Jakarta sous eau
Construit sur d’anciens marécages en bordure de mer, l’ancien comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales est entre temps devenu une mégalopole de près de 13 millions d’habitants et si les épidémies chroniques de malaria et de choléra appartiennent au passé, d’autres problèmes sont apparus qui menacent la survie même de la ville. L’un est le trafic automobile insoluble qui congestionne de manière quasi permanente les rues de la capitale. L’autre est plus alarmant encore : la ville s’enfonce dans le sol au rythme de 25 centimètres par an et se trouve déjà à certains endroits sous le niveau de la mer. La raison en est l’exploitation incontrôlée des nappes aquatiques situées en sous-sol, seul apport en eau de la population, qui provoque l’engloutissement progressif de Jakarta.
Les autorités semblent avoir renoncé à solutionner le problème et projettent tout simplement d’abandonner la ville et de déménager la capitale ailleurs. Un candidat sérieux, déjà étudié dans les années 1950 par le premier président du pays, Sukarno, serait Palangkaraya sur l’île de Bornéo. Bien que connaissant des difficultés également, notamment la pollution de l’air provoquée par les feu de forêts allumés par les producteurs d’huile de palme, la ville a l’avantage d’être pourvue de toute l’infrastructure nécessaire, routes, bâtiments, etc. et de ne pas se trouver sur l’île de Java, totalement surpeuplée.
Un déménagement de la capitale, comme ce que le Brésil a réalisé en 1960 en déplaçant le gouvernement de Rio de Janeiro à Brasilia, ou ce que le régime de Myanmar a fait en 2005 en quittant Rangoon pour Naypidaw, n’est pas une mince affaire. Le transfert des institutions d’état et des 950.000 fonctionnaires qui en ont la gestion, ainsi que des nombreuses sociétés commerciales ou financières qui les suivraient, est un projet extrêmement couteux et doit être soigneusement étudié.
Mais pour la population de Jakarta, le problème reste entier et leur ville, à terme, est condamnée à disparaître si rien n’est entamé pour stopper ou renverser les effets de l’effondrement du sol. La surexploitation des ressources, encore accélérée par la spéculation immobilière, n’est pas prête de s’arrêter, alors que de nouveaux bâtiments continuent d’ajouter chaque année leur poids et leur consommation sur un sol déjà instable. L’urgence serait d’œuvrer à acheminer l’eau depuis l’intérieur des terres, et de consolider les digues existantes. Mais seul un programme controversé est actuellement à l’étude, le projet Garuda, qui combinerait la construction d’un énorme mur brise-lame avec un complexe immobilier bâti sur une série d’îles artificielles gagnées sur la mer. Les opposants au projet font valoir le coût de l’expropriation en masse et le déplacement de quartiers entiers, l’impact sur la pêche traditionnelle et le risque de transformer au final le front de mer actuel en un lac emprisonné qui serait rapidement rendu putride et insalubre par la pollution. Le prix des solutions alternatives repousse continuellement le débat et l’avenir de la ville et de sa population est toujours marqué par la vulnérabilité et l’incertitude.Benoit Deuxant
- photo: Seika (creative commons)
à lire :
https://www.theguardian.com/cities/2016/nov/22/jakarta-great-garuda-seawall-sinking
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