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La Vie d’une petite culotte (Stéfanne Prijot)

La Vie d’une petite culotte - Stefanne Prijot
Trop peu de gens prennent la peine de lire les étiquettes de leurs vêtements. Lorsqu’ils le font enfin, ils sont souvent bien en peine de découvrir leur origine réelle. Le film de Stéfanne Prijot remonte à la source pour exposer le chemin que parcourt une petite culotte, depuis les champs de coton d’Ouzbékistan jusqu’aux boutiques belges, à travers une succession d’étapes qui sont chacune une forme dramatique d’exploitation des travailleurs et, surtout, des femmes.

Sommaire

Lorsque se pose la question éthique des « vêtements propres », nait généralement la vision imprécise, mais en partie juste, du « travail fait par des enfants ». Si c’est en partie le cas, la charge du labeur imposé par cette industrie touche, tout âge confondu, surtout les femmes, pour des raisons qui ont trait en partie à la production textile, et pour d’autres qui ressortent des traditions et de la politique du pays où elle se déroule. Le point commun entre toutes ces circonstances particulières est la pression imposée par la mondialisation sur chaque maille de la chaîne qui va de la récolte de la matière première, le coton, à la vente du produit fini. Mis en concurrence les uns avec les autres, des pays entiers imposent de réelles conditions de servitude à leurs ouvriers et ouvrières.

Le mythe capitaliste consiste, depuis les origines du système, à prétendre que le contrat qui lie le travailleur à l’entreprise est un contrat personnel, un acte libre de sa part, par lequel il choisit en toute indépendance de se soumettre au règlement de la compagnie, qui détermine ses conditions de travail, son salaire, le rendement et les horaires qu’on exige de lui. Ce déni des moyens de pression mis en œuvre à la fois par les entreprises et par les gouvernements occulte un système d’oppression qui sacrifie les populations pour la recherche du profit.

À travers chaque étape de la production, c’est une forme d’asservissement distincte, unique à chaque région, qui entache nos biens de consommation en général, et nos vêtements, en particulier.

Première étape, la culture - l’Ouzbékistan

Une grande partie du coton que nous portons est, entre autres, récolté en Ouzbékistan. Le pays en a développé une culture intensive depuis l’époque soviétique et est aujourd’hui accusé d’utiliser du travail forcé, y compris des enfants, pour maintenir sa place de deuxième exportateur au monde. Malgré des sanctions internationales et des contrôles – qui se noient dans la corruption locale –, les commentateurs continuent à déplorer l’exploitation de la population par un gouvernement autoritaire qui réduit son propre peuple à une forme d’esclavage à peine déguisé.

La monoculture est non seulement une menace pour la survie de la population, mais également une catastrophe écologique de grande envergure. Pour alimenter la culture intensive du coton, deux fleuves entiers ont été détournés. Leurs eaux qui irriguent aujourd’hui les champs alimentaient auparavant ce qui était le quatrième plus grand lac au monde, la mer d’Aral, désormais asséché.

La vie d'une petite culotte et de celles qui la fabriquent

Le filage en Inde

L’étape suivante dans la vie du coton est le filage. Ici aussi l’activité est concentrée autour de quelques pôles mondiaux : Chine, États-Unis, Ouzbékistan, Pakistan et Inde. L’exploitation des femmes s’appuie ici sur une culture patriarcale archaïque et misogyne, encore très ancrée dans le pays, notamment dans les campagnes, ainsi que sur l’ancien système des castes, toujours bien vivant quoique officiellement illégal. Ainsi, pour beaucoup de femmes indiennes, naître dans une certaine région, et dans une certaine caste, conditionne un destin tracé d’avance, qui écarte tout espoir de faire des études et d’échapper à la fatalité du travail en usine. Cet emploi, qui n’est pas une calamité en soi, devient par contre rapidement une forme d’oppression en raison des conditions de servitude et d’exploitation qui y règnent. Leurs ouvrières, des femmes souvent recrutées à des kilomètres de là, doivent souvent loger sur place, et ne peuvent revoir leur famille que de loin en loin ; elles sont soumises à des horaires de travail très durs, qui sont régulièrement alourdis par des heures supplémentaires en cas de gros contrats à honorer. Les cadres qui les entourent sont, à l’inverse, tous des hommes, placés là dans une situation de domination qui résulte en de très nombreux abus. Ici les contrats qui lient les employées sont souvent des hypothèques, des promesses faites généreusement au début de l’engagement et qui se transforment par la suite en un moyen de pression. Le salaire de misère, qui leur suffit à peine pour vivre, est souvent retenu ou remis en question. Enfermées par leur propre signature, ou plus souvent par celle de leur famille, les ouvrières passent leur vie à rembourser cette faveur empoisonnée. Par une cruelle ironie, cet argent sert dans de nombreux cas à constituer leur dot, qu’elles offriront ensuite à leur exploiteur suivant : leur mari et sa famille.

La couture en Indonésie

Depuis plusieurs années, l’Indonésie est devenue ce qu’on appelle l’ « atelier du monde », une jolie formule pour une réalité beaucoup moins reluisante. Si les firmes textiles se ruent sur les usines du pays, c’est avant tout pour les salaires dérisoires qui sont payés aux ouvrières (environ trente fois inférieurs à un salaire européen). Moins chers encore que leurs concurrents chinois, qui délocalisent et investissent désormais dans l’archipel, les sites de production indonésiens sont de plus soutenus et encouragés par le gouvernement, qui se réjouit de la croissance économique tout en niant qu’elle se fait avant tout sur l’exploitation des ouvriers. Ceux-ci sont pressurés pour atteindre les objectifs de la production, tandis que leur salaire est maintenu à un niveau extrêmement faible pour attirer les investisseurs. Le pays, qui se positionne régulièrement contre l’ « influence néfaste de la culture occidentale », ferme au contraire les yeux lorsqu’il s’agit des conditions de travail dans les usines gérées pour le compte des grandes firmes étrangères. Des mouvements se mettent en place pour créer des syndicats pour la défense des travailleurs et exiger du gouvernement l’établissement d’un salaire minimum décent.

Retour en Belgique

Le film expose ces différentes étapes dans la vie d’une petite culotte, à travers des portraits de femmes qui exemplifient chacun des pays abordés. De retour en Belgique, la question se pose de notre implication involontaire dans ce système. Si nous y avons une responsabilité, c’est, entre autres, en recherchant des biens de consommation à bas prix, et en en ignorant sciemment l’origine. Comme il est dit au début du film, l’étiquette n’est pas toujours d’un grande aide puisque les firmes déguisent souvent la provenance de leurs produits, la parade classique étant de pouvoir en toute légalité inscrire la mention « assemblé » en Belgique, ou en Europe, si cette étiquette, et elle seule, y a été cousue. En réalité, aucune firme européenne, et surtout aucune petite entreprise ou atelier, ne peut concurrencer les produits bon marché conçus à travers cette chaîne d’exploitation. Il est difficile de trouver une issue à cette constatation assez déprimante. L’une serait d’accepter de payer le prix réel d’une production locale. Une autre serait de refuser la tentation de la consommation outrancière qui encourage ces pratiques, ces prix et un gaspillage révoltant. Une voie à suivre quoiqu’il arrive est de soutenir les luttes de ces ouvriers et ouvrières pour des conditions de travail et des salaires décents, même si cela a pour conséquence de faire augmenter le prix des petites culottes.

Benoit Deuxant

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Le film sera présenté dans le cadre du Mois du Doc et de Take Back the Night

Le jeudi 21 novembre 2019 à 19h30

PointCulture Louvain-la-Neuve

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