Laptop acoustique [Tore Honoré Bøé]
Contre la dématérialisation des outils musicaux, à l’heure du numérique et de l’interface, Tore Honoré Bøé opte pour la réhabilitation du geste et l’immédiateté du son : des « ordinateurs acoustiques », ou « boîtes » tout à la fois plastiques et musicales.
Originaire de Norvège, Tore Honoré Bøé, musicien actif dans les domaines de l’improvisation, de la noise music et de l’électroacoustique, est l’un des représentants de la lutherie « en boîte ». Dès la fin des années 1990, dans la poursuite de ses recherches sur les microsonorités, il a multiplié les concerts et enregistrements en utilisant des objets de plus en plus petits et fragiles. Coquilles d’œufs, riz, aiguilles, couverts, cheveux… Rassembler ces objets hétéroclites dans des boîtes en bois était une solution pratique pour transporter un set-up chaotique. Au tournant des années 2000, cet instrumentarium miniature s’est constitué en un concept instrumental : un « acoustic laptop » que l’on joue du bout des doigts, sans effets supplémentaires. Un microphone de contact peut être placé sur la boîte afin d’amplifier l’ensemble de ces micro-sons.
À l’heure où se multiplient les outils numériques, dans un monde de l’interface et du virtuel, Boé défend la relation immédiate à l’objet, du bout des doigts. Sa musique apparait comme une tentative d’expression immédiate de la matière sonore, prélevée dans la chair du monde, sans intermédiaire ni médiation. Aussi défend-il à travers cette démarche le caractère « home made » ou « bricolé » de la lutherie en boîte (notons que Boé propose des workshops encourageant à la création de sa propre boîte musicale). Le bricoleur est celui qui utilise « les moyens du bord », c’est-à-dire les instruments qu’il trouve à sa disposition autour de lui, qui sont déjà là, qui n’étaient pas spécialement conçus en vue de l’opération à laquelle on les fait servir et à laquelle on essaie par tâtonnements de les adapter, même si leur origine et leur forme sont hétérogènes. Privilégiant l’idée de créativité dans les logiques d’action ordinaires, ce geste peut être considéré comme un art du détour, de la ruse, échappant aux normes et codifications. Aussi, en fonction des goûts de son fabricant, l’ordinateur acoustique peut devenir un objet porteur de mémoire, d’affects, de secrets, d’histoires. Chacun a la liberté de le constituer à partir d’éléments hétérogènes, pouvant avoir une valeur sentimentale (Boé a par exemple utilisé les dents de ses enfants, une pierre d’Auschwitz, ses propres cheveux, etc.). Cette boîte devient un coffre, un lieu singulier (unique) où s’accumulent souvenirs et anecdotes, que l’utilisateur s’offre le plaisir de jouer, et de rejouer.
Sébastien Biset
lien vers le site Origami Republika