L’atelier vidéo, une fenêtre pour sortir de l’institution psychiatrique ?
Je suis entrée dans le monde de la psychiatrie un peu par hasard en 1989 et je n’en suis – pas encore – sortie… peut-être parce que je me sens à ma place, peut-être parce que j’y ai pris goût, allez savoir…
J’ai été engagée comme vidéaste dans un centre de jour (le CODE – Centre original de l’expression – de l’Équipe) qui accueille des personnes adultes en souffrance psychique pour y animer un atelier vidéo. Je craignais un choc face à la maladie mentale, ce fut une rencontre. Ou plutôt de multiples rencontres, profondément humaines. À cette époque, le psychiatre responsable du Centre, le Dr Michel Aflalo, explorait depuis quelques années déjà la vidéo comme outil thérapeutique. Il expérimentait avec les patients des séances au cours desquelles la caméra constituait un moyen d’expression et d’investigation. Nous sommes alors quelques intervenants extérieurs à rejoindre l’équipe thérapeutique de sociothérapeutes. Il y a un metteur en scène, un potier, une musicienne, un dessinateur et moi comme vidéaste. Notre mission est de faire émerger les talents créateurs des personnes qui fréquentent les ateliers proposés.
Qu’allais-je y faire ? Sur quel modèle pouvais-je me baser pour animer cet atelier ? L’atelier avait-il un but pédagogique, thérapeutique ? Les productions seraient-elles destinées à « déchiffrer » certaines composantes des pathologies des participants ? — Martine Lombaers
Déjà dans les années 1960, en France, le cinéaste Fernand Deligny réalisait des films avec de jeunes autistes dans les Cévennes et les rencontrait par le biais de l’image. En Belgique, le cinéaste Boris Lehman réalisait des films dans les années 1970 avec les usagers du Club Antonin Artaud.
Dans un premier temps, mon souci fut d’emmener les participants de l’atelier à sortir de l’univers de la psychiatrie par le biais de créations collectives. Intuitivement, je suis partie de ma formation de scénariste pour investir l’univers de la fiction, dans l’idée de créer avec le groupe un univers collectif, nourri par les idées des participants. Nous inventions une autre réalité, des personnages et des histoires qui étaient ensuite interprétées par les participants et filmées « comme au cinéma ». Nous avons réalisé ainsi une cinquantaine de petits films. Nous faisions des films. Bien. Mais pour qui ? Où les présenter ?
Après avoir organisé quelques séances de projection de nos productions à Bruxelles, nous avons présenté nos films dans un cadre qui nous a paru adéquat, à Paris, aux « Rencontres vidéo en santé mentale ».
Chaque année en novembre, la Cité des Sciences de la Villette accueille les équipes qui ont réalisé des films d’ateliers. Durant deux jours, une quarantaine de films sont projetés et présentés par les participants. Accueillis et commentés par un public de plus en plus nombreux. La règle est simple mais essentielle : les Rencontres accueillent et projettent des films réalisés AVEC les personnes fragilisées (en souffrance, psychiatrisées, etc.) et non des films SUR les malades mentaux. Très vite, l’intérêt de ces Rencontres vidéo s’est manifesté à plusieurs niveaux. D’abord, elles offrent une reconnaissance des participants pour leur travail ; lorsqu’on monte sur scène après la projection, sous les applaudissements du public, c’est qu’on existe, quand même… Ensuite, la présentation d’un film réalisé à l’intérieur des murs de l’Institution et présenté « hors les murs » constitue une ouverture vers l’extérieur du monde psychiatrique. Et enfin, on observe des répercussions dans la dynamique de l’atelier suite à la vision d’autres films et aux rencontres avec d’autres ateliers. Au fil du temps et des rencontres, nos pratiques se sont diversifiées. Nous avons réalisé des clips, des films d’animation, des documentaires. Au CODE, notre réflexion s’est poursuivie sur les rapports entre art et clinique. Elle nous a amenés récemment à proposer d’autres dispositifs d’atelier permettant d’être au plus près de la parole des participants tout en favorisant l’émergence d’une œuvre collective.
À Bruxelles, dans le cadre du festival Images mentales, nous organisons depuis quelques années une journée de rencontres autour des films d’ateliers, conçue sur le modèle des Rencontres à Paris. Cette journée de présentation de films d’ateliers est l’occasion pour les participants de se présenter autrement qu’en tant que malades mentaux. De se débarrasser de l’étiquette « psychiatrisé » et de la remplacer par celle d’auteur, acteur, réalisateur… C’est aussi l’occasion d’aller à la rencontre des autres par le biais des productions. Rencontre avec le public, avec des artistes, des journalistes, des professionnels de la santé et des médias.
Au fil des ans, nous avons eu l’occasion de présenter quelques films d’ateliers qui ont marqué les esprits par leur singularité, leur humour, leur justesse, leur audace ou leur émotion… Parmi ce florilège, nous pouvons citer entre autres Le Maboule palace de l’atelier vidéo du CODE, Lavez riz thé de L’Heure atelier, La Trilogie tropicale, réalisé avec Gérard Preszow ou Heures animées, réalisé avec Aline Moens à l’Atelier Graphoui.
Aujourd’hui, beaucoup d’institutions ont fait entrer les caméras dans leurs murs, et nous sommes de plus en plus nombreux à animer des ateliers vidéo inscrits dans le fonctionnement de l’institution psychiatrique. Avec comme mission première d’utiliser la vidéo comme moyen d’expression, avec comme ligne de mire le désir de donner une autre image de la psychiatrie que celle véhiculée parfois par les médias ou dans l’opinion publique, de casser cette image du fou dangereux qui se balade avec un entonnoir sur la tête. Cette année, dix institutions belges proposent un film au festival, et nous ne pouvons que nous réjouir de l’intérêt croissant d’un public sensibilisé à ces productions pour le moins originales.
Mais dans le paysage audiovisuel, il n’y a pas que les films d’atelier… L’univers de la folie fascine, et les cinéastes se sont de tout temps emparés du fait que la maladie mentale intrigue, fait peur ou fait penser. Le festival Images mentales présente chaque année une sélection de films documentaires et de fiction, et nous invitons des cinéastes qui nous offrent un regard particulier, avec des films qui permettent des rencontres et des discussions sur les multiples images de cette folie qui, si elle peut parfois être grandiose, ne doit pas occulter qu’il y est aussi question de souffrance. Et donc d’humain.
Martine Lombaers
Animatrice vidéo au CODE de l’Équipe et coordinatrice de l’asbl Psymages
Article écrit en 2013 pour La Sélec n°25 "La folle échappée"
11e Rencontres Images Mentales
Du 20 au 23/02/2019
Regard sur la folie
La Vénerie | Espace Delvaux