La seconde vie du seul polar de Maurice Tillieux
Le natif de Huy, futur créateur de Gil Jourdan, et scénariste (parfois dessinateur) de Jess Long, Tif et Tondu et d’une foultitude de personnages pour le Journal de Spirou et les éditions Dupuis se cache alors des services de la S.T.O., chargée de réquisitionner des hommes en âge de travailler pour les envoyer en Allemagne nazie.
Le Navire qui tue ses capitaines est une enquête policière à mi-chemin du Meurtre de Roger Ackroyd Agatha Christie (le narrateur est celui qui a perpétré le forfait) et du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux et son enquêteur dépareillé mais futé comme pas deux. Le capitaine d’un grand voilier - Le Tai-Wan – parait s’être volatilisé alors que sa cabine était verrouillée de l’intérieur ! Affrété par une compagnie commerciale anglaise dirigée par Dany Lorton, le navire reprend du service avec un nouvel officier de marine à son bord, qui disparait de façon exactement semblable !
Au même moment, d’étranges incidents se produisent le long des côtes anglaises. Un gardien de nuit est attaqué près d’un entrepôt par un inconnu probablement dissimulé dans une caisse de marchandise. Et d’autre part, on découvre un corps, impossible à identifier sur une plage britannique ! Enfin juste après la disparition du second capitaine du Tai-Wan, un passager clandestin souffrant de bouffées de fièvre délirante est retiré des cales du navire. Mais à son arrivée à terre, l’homme retrouve soudainement ses esprits et fausse compagnie aux policiers, non sans ôter, au passage, la vie d’un jeune agent!
Ces étranges phénomènes titillent la curiosité de l’inspecteur Francis Annemary de Scotland Yard, qui marque le pas dans ses enquêtes en cours mais retrouve dans cette affaire toute la pleine possession de ses légendaires talents d’élucidation policière ! Notre homme ne mettra pas longtemps avant de percer le « secret » du Tai-Wan et à lever un coin du mystère sur les disparitions successives de ses deux capitaines.
Reste à fouiner à ses dépens parfois (il échappe de peu à une tentative d’empoisonnement) dans les zones grises – là où la pègre a pignon sur rue – du port de Carnavon et de tendre patiemment les mailles du filet qui doit se refermer sur le véritable cerveau de cette affaire !
Publié initialement sous forme de roman en 1943, Le Navire qui tue ses capitaines a été réédité en automne 2017 par les éditions de l'Élan dans une présentation album, augmentée des illustrations de René Follet, complétée d’un dossier spécial Maurice Tillieux bien documenté, ainsi qu’un mini-dossier sur le polar belge des années 1940 !
Le roman, assez court, se situe vers 1927-1928 est joliment écrit et se parcourt rapidement mais n’échappe pas à quelques poncifs de genre et d’époque. L’action se situe sur le sol britannique ou en mer (un domaine très anglais à cette période), l’enquête est du ressort d’un inspecteur plutôt singulier qui n’agit uniquement que comme il l’entend, mais fait entièrement reposer ses investigations sur une logique déductive infaillible complétée d’une pointe d’esbroufe et de sens de la mise en scène (le stratagème final qui confond le « méchant »). Les fondations en apparence fantastiques de l’énigme qui s’effacent totalement, en cours de récit, sous les coups de butoir logique de l’enquêteur, décidé.
On a donc déjà lu un paquet de fois ce type d’enquêtes où le coupable – de préférence un bon « bourgeois » qui agit pour des motifs purement vénaux ou par simple vengeance – se dissimule obligatoirement au sein du cercle restreint des personnages croisés dès les débuts du livre.
Mais pour qui a suivi par la suite les aventures BD du détective Gil Jourdan, de Libellule, de Crouton et Cie, on tient ici une excellente préfiguration de la qualité scénaristique de cette bande-dessinée, toujours à des miles de sa juste reconnaissance artistique et patrimoniale…
Yannick Hustache
Le Navire qui tue ses capitaines
Maurice Tillieux - illustrations de René Follet
114 pages - Éditions de l’Élan, 2017
Cet article fait partie du dossier Huy.
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