Laurent Gerbaud : le chocolat comme une épure
Dans un pays qui, en marge d'une abondance pâtissière proportionnelle à celle des jours de pluie, peut
se prévaloir d’un nombre confortablement élevé de chocolatiers, la débauche de
luxe que représentent ces boutiques qui colonisent les rues chic de la capitale, justifiant, du même coup, les
prix exorbitants de leurs produits ne rend pas justice aux artisans, confiseurs
ou monomaniaques qui, du fond de leurs ateliers ou de leurs cuisines, ne se
distinguent pas suffisamment d’une production désormais industrialisée.
Celle-ci, forte d’un prestige bâti sur des acquits déjà anciens, continue de
prospérer par l’attrait infaillible du gras et du sucré dissimulé dans un
emballage qui transcende sa valeur réelle.
Plus démocratique, l’offre de Laurent Gerbaud ne l’est certainement pas. À tout le moins, ces objets de gourmandise voués par leur prix à rester occasionnels ne se vendent pas sous le masque d’une quelconque tradition. Cet artisan venu au chocolat sur le tard présente un profil peu conventionnel qui, à défaut de cocher toutes les cases d’un cursus réglementaire, en dit autant de la passion qui l’anime que de son peu d’intérêt pour les recettes éprouvées, faciles et régressives. Petit-fils de boulanger-pâtissier, l'homme s’est très tôt senti attiré par les fourneaux. Un savoir-faire constitué par la pratique est une seconde mise à l’épreuve après un désir contrarié. De simple amateur à professionnel, il lui a fallu faire un détour par l’université, (licence en Histoire médiévale, apprentissage de diverses langues), alors seulement l’aventure pouvait commencer. Et celle-ci, à ce qu’il découvrit, était autant de voyager que de créer des nourritures d’exception.
Une période de stage dans la chocolaterie Planète Chocolat suivie de nombreux séjours en Orient permirent à Laurent Gerbaud de sonder ses propres préférences en même temps que les relations antagonistes que les Chinois entretiennent vis-à-vis des desserts. Son projet initial qui était de développer un chocolat au goût des Asiatiques se cristallisa en l’envie de donner corps à son imagination en fusionnant les saveurs qu’il avait découvertes au cours de ses voyages – épices, fruits – avec la matière d’un chocolat proche de l’élément d’origine, noir, profond, intense.
Sur un marché mondial majoritairement occupé par des gros producteurs (Barry Callebaut, Cargill), auprès desquels la plupart des chocolatiers, artisans comme industriels, alimentent leur usines et leurs ateliers, la recherche d’un chocolat de couverture à la hauteur de ses attentes a mené Laurent Gerbaud jusqu’en Italie. Basée dans le Piémont, la maison Domori collecte auprès des meilleurs producteurs les plus grands crus de fèves de cacao et les torréfie avec soin. Les mélanges se composent de deux cépages de fèves nobles : le Trinitario malgache pour sa complexité aromatique, et le Nacional, un Forastero cultivé en Equateur pour sa longueur en bouche. Une même délicatesse conduit le choix des fruits, que ce soit l’abricot, la figue, l’orange, la bergamote, le yuzu, la poire, la prune, le kumquat, le raisin ; des oléagineux : la noisette, l’amande, les noix de Grenoble, de cajou et de pécan, la pistache, le café ; des épices : cumin, poivres, piments, cannelle, gingembre, cardamone.
Si les pralines et les pralinés, contrairement à ce que prétend la publicité faite sur certains sites, ne sont pas exempts de sucres, de dérivés de produits laitiers et autre lécithine de soja, Laurent Gerbaud pousse le raffinement jusqu’à proposer une gamme de chocolats véritablement nobles, dépourvus d’additifs. À la plus grande joie des personnes allergiques, des véganes et des palais difficiles s’offrent des tablettes, des fruits déguisés, des palets, des pralines et, comble de volupté, du chocolat cru, une expérience que tout véritable amateur de chocolat devrait tenter un jour. S'engage une conversation entre des saveurs dont aucune ne doit renoncer à sa personnalité. Respectueux du produit et de l’environnement, c’est décidément un chocolat tourné vers l’avenir que nous propose cet artisan, totalement en phase avec le souci contemporain pour une consommation responsable et un plaisir entier.
Catherine De Poortere
Laurent Gerbaud
Boutique et salon de thé
2D rue Ravenstein
1000 Bruxelles
Cet article fait partie du dossier Bruxelles.
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