons relever le défi de les adapter à des structures qui sont aussi différentes que nombreuses : au sein des membres de Scivias, nous comptons autant des festivals que des salles de concert, des médias ou des agences de communication. Et puisque les outils que nous souhaitons proposés doivent nécessairement se construire en fonction des besoins, nous sommes particulièrement attentif·ves aux problématiques et au frein que rencontrent chacun·e de nos membres. Nous proposons pour cet automne deux ateliers afin d’accompagner les professionnel·les de la musique. Le mardi 19 octobre aura lieu un atelier en partenariat avec le Plan SACHA (Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions) afin de permettre aux structures festives de rendre leurs événements plus sûrs au regard des violences sexistes et sexuelles en élaborant leur propre charte anti-violences sexuelles. Les lundis 8 et mardi 9 novembre nous proposons un atelier en collaboration avec l’asbl Women Now autour de la question des violences de genre et du sexisme dans la musique pour permettre aux professionnel·les du secteur de comprendre les enjeux liés à ces problématiques et de réfléchir à l'importance d’intégrer l’égalité des genres dans leurs pratiques. Ces ateliers sont gratuits et ouverts à toustes les professionnel·les de la musique. D’autres ateliers seront proposés à partir de janvier 2022 ! Nous travaillons également à la création d’outils et à l’élaboration de différentes ressources qui seront accessibles dans les mois à venir sur notre site internet.

- Certains opérateurs culturels historiques semblent encore avoir des réflexes issus d'un héritage lié au patriarcat et ne prennent pas la mesure du problème systémique de ces inégalités. Scivias n'ayant pas la possibilité de contraindre ces opérateurs à agir plus rapidement et plus efficacement contre leur gré, comment pouvez-vous faire évoluer leur mentalité pour tout de même leur montrer que c'est aussi dans leur intérêt de se passer de ces vieux réflexes issus d'un autre temps ?

Effectivement, la plateforme Scivias n’a pas pour but de contraindre les structures du secteur de la musique. Nos missions sont d’accompagner et de soutenir dans une prise de conscience et dans la mise en place de mesures concrètes. Transformer les mentalités en éduquant et en apportant des ressources nécessaires à la prise de conscience est l’une de nos missions principales.

- Comment faire pour que l'apport d'une meilleure représentativité des femmes dans les commissions censées traiter les futurs dossiers de candidature liées à la musique ne débouche sur des choix de programmation qui n'éviteront pas la mise en avant d'une nouvelle forme d'entre-soi au détriment d'une réelle diversité ?

C’est un enjeu essentiel auquel nous réfléchissons régulièrement au sein de la plateforme. Nous revendiquons une volonté d’ouverture constante. Les efforts menés en matière de parité vont évidemment de pair avec une attention particulière portée à l’intersectionnalité. Le risque en créant une communauté pour enrayer les discriminations est parfois de recréer une exclusion à l’égard des minorités au sein des minorités. Nous tentons du mieux possible de mener ce combat pour les femmes au sein de la musique, mais également pour toutes les autres minorités de genre, les personnes racisé·es, handicapé·es, issu·es de la communauté LGBTQIA+, et plus globalement toutes les personnes invisibilisées et discriminées au sein de ce secteur.

Interview (par e-mail) : David Mennessier, septembre 2021

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