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Benjamin Flao : "Kililana Song" - tome 1

Kililana Song 1
Naim est un gamin des rues de Lamu, un petit port de pêche aux allures de carte postale paradisiaque situé au large du Kenya, au niveau de l’équateur, sur la côte orientale de l’Afrique.

Sommaire

Un gosse de 11 ans, solitaire, orphelin, né de père inconnu, et recueilli, par sa tante adorée Maïmounia, à la mort de sa mère qu’il n’a jamais connue. Observateur, curieux et débrouillard, il n’a pas son pareil pour faire l’école – ou plutôt la madrasa – buissonnière où veut l’emmener Hassan jour après jour, un grand frère obstiné par l’accumulation « de points pour aller au paradis » en langage Naimien !

Il passe le plus clair de ses journées à vivre au dehors, à flâner dans les ruelles et environs de la ville et à regarder palpiter la ville depuis les toits (blancs) ou depuis l’intérieur des cafés, traficotant de ci-delà pour subsister sans trop devoir (s’) en faire. Et pourquoi pas dealer un peu de qat, une herbe (et un psychotrope) très prisée par Nacuda, un vieil homme aveugle mais fortuné, qui lui raconte des histoires un peu étranges.

Dans ses flâneries quotidiennes, il croise aussi Günter, le capitaine bavard, malchanceux d’un vieux rafiot coincé à terre pour trafic de drogue, et sommé de réunir dare-dare l’argent de sa caution de plusieurs milliers de dollars pour espérer récupérer son bien et sa liberté. En attendant, il boit sans soif et profère souvent des paroles d’une paradoxale lucidité à qui veut (et ne veut pas) l’entendre. Il tombe aussi sur Shee, une sorte d’illuminé mystique plus dérangé que dangereux, et qui d’ailleurs, « ne lui fait plus peur ». Tout comme Jahid, ouvrier de chantier marin/pêcheur le jour et amoureux en secret la nuit, rude d’apparence, mais avec une vraie générosité dans le cœur. Enfin, il y a encore Selim garçonnet de l’âge de Naim, à peu près muet mais qui s’exprime dans un torrent logorrhéique de sons inarticulés et de gestes vifs est inséparable de Babou, filou dans l’âme, mais surtout envers les touristes!


Car oui, il y a ces occidentaux, ces touristes que le garçon moque souvent mais qui, en même temps, sont sources de substantielles devises ou avantages matériels. Chose(s) - Leur fréquentation assidue ne rebute pas non plus la jolie Sérina, qui sait parfaitement tirer parti de ses charmes. Aux côté d’un artiste dilettante, Jean-Philippe, perpétuellement « sous influence », des excursionnistes en mal d’exotisme facile et auxquels on montre les beautés « insoupçonnées » du coin contre menue monnaie, il y ce club d’expatriés européens investi d’un « grand projet ». Autrement-dit, et ce avec l’aval conciliant des autorités locales, celui de faire construire un gigantesque complexe immobilier sur l’île de Kililana.

Kililana song 2

Or le lieu est habité par un vieil ermite vaguement prophète qui vit non loin d’un arbre de taille gigantesque, en lien dit-il direct avec les dieux et esprits ancestraux ! Et dans un pays où fables, contes, superstitions et légendes sont toujours une clé essentielle de compréhension du monde, on n’expulse pas un vieil original pour lui prendre sa terre sans risquer de s’exposer à un funeste courroux !

Arrivé sur l’île au hasard de l’une de ses escapades sur le fleuve avec Jahid, Naim est assommé et enlevé par cet étrange homme sans âge qui lui raconte l’histoire du géant Liongo Fumo, mort à l’emplacement exact d’où l’arbre sortit de terre. Un arbre qui « appelle » Naïm, qui deviendra –malgré lui et lors d’un soir de mousson– le dépositaire d’un énorme gland, déterré au pied de l’arbre. Une graine chantante dont seuls certains « élus » et/ou désignés « passeurs » sont capables d’entendre la chanson.

Dans ce premier récit d’une histoire qui compte deux volumes, son auteur, Benjamin Flao laisse passer bien des planches avant d’entrer dans le vif de son sujet. Si le regard piquant et tendre de ce Tom Sawyer à la sauce africaine vivant mille péripéties pour, in fine espérer mener une petite vie tranquille, est bien le fil rouge narratif du livre, l’auteur multiplie les personnages et lieux et d’une trame au maillage volontairement distendu, mais partout relié. Même constat avec un style graphique qui passe de planches élargies aux dimensions d’une page complète, au dessin aéré, invitant le lecteur par-là à une certaine méditation, à des séquences quasi rythmées, de cases formatées géométriquement, qui se parcourent en mode accéléré. Même chose pour ce crayonné/encrage qui, ici, se fait touffu et chargé, là emprunte les tons délavés et pastel, et plus loin semble tenté par la concision abstraite de la ligne claire, dans une débauche de couleurs chaudes qui cèdent tout autant à la tentation du fond blanc, qu’au flou ombragé de l’obscurité. Mais en fin de compte, Kililana Song baigne dans la lumière, de celle, chaude, irradiante et verticale que l’on ne rencontre que sous l’équateur. 

L’œil acerbe de petit malin de Naim n’a pas son pareil pour croquer en deux cases avec justesse mais aussi tendresse, les portraits de sa petite communauté vivant dans une sorte de paradis (Lamu est d’une beauté sans nom !), dont ils sont largement privés des fruits. L’ennui, la débrouille maligne au jour le jour, l’écheveau complexe des liens et hiérarchies sociales avec lequel il faut composer quand on est avant toute chose, amoureux de sa liberté de penser et d’agir. Mais aussi regard sur une société à la croisée des chemins, entre l’oubli progressif d’un long héritage religieux « animiste » et d’une vision du monde basée sur un équilibre naturel entre l’homme et son environnement, la corruption des élites, le retour du religieux (incarné par le grand frère) et la perte progressive des repères sociaux, sans que rien ne vienne à la place.

Ancien port colonial, Lamu est aussi l’enjeu de riches appétits commerciaux, indicatifs d’une colonisation 2.0., ou « soft », incarnée par des occidentaux « cools » et « respectueux » en apparence (ils vivent dans le coin depuis des années et ont parfois trouvé leur moitié au sein du sérail local) mais toujours mus par les mêmes objectifs de prédation et d’appât du gain.

Une bande-dessinée superbe qui peut se parcourir selon des rythmes de lecture variable, qui s’offre tel un conte moderne, beau et dénué de tout passéisme paternaliste (cet exotisme touristique à bon compte) et qui donne surtout envie de lire la suite !


Yannick Hustache


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Benjamin Flao - Kililana Song - éditions FuturopolisBenjamin Flao : Kililana Song - tome 1
Edition Futuropolis, 2012
128 pages


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