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Jean-Michel Bertrand, cinéaste naturaliste hors du commun

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publié le par Philippe Ferriere

De l’aigle au loup, il nous transmet sa passion pour la montagne et sa patience de l’observation de la vie sauvage

Sommaire

Et si tout ceci n’était qu’un prétexte ?

Un prétexte pour se retrouver seul au cœur de cette nature sauvage qu’il a quittée à regret tant de fois. Loin, bien loin du documentaire animalier classique, ce grand enfant de la montagne continue de nous emmener dans ses rêves. Chasseur de l’invisible ou tout du moins du difficilement accessible, aussi bien par la difficulté du terrain mais également par la force morale nécessaire à la chose, Jean-Michel Bertrand est devenu le symbole de la persévérance auprès de ses proches. Vingt-cinq années de voyages autour du monde à nous donner l’envie de découvrir les merveilles de ce monde n’ont pas entamé son attachement aux vallées qui l’ont vu naitre.
Et si l’aventure était à deux pas de chez lui ? Devant cette difficulté grandissante, à chaque départ, de quitter son écrin de nature, il était urgent d’agir. Trouver la cause de ce malaise. Mais le pari est risqué. Approcher l’intouchable, le maudit depuis trop longtemps. Chassé, traqué, piégé, éliminé, le voleur de bétail, d’enfants diront mêmes certains. Un gêneur ce seigneur. L’ignorance sur cette terre n’a pas fini de faire du dégât ! Disparu depuis bien des années, son retour est timide, discret.

Pas moins de cinq années de patience et de ténacité seront nécessaires à notre passionné pour réaliser cette leçon d’esthétisme que sera ‘’Vertige d’une rencontre’’.

Observer sans intervenir.

Le seigneur des airs s’est laissé approcher. Que de sacrifices, de solitudes, de doutes, de découragements. Rentrer dans l’intimité de l’aigle royal se mérite. Somptueuses images de la gent ailée au cœur d’immenses vallées sauvages du parc des Écrins. Un brin de poésie, une touche d’humour, une bonne dose d’autodérision et un accompagnent musical de toute beauté vont donner corps à l’aventure. La douce voix de Charles Berling au commentaire nous plonge dans ce qui, par moments, s’apparente plus à une quête philosophique qu’à un reportage animalier, tant l’animal est difficile à observer .
Récompensé par de nombreux prix, ce premier opus aura éprouvé sérieusement notre montagnard rêveur, mais ne l’aura pas découragé. La chasse aux revenants peut continuer

Mars 2013 ; loup y es-tu ?

Voici bien la question que se posera notre documentariste de nombreuses fois tout au long de cette nouvelle quête entamée en 2013. Parmi ces revenants, quasiment exterminés dans certaines régions, il en est un bien insaisissable ! Un fantôme rarement visible, même avec une dose de persévérance. Découragement en prévision, séances de cache-cache, etc.
Loin de la polémique sur le discutable retour du loup pour certains passionnés, notre infatigable rêveur se lance un nouveau défi ; les loups sont-ils revenus dans les vallées de son enfance ? Un peu aidé cette fois pour les prises de vue par une réalisatrice au multiples compétences en la personne de Marie Amiguet, la tâche se révèlera peut-être un peu moins ardue.

Nouvelle dimension également apportée par l’utilisation d’un drone donnant une ampleur encore plus impressionnante à ces grands espaces alpins. Mais ici l’on traite avec un animal qui, au fil des générations, s’est vu décimé. La méfiance et la discrétion sont de mise. Voir le loup et surtout s’en approcher c’est d’abord savoir qu’il vous a déjà repéré, senti. C’est plus souvent lui qui vous observe depuis un moment. Vous êtes sur son territoire. Marcher et marcher encore. Monter, descendre, remonter. Parcourir inlassablement le sentier des caméras pièges installées en début de saison, avec à chaque fois l’espoir de le voir Lui. Mais dans la montagne il y a pas mal de monde et les surprises sont nombreuses, souvent cocasses. L’humour reste de rigueur. Les mois passent, les saisons aussi ! Comme pour son précédent film, la bande son d’Armand Amar fait merveille ici. Cette fois par contre, le commentaire sera assuré par l’auteur lui-même, rendant encore plus crédible l’intensité de nombreuses scènes.

Et puis un jour, contre toute attente, voici donc venue cette fantomatique et furtive apparition. La persévérance a payé. Bonheur immense d’une courte rencontre. Surtout ne pas déranger, ne pas aller au contact, regarder l’animal de loin. Trois années de travail, et le deuxième chapitre des rêves d’un coureur des montagnes est terminé.

Une collaboratrice hors pair

Nous sommes en 2016 et ‘’La Vallée des loups’’ peut être présenté au public, mais elle restera secrète pour lui. Les ennemis sont nombreux, la grogne monte. Parallèlement à ce film, Marie Amiguet sortira également un film, intitulé ‘’Avec les loups’’, sur ce tournage long et épique.

Forte de cette expérience, elle va également se lancer dans un projet plus personnel : "Au retour des loups", en s’intéressant aux acteurs de terrain concernés par ce lent retour qui n’enchante pas tout le monde.

Avec pour fil conducteur un père et sa toute petite fille partant en balade en montagne et une auteure, Caroline Audibert (et son livre « Des loups et des hommes »), cette talentueuse réalisatrice va donner la parole tantôt aux bergers, tantôt aux scientifiques, enseignants au contact des futurs éleveurs et – virulence du sujet oblige –, à une médiatrice devenue indispensable au vu d’une colère grandissante. La difficulté de se mettre à la place de l’autre est devenue souvent source de conflits. Dans un paysage pastoral moderne qui devient de plus en plus contrôlé, il ne reste plus guère de place pour le ‘’sauvage‘’. Gestion, comptabilisation, maitrise de la nature, mondialisation sont des termes couramment utilisés dans ces grands espaces que sont les montagnes.



Le loup est là et il y restera ! Le sujet valait bien un second opus

Quelle persévérance pour ce mal aimé condamné à mort depuis si longtemps. La citation de ce début de film de Buffon en 1767 en dit long. Des siècles d’éradication ne seront pas venus à bout de lui. Avec une grande fluidité, sans longueurs et grâce à ses interludes animaliers souvent cocasses, Marie Amiguet nous offre un très attachant voyage au cœur du parc du Mercantour.

De son côté, notre pisteur de fantômes, Jean-Michel Bertrand, ne s’est pas arrêté à ses furtives rencontres. Toujours assisté de la précédente réalisatrice, il se lance cette fois dans un défi qui le fera marcher bien au-delà de son village natal. Observer les loups, c’est fait ! Il avait bien raison : ils étaient là, si près de chez lui.

Mais le mystère de la dispersion au sein des meutes le tracasse. Où vont-ils, comment trouvent-ils un nouveau territoire ? Que deviennent ces jeunes loups obligés par leurs parents, après avoir pendant une année, de s’éloigner du groupe. Cette loi de la nature nous concerne car c’est elle qui nous amène à croiser de nouveau l’animal dans notre pays. Solitudes et confort spartiate sont de nouveau au rendez-vous ! Cette fois, il va trouver une aide précieuse grâce à l’évolution de ses indispensables caméras-pièges. Nuit et jour tenu en haleine au rythme des messages d’alerte de ses nouveaux engins connectés. Notre tenace naturaliste n’en perd pas pour autant son humour ni sa sensibilité au regard des émouvantes séquences animalières adroitement glissées au fil de cette éprouvante enquête.

Ce parcours de loup ressemble étrangement à celui de milliers d’humains.

Philippe Ferrière