Nuit des Quatuors (La)
Sommaire
Morton Feldman – Structures for string quartet (1951)
Structures fait figure d’exception parmi les œuvres que Morton Feldman a écrites à la même époque : l’œuvre a été fixée sur partition « classique », ne laissant aucune place à l’improvisation, au contraire des partitions graphiques dont il était coutumier.
Au début de la partition, on peut lire comme indication : « aussi doux que possible ». Les quatre instruments jouent avec sourdine, le moins fort possible. Tendons l’oreille… Cette courte pièce – environ six minutes – nous place dans une ambiance feutrée, méditative. L’œuvre démarre par une série de notes éparses, hésitantes. Puis apparaissent des sons plus affirmés, de durées plus longues, qui se parent d’un rythme, rythme qui se répète quelques mesures avant de céder la place à un autre, répétitif, lui aussi… Le jeu se poursuit un temps avant le retour au pointillisme de départ. La fin est abrupte, laissant l’auditeur dans ce sentiment d’attente qui l’a saisi depuis la première note.
Gavin Bryars : Quatuor à cordes n°2 (1990)
Le deuxième Quatuor à cordes de Bryars lui a été commandité en 1990 par le Huddersfield Festival (Festival de musique contemporaine en Grande Bretagne) et le Quatuor Balanescu. C’est ce dernier qui interprétera cette composition lors de la « Nuit des Quatuors » organisée au Festival Ars Musica 2014.
L’œuvre débute par une série d’harmoniques. Sous ces notes aiguës se déploie un ostinato, comme un tapis légèrement mouvant, qui ne cessera quasiment pas jusqu’à la fin du quatuor. Des phrases mélodiques se partagent entre les différents instruments, se greffant sur cette rythmique continue avec beaucoup de souplesse. Bryars, qui connaissait bien les membres du Balanescu Quartet, a expérimenté avec eux divers jeux de sonorités, comme les harmoniques du début de l’œuvre ou l’usage du bottleneck – un goulot de verre ou de métal qu’on place au doigt pour glisser sur le manche, accessoire habituellement utilisé par les guitaristes. Le résultat donne une sonorité assez proche de l’onde Martenot.
La pièce se termine paisiblement par une lamentation d’inspiration écossaise.
Bryars signe une partition très équilibrée, où il soigne autant la cohésion de l’ensemble que la personnalité de chaque instrument.
John Lurie, Stranger than Paradise, pour quatuor à cordes (1984)
John Lurie, jazzman et acteur, a composé la musique « Stranger than Paradise » pour le film éponyme de Jim Jarmusch, récompensé en 1984 par la Caméra d’Or à Cannes. L’histoire relate, l’arrivée à New-York d’une jeune Hongroise, sa rencontre avec son cousin (John Lurie lui-même) et un de ses amis. La caméra les suit au gré de leur ennui et d’un road-movie qui les conduira en Floride.
La musique est rare, dans ce film en noir et blanc, réalisé avec de faibles moyens et composé d’une série de courtes scènes entrecoupées d’images noires. Quelques extraits de « I put a spell on you » de Screamin’ Jay Hawkins et la composition de John Lurie apparaissent de manière extrêmement clairsemées. Le quatuor à cordes accompagne souvent des scènes muettes auxquelles il ajoute un sentiment de nostalgie.
Regroupée pour le concert en six mouvements, la musique est parcourue d’accents d’Europe de l’Est, et d’éléments blues. Elle est d’une grande sobriété, répétitive et chantante à la fois. Les deuxième et sixième parties de la suite sont des ajouts à la musique d’origine, des improvisations sur des thèmes composés où l’influence de l’Est est plus perceptible encore.
Colon Nancarrow, Quatuor à cordes n°3 (1987)
Créé par le Quatuor Arditti en 1988, le troisième Quatuor de Nancarrow porte le sous-titre de « Canon 3/4/5/6 ». En effet, il est construit autour de jeux polyrythmiques complexes. L’œuvre débute par un canon où chaque instrumentiste joue sa partie avec des rapports mathématiques de durées de 3 contre 4, 4 contre 5 et 5 contre 6. Concrètement, les instruments répètent à tour de rôle une phrase musicale mais avec des rythmes et des vitesses différentes. Les quatre voix se superposent alors d’une manière étrange, décalée.
La pièce est en trois mouvements adoptant le schéma classique « vif-lent-vif ».
Le violoncelle ouvre le bal par une longue mélopée. Suivent, dans l’ordre : l’alto, le second puis le premier violon, précipitant dans un tempo de plus en plus rapide la ligne mélodique initiée par le violoncelle.Dans un climat de plus en plus agité, surgit un deuxième thème, parcouru d’une série de trémolos, débuté cette fois par le premier violon et clôturé par un solo de violoncelle.
Le deuxième mouvement nous fait tendre l’oreille : des sons menus, des harmoniques très aigus, des pizzicatos… Le jeu de canon se répète avec ces sons délicats, à peine troublés par un passage en plein archet, plus mordant. On retrouve ensuite cette atmosphère éthérée qui caractérise cette partie.
C’est par une réminiscence du tout début de l’œuvre que commence le troisième mouvement. Une fois de plus, c’est le violoncelle qui lance le canon. Les sonorités, d’abord franches, voire agressives, font place aux notes jouées tout doucement en harmoniques et aux pizzicatos. Un dernier contraste de nuance clôture l’œuvre, avant la note finale, jouée, comme par enchantement, à l’unisson !
Nathalie Ronvaux