L’Arabe du Futur (Une jeunesse au Moyen-Orient 1978-1992) Riad Sattouf
Avant de devenir l’auteur et réalisateur remarqué, Riad Sattouf (né en 1978) a été un petit garçon plutôt petit, malingre et timide, pourvu d’une belle et longue chevelure blonde platine ! Fruit des amours d’un père syrien et d’une mère française (bretonne), ce futur ainé de 3 enfants a passé son enfance entre la Libye de Mouammar Kadhafi, la Syrie de Hafez el-Assad et la France de Pompidou, Giscard et Mitterrand !
Dans un style ligne claire qui associe un trait (en apparence) maladroit et/ou naïf (au sens qu’il a gardé quelque chose des premiers jets enfantins), un traitement noir et blanc d’ensemble associé à une couleur spécifique unique en fonction du pays où l’histoire se déroule (bleu pour le France, Jaune pour la Libye, rose pour la Syrie…) rehaussé ci-et-là d’effets/aplats de couleurs intenses en cas de situations émotionnelles fortes ou de références directes au cadre politique et culturel d’époque (chefs d’états, programmes TV…), ou encore pour souligner un détail qui a son importance (la couleur de son grand cartable) . Enfin, le rythme de lecture repose habilement sur un découpage à trois rangées de cases horizontales aussi fluide que libre (variable) dans la distribution interne de ses formats !
L’Arabe
du Futur, c’est ce père fantasque qui se voulait et se disait « moderne »,
le prototype annoncé d’un homme à venir, visionnaire, instruit, tolérant et
cultivé, libéré des archaïsmes tribaux et des dogmes tout puissant de la
religion (mais sans la renier). Un docteur en histoire contemporaine diplômé de
la Sorbonne « éclairé », qui au quotidien, dans ses dires et paroles,
voire dans ses actes, va montrer de rares prédispositions versatiles à changer et
de discours d’opinions, d’attitudes voire d’humeurs comme de slips, tout en se
préservant de ne jamais véritablement exposer le fond de ses pensées voire de
ses motivations profondes ! Dans le même ordre d’idée, il ne rapporte
jamais la vraie teneur des propos de ses interlocuteurs lorsqu’il est amené à
les traduire
Blague de blond
Dans un récit qui mêle la grande et la petite histoire avec une rare habilité – et sans jamais perdre le novice en culture générale en route - Riad Sattouf, narre une enfance ballotée entre deux cultures, manières de vivre et projets politiques que tout semble séparer. Mais il le fait tout le long des quatre tomes avec son regard d’enfant naïf - et observateur en diable -qui doit évoluer dans deux mondes aux règles aussi tacites que régulièrement cruelles quand on est un gamin chétif qui ne peut en aucune manière se fondre dans la masse et/ou se faire oublier. Pas facile d’être le seul « occidental » blond dans une classe 100% masculine de provinciaux syriens où les profs distribuent les coups de bâton à qui mieux mieux. Pas plus d’ailleurs que de s’appeler Sattouf dans une classe de Bretagne où les filles seront toujours plus attirées par les sportifs fanfarons que par un premier de classe rêveur, qui passe l’essentiel son temps à croquer sur papier le monde qui l’entoure !
Dans un récit qui mêle la grande et la petite histoire avec une rare habilité – et sans jamais perdre le novice en culture générale en route - Riad Sattouf, narre une enfance ballotée entre deux cultures, manières de vivre et projets politiques que tout semble séparer. Mais il le fait tout le long des quatre tomes avec son regard d’enfant naïf - et observateur en diable -qui doit évoluer dans deux mondes aux règles aussi tacites que régulièrement cruelles quand on est un gamin chétif qui ne peut en aucune manière se fondre dans la masse et/ou se faire oublier. — Yannick Hustache
Et pourtant, la vie peu banale de Riad n’est pas non plus qu’un parcours de plaies et de souffrance. Pour deux cousins syriens qui le traitent de « juif » en permanence et vont jusqu’à véritablement essayer de lui faire la peau, il passe aussi de bons moment avec deux autres inséparables (neveux des précédents, mais du même âge que lui) cousins auxquels il essaie d’expliquer ce qu’est le père Noël !
L’imagination au pouvoir !
La découverte par inadvertance d’une figurine géante de Goldorak dans un commerce d’Homs devient à ses yeux l’objet de tous ses désirs, le film Conan le Barbare de John Milius, une éthique de vie, et dès l’âge de dix ans, c’est un Riad de moins en moins blond et poupin qui se met à tomber amoureux de « la femme de sa vie » à quasi chaque rencontre (l’une de ses institutrices, sa cousine Qamar, …) quand elle ne prend pas simplement une forme cathodique (Juliette, l’héroïne d’un manga animé phare des années 1990). Les situations les plus triviales du quotidien (la chasse, la corruption, les files devant les commerces, les travaux et constructions délabrées, les petites manies, la nourriture, le manque d’hygiène, les coupures de courant…) sont traitées sur un mode léger et tendrement sarcastique, tout autant que les aspects les plus anodins de la vie de famille, de l’école ou des liens avec le(s) voisinage(s). Quand un sens aigu de l’observation se nourrit à une imagination des plus fertile et carbure un enthousiasme inépuisable, ça donne un récit en apparence léger qui se parcourt à toute allure, mais sur lequel on ne cesse de revenir en raison de sa densité narrative et de sa profusion de détails finement observés !
Sattouf manie à merveille cet art casse-gueule du « désamorçage dramatique », ou comment, sans jamais en
amoindrir la charge symbolique ou affective, évoquer et traiter de choses et
situations régulièrement délicates, lourdes de sens voire franchement
révoltantes par le prisme de l’humour et trait satirique (maints détails du
décor relevés de descriptions en écriture infantile « hors-bulles »
pour en souligner la laideur ou l’absurdité), et vues par les yeux d’un gamin
qui découvre le monde qui l’entoure. De magnifiques constructions emblèmes d’un
régime « au service de tous » jamais terminées mais déjà lézardées de
l’intérieur avant de se voir remises à leurs occupants ! Ces
« juifs », jamais vus ni approchés de près comme de loin, qui
représentent l’ennemi implacable et irréductible (invisibles), mais aussi le croquemitaine
et le méchant infiltré dans l’imaginaire des jeux des enfants syriens jusqu’à
l’abscons et le non-sens le plus total ! Ou encore cette religion musulmane
ramenée à un concours vaniteux d’accumulation de signes extérieurs
« d’islamité », à un code superstitieux de conduites étranges et
inintelligibles aux yeux d’un gamin qui « aimerait » devenir musulman (sunnite)
sans trop savoir ce que la religion veut signifier (il fait le ramadan un jour pour
faire comme ses compagnons de classe), et aussi parce qu’on lui promet de
« bruler en enfer » s’il ne se conforme pas à ses préceptes !
Comme bon nombre de jeunes enfants passant d’un ensemble linguistique à l’autre (français, arabe et retour), Riad n’éprouve aucune difficulté d’acquisition d’un langage et de ses codes (quitte à les oublier un temps pour mieux les récupérer ensuite), dont il s’amuse beaucoup des particularismes et différences. Ce qui semble moins vrai pour ces adultes (sa maman ne parle que français avec quelques bribes d’anglais), entrainés dans des imbroglios et incompréhensions en cascade, et traités ici sur un ton léger et tendrement absurde !
Et pourtant, la cruauté du monde des adultes s’invite sans prévenir dans ces cases. De vieux fermiers Bretons qui se débarrasse d’une portée de chatons à mains nues, un chiot massacré sur une pique (parce qu’impur !) par des gamins surexcités avec l’aval des adultes ou pire, le crime « d’honneur » commis sur une pauvre veuve, Leila –laquelle aura eu une influence décisive sur sa vocation de dessinateur - par l’un de ses oncles. Un assassinat qui demeurera pratiquement impuni malgré le dépôt d’une plainte des Sattouf!
La vie de famille
Dans ce récit qui court de 1978 à 1992 en quatre
volumes inégaux en taille (les trois premiers font 150 pages et le dernier pas
loin de 300 pages ) Riad Sattouf tire le large portrait d’une famille aussi
éclatée que possible – les grands parents Bretons et Syriens ne se
rencontreront jamais – mais essentiellement focalisé autour d’un noyau
papa/maman/Riad agrandi t au cours du temps à Yahya puis Fadi (ses deux petits
frères), qui ne trouve réellement sa place nulle part !
Clémentine, une mère et brillante universitaire qui
« fait le choix » de
demeurer au foyer quand le couple est en Libye et en Syrie et éprouve toutes
les peines du monde à trouver un travail à son retour en Bretagne. Entre
l’ennui – il ne se passe pas grand-chose dans un petit village, qu’on vit à
quatre dans un confort spartiate et qu’on est une occidentale qui ne parle pas arabe
– et la déception face aux promesses jamais tenues d’un mari aussi imprévisible
que pingre tout en clamant à qui le veut ses rêves de grandeur et sa richesse prochaine, ses sentiments
s’étiolent doucement pour céder le pas – en toute fin de volume – à la stupeur
et finalement (dans les ultimes pages du livre) à la colère !
Mon père ce héros ?
Ce père, Abdel-Razak Sattouf passe doucement du statut de doux illuminé panarabe qui fait une fixette sur le statut de docteur (ce qu’il est, mais en histoire) rêve de se faire bâtir une immense villa, un superstitieux qui se ballade partout avec un taureau noir en plastique porte-bonheur, à un militant pro-sunnite, fan d’armes à feu avide de richesses et de reconnaissance mais faisant montre d’un comportement infantile devant sa mère et d’un racisme (antisémitisme) et d’une misogynie à peine dégrossis. Rentré au pays, (à Ter Maleh) après 17 ans d’absence, il se met aussitôt en quête de « relations » au sein du régime qui pourraient lui offrir quelques avancements dans sa carrière d’enseignant : un général, un garde du corps d’Assad qui a été son élève.
Il est un objet de curiosité sans fin pour Riad qui en
dépeint les moindres mimiques (il fait grincer ses dents quand il se sent
insécurisé), petites manies (il regarde la Tv couché sur le sol en se tenant la
tête avec les mains), ses atermoiements, hésitations, promesses jamais tenues,
et changements d’opinions quasi quotidiens, et son imprévisibilité naturelle,
et traque aussi les moindres signes de vieillissement (le port des lunettes,
les premiers cheveux gris…). Il voudrait faire valoir son autorité sur sa femme
mais bat en retraite dès qu’elle ouvre la bouche ! De même, Riad est étonné lors de sa visite à son bureau de l’université où le « grand
professeur » enseigne à Damas, un minuscule réduit sale au milieu de
collègues qui l’ignorent !
La guerre est déclarée !
Le dernier tome de l’Arabe
du futur (1987-1992) consacre cet éloignement du père et de sa famille.
Clémentine finit par trouver un travail en France où elle a choisi de demeurer,
non loin de sa famille, avec ses trois enfants, et un Riad qui tout doucement
s’approche de l’adolescence, et s’entiche de Charles, le compagnon de sa
grand-mère maternelle. Ses rares contacts avec un Abdel-Razak qui perd peu à
peu l’usage du français (!) se font par téléphone. La mère étant convalescente (elle survit à un cancer),
le père leur rend visite et semble aider plus volontiers aux tâches du ménage
mais à ses discours pro-arabes (pro Saddam Hussein) et religieux militants s’ajoute
à présent le respect zélé mais discret de certains préceptes (la prière, plus d’alcool
ni de porc) de l’Islam et une obsession nouvelle pour la pudeur des femmes.
Riad le voit aussi doucement glisser vers la religion et
le sent attiré par dualité fortunes pétromonarchie/fois rigoureuse propre à l’Arabie
Saoudite. Abdel-Razak ira y travailler un temps, fera son pèlerinage à la
Mecque, mais s’en verra expulsé ensuite. Pèlerinage qui, aux yeux des villageois
de Ter Maleh lui confère enfin le respect et l’admiration qu’il avait tant
désirées. Son instabilité finit par rejaillir sur son caractère et ses sautes d’humeur
se font virulentes et il en arrive à s’en prendre physiquement à sa femme
devant sa propre famille !
Lors de son ultime visite en Bretagne – le couple est séparé dans
les faits – le père feint d’être aux petits soins pour ses fils et manifeste
son désir de rester en France… avant de kidnapper Fadi et de regagner la Syrie
La guerre des Sattouf est déclarée !
Yannick Hustache