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La Mort, la Vie et le Clown.

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Un triptyque revisite pour les enfants les grandes étapes de l'existence. Signé Marine Schneider et Elisabeth Helland Larsen, c'est toute la grâce et la douceur du poème offerte à une conscience qui se cherche.
« — … je peux te chuchoter un mot à l’oreille… — »

Est-ce l’effroi ? L'allégresse ? Le désir? Le sentiment dans lequel Vie et Mort s’opposent trouvera ici bien des raisons de se voir, sinon apaisé, tout au moins mis en déroute par les traits communs et le jeu de correspondances qui touchent ces étranges personnages voués à faire écho à nos questionnements intimes. Sans déforcer l’inquiétude ou la fascination qu'ils nous inspirent, leur nature ambiguë, mi-humaine mi animale, nous les rend proches, familiers. La dimension charnelle que, par son chaleureux coup de crayon, Marine Schneider prête à des entités quasi abstraites les situe quelque part entre l’enfant et le doudou.

De leur apparence, on peut déduire que la Vie, la Mort et le Clown – un ambassadeur des émotions –, aiment se fondre dans le décor. Un nez rouge planté au milieu d'un visage ne fait qu'épouser les tonalités joyeuses d'un entourage autrement plus extravagant. Dans un monde que signale sa folle diversité, les enfants côtoient des dromadaires, des zèbres, mais aussi des hommes à tête d’éléphant ou des chiens en costume de ville, des insectes ou des oiseaux, tour à tour chatoyants et endeuillés. La Mort, vêtue de noir, arbore une fleur dans les cheveux, comme l’éléphant. Parfois ce sont des papillons qui déposent sur elle quelques couleurs réjouissantes.

De page en page, selon l’endroit où ils se trouvent et leur fréquentation, ces créatures paraissent plus ou moins grandes, plus ou moins menues, elles sont assises, elles volent, elles marchent, se tiennent à l’écart ou se mêlent à un groupe d’individus. Cette faculté qu'elles ont de toujours se mettre à la hauteur des autres comme d'épouser la mesure de toute chose n'est pas la moindre de leurs qualités.

« Le repli est en quelque sorte l'envers de l’enlacement. — »

Rondes, moelleuses mais ô combien légères, les silhouettes témoignent de la nécessaire délicatesse qu’il faut pour accueillir les brusques revirements d’un monde dont la joie, l’angoisse et le désir modifient sans cesse les contours. Or, les figures du repli sont en quelque sorte l'envers des figures de l’enlacement. C’est ce que nous enseigne le regard sensible mais vrai qu'Elisabeth Helland Larsen et Marine Schneider posent sur l’existence. La plasticité des corps conjuguée aux variations d’échelle dénouent la polarité des formes définitoires pour lui substituer l’infinie labilité de la chair et, mieux encore, celle du geste. L'attitude de repli que manifestent des êtres recroquevillés sur eux-mêmes et comme noyés dans la maille gloutonne de leurs tricots, une forme d'enlacement vient la dénouer. C'est une paire d’ailes, ou encore, la souplesse d’un bras, une main aux doigts dépliés – un équipement de câlins et d’étreintes.

À l’unisson, ainsi s’expriment la Vie, la Mort et le Clown, de tout leur être ondulant et soyeux. Non qu’un même souffle les confonde, un discours choral ou un dialogue qui n’aurait pour but que d’amener l’accord final. Chaque ouvrage du cycle d'Elisabeth Helland Larsen est le lieu d’une seule voix tandis qu’une adresse à la première personne maintient l’identité de chacune. Si le propre du poème est de nous proposer un reflet de notre pensée, cette solitude du texte dont le caractère minimal ouvre sur la page des zones de silence appelle ce genre de rencontre. L’accord parfait ne naît donc pas de l’indistinction mais de l’écho que chaque personnage fait aux autres, phénomène qui se reporte de livre en livre. Grâce à cette continuité manifeste et revendiquée, une intime concordance configure un espace hétérogène que se partagent les trois personnages, tandis que le caractère antinomique mais complémentaire de leurs tâches respectives affirme la communauté de leur œuvre.

Quant au fil qui les relie, il remonte de cette zone située à mi-chemin entre la tête et le cœur. Cet endroit au creux de la poitrine que la violence d’une émotion tantôt étire voluptueusement, tantôt resserre en un point de suffocation.


Mariage émouvant entre un sujet grave et un traitement chaleureux, les trois ouvrages réactivent cette vision stoïcienne selon laquelle la Mort joue un rôle essentiel dans la dynamique de renouvellement du monde. Sans offrir de consolation car il n’y a là aucune raison de désespérer, ces propos se lisent comme un poème que le dessin de Marine Schneider développe sur tous les plans du sensible.


Texte : Catherine De Poortere

Dessins : Marine Schneider / Versant Sud. Tous droits réservés.


« Je suis la Mort », « Je suis la Vie » et « Je suis le Clown »

Texte d'Elisabeth Helland Larsen

Illustrations de Marine Schneider

Traduit du norvégien par Aude Pasquier

Publiés chez Versant Sud Jeunesse

Parution avril 2019

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