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L’Atlas des peuples

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Comment définir « le peuple » ? Par sa langue, le territoire qu’il occupe, sa culture commune, ses mythes partagés ? Le peuple fait-il la nation ? Comment faire face à la montée des populismes ? Quel avenir pour les peuples dits autochtones dans une mondialisation vue par beaucoup comme un facteur de dissolution des identités locales et régionales ? Faut-il instaurer un principe universel d’hospitalité ?

Sommaire

L'Atlas des peuples

C’est pour tenter de répondre à ces questions si présentes dans l’actualité que ce numéro hors-série à la rédaction bicéphale (Le Monde / La Vie) a été réalisé, avec pour ambition de s’adresser en priorité « aux intelligences », dans une démarche qui privilégie l’empathie et aide à comprendre !

Le numéro couvre l’histoire humaine sur ses 6000 dernières années en cinq chapitres, avec largement plus de 200 cartes et des textes ni trop brefs ni trop longs, mais toujours d’une grande pertinence explicative. Les multiples cartes et situations sont décrites comme des équilibres dynamiques complexes sous tensions, toujours insérés dans des ensembles plus grands avec lesquels ils interagissent, et ses cinq grands chapitres précédés à chaque fois de balises explicatives posées par un panel international de chercheurs multidisciplinaires, mais aussi de personnalités issues des arts et de la littérature. Avec, en final, le grand entretien avec Jean Malaurie, « explorateur » et spécialiste des peuples premiers de l’Arctique.

De quoi parle-t-on ?

Cette partie introductive revient sur la définition de peuple, très variable selon l’époque, le lieu, les disciplines, et s’interroge sur ce qui crée aujourd’hui le sentiment d’appartenance. À la lumière de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones votée il y a plus de dix ans dans l’enceinte de l’ONU, les auteurs dressent le constat d’un processus de décolonisation toujours inachevé et reviennent sur quelques fictions imaginaires historiques (les Atlantes, les Laputiens, etc.) qui, déjà, dénonçaient les dérives des sociétés de leur temps !

L’aube des peuples

Cette partie remonte à l’origine du processus historique de formation des peuples, de la manière dont certains groupes humains se sont distingués par leur culture, mode de vie, organisation politique ou identité symbolique.

La chercheuse Céline Trautmann-Waller remonte à l’origine du peuple en tant qu’objet d’étude à part entière au sein des sciences humaines. Un cadre théorique est posé dès la fin du XVIIème siècle par les Lumières, alors que le romantisme le voit plutôt comme le dépositaire d’une âme collective originelle. Tout au long du XIXème siècle, les débats tourneront autour d’une définition du peuple comme le fruit de trois facteurs : la race, le milieu, et le moment (Hippolyte Taine), portés parfois par des approches racialistes fondées sur l’hérédité biologique, justifiant l’inégalité des peuples, ou, à contrario, des modèles qui tendent à élaborer une « psychologie des peuples » au travers d’une science des cultures.

Le XXème siècle met à mal l’idée d’une supériorité culturelle occidentale, et au travers des approches dites structuralistes, nait la nécessité de penser cultures et peuples comme des systèmes fonctionnels. Dans la foulée de la décolonisation émergent de nouvelles approches qualifiées de macrostructurelles (rapport à l’environnement, l’histoire…) et de microstructurelles (les familles, le quartier…). Enfin, elle esquisse quelques pistes sur le comment (re)penser l’étude des peuples et des cultures à l’ère de l’Internet et des flux continus d’informations.

Si, dès l’origine, l’homo sapiens est un animal migrant qui, parti de son berceau africain, a colonisé la terre entière, l’humanité s’est développée au travers d’une mosaïque de peuples. Cette partie relate, sous des angles de vue multiples, l’histoire des grandes civilisations, que ce soit sous l’angle de la longévité (l’Égypte des pharaons), du récit biblique (la genèse du peuple hébreu), de son exceptionnelle résilience (la Perse, les États haoussa), de la culture comme ciment civilisationnel (la Grèce antique), de la citoyenneté comme socle du sentiment d’appartenance à l’empire (la Rome antique), de la cité à l’origine du peuple (les Aztèques), du brassage ethnique ou religieux (l’Inde), ou au contraire de la prédominance d’une composante sur toutes les autres dans la construction d’un empire (la Chine des Han). Une lecture ethnocentrée présente en creux du récit national japonais. Toujours en Asie (et par contagion, en Europe), un article revient sur l’extraordinaire destinée des confédérations de tribus nomades turco-mongoles, à la fois destructrices et faiseuses d’empires !


Quand le peuple fait nation

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Le XVIIIe siècle voit peu à peu s’affirmer le modèle politique de l’État-nation. Cette idée qui concrétise, selon le politologue Gil Delannoi, la souveraineté populaire, est née simultanément des deux côtés de l’Atlantique (avec les révolutions françaises et américaines). Les citoyens deviennent égaux en droit mais la nation devient le ciment d’une appartenance commune partagée. Le chercheur donne aussi sa propre grille d’analyse du nationalisme, fusion de la nation « politique » et « culturelle », et prévient de la difficulté de sortir de l’engrenage fondamental qui fait que le nationalisme appelle le nationalisme…

Non sans paradoxe ! Le nationalisme américain ne peut se départir d’une lecture des origines qui ne repose sur le melting-pot originel et le multiculturalisme ! Dans le cas français, c’est bien par les vecteurs de la citoyenneté et de l’école que ce sentiment national a pris racine à partir de la Révolution française. Une identité française qui pose par ailleurs question au cœur des débats sans fin sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Dans l’Europe née du traité de Vienne de 1815, ce mouvement (ou cette contagion) des nationalités a été un puissant facteur de déstabilisation/dissolution (et de reconfiguration) des entités étatiques qui a maintes fois redessiné les contours du continent. À contrario des idées reçues, l’État-nation hellénique procède bien d'une création politique du XIXème siècle. Tout comme l’Italie, où l’État a précédé au sentiment national. Un sentiment, ou plutôt une conscience nationale profondément ancrée, comme élément moteur des multiples résurrections d’une Pologne au territoire fluctuant. Héritier d’une situation géopolitique particulièrement complexe, l’Empire allemand (né en 1871) est l’aboutissement d’un processus inabouti long de 60 ans ! L’Espagne et la Grande-Bretagne, « vieilles » d’entre les nations d’Europe, offrent les exemples de constructions nationales fragiles, en butte avec de fortes velléités régionalistes et/ou séparatistes. Mariage de raison à la belge (1830), ou passage d’une longue diaspora religieuse et culturelle à une communauté nationale territorialisée (1948) pour un peuple juif sur le pied de guerre permanent… autant d’exemples singuliers et de résolutions imparfaites d’une équation peuple/nation aux solutions régulièrement problématiques.

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Les peuples face aux États

Séquelles de l’Histoire, des guerres, de la colonisation, certains peuples sont sans État et certains États ont plusieurs peuples. L’anthropologue Michel Augier offre un regard éclairant et nuancé sur ces revendications autonomistes mondialisées : un État doit-il correspondre à un peuple ? Réponse délicate, tant est qu’il n’y a (aura) jamais une seule vérité d’un peuple et que celle-ci se transforme en permanence. Le scientifique insiste sur la nécessaire séparation entre l’identité et de la citoyenneté.

Dans un monde encore largement modelé par (les séquelles de) l’épisode colonial ou gangrené par la fragmentation ethnique (l’Afrique), des peuples premiers s’affirment parfois via le jeu démocratique (les Maori de Nouvelle-Zélande), alors qu’ailleurs, les équilibres régionaux demeurent difficiles à trouver (Nigeria, le Rwanda de l’après-génocide, l’Afrique du Sud post-apartheid). Mais là ou l’Éthiopie semble réussir le défi de « l’ethnofédéralisme », les Touaregs ou les minorités Rom demeurent exclus des sociétés où ils vivent et, déchirés entre occupation et exil, les Palestiniens peinent à se faire entendre en tant que peuple ! L’Anatolie reste un foyer de tensions entre une Turquie qui se rêve musulmane, ethniquement homogène, et des groupes minoritaires (surtout kurdes) en quête d’État. Même constat dans le Grand-Ouest chinois où les minorités turcophones et tibétaines se voient soumises à une sinisation à marche forcée.

On constate aussi que si la question des nations a ressurgi avec acuité à la fin de l’ U.R.S.S. (1991) et provoqué l’éclatement de la Yougoslavie (1995), la pluralité ethnique et culturelle demeure la clé de voûte de l’Inde moderne.

Le cas des diasporas – cette migration dont le lien avec le territoire et la culture d’origine est maintenu – est décrit sur une échelle mondiale avec foyers de départs et aires d’installation.


Populisme contre universalisme

La mondialisation et l’amplification du phénomène migratoire conduisent de plus en plus de sociétés à un repli sur soi. Néanmoins, pour résoudre les crises, la solidarité semble plus que jamais nécessaire. — Yannick Hustache

La mondialisation et l’amplification du phénomène migratoire conduisent de plus en plus de sociétés à un repli sur soi. Néanmoins, pour résoudre les crises, la solidarité semble plus que jamais nécessaire. Selon le politologue Yascha Mounk, l’un des moyens de sortir du désenchantement démocratique d’aujourd’hui est de « domestiquer » le nationalisme. Ces démocraties « illibérales » qui se distinguent par un manque de respect vis-vis des institutions indépendantes et des libertés individuelles recueillent l’assentiment d’un nombre croissant de jeunes (nés après 1980). Des analyses de l’évolution des résultats électoraux en Pologne et Hongrie ces vingt dernières années montrent cette poussée d’euroscepticisme et d’opposition au multiculturalisme et font directement référence aux positions protectionnistes anti-immigration (et au fort clivage vote rural/vote urbain) qui ont mené les Républicains et Donald Trump au pouvoir en 2016. Un populisme qui fait largement recette en Amérique latine, et qui, mâtiné de nostalgie impériale et de nationalisme conquérant, constitue le socle du discours et de l’action de Russie Unie, parti de Vladimir Poutine depuis 2000.

D’autres questions, dans la perspective d’un monde plus solidaire, comme la reconnaissance des crimes coloniaux (et de leur indemnisation) et des « écocides », sont également évoquées. Enfin, la multiculturalité est abordée via l’angle des grandes métropoles urbaines, de la constitution du Canada et (des limites) du modèle du vivre-ensemble reconnu qu’est l’île Maurice. Le hors-série se conclut sur la question d’un principe universel qui réaffirme le droit et le devoir d’hospitalité.


Yannick Hustache


L'Atlas des peuples

L'Atlas des peuples

Le Monde / La Vie . Hors série N°26, novembre 2018

186 pages

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