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Le bureau d'artistes (3) : Philippe Saire

Philippe Saire
Combien d’heures par jour un artiste consacre-t-il à sa production ? Et puis que fait-il au juste, comment et dans quelles conditions ? Est-ce que penser c’est travailler ? Existe-t-il un mode d’emploi ? Le bureau d’artistes donne la parole aux principaux concernés et les invite à lever le voile sur leur temps de travail.

Est-ce parce que les artistes n’ont pas de bureau qu’il est si difficile d’évaluer leur temps de travail ?

Pour cette troisième édition du bureau d'artistes, c'est le chorégraphe suisse, Philippe Saire, qui se prête au jeu et nous accueille dans son bureau. Établi à Lausanne, le danseur y a créé sa compagnie fin des années 1980. Depuis, il s'est imposé sur la scène artistique de son pays mais également à l'étranger où il se rend régulièrement pour présenter ses créations. Début décembre, il sera à la Raffinerie à Bruxelles ainsi qu'aux Écuries à Charleroi pour émerveiller les petits comme les grands.

- Quelle est votre méthode de travail (horaires, lieux etc.) pour entrer dans le processus de création artistique ? Concrètement, quelles sont vos techniques/astuces/rituels pour vous y mettre ? Ces méthodes sont-elles à réinventer à chaque nouveau projet ou y a-t-il une sorte de répétition, quelque chose qui reviendrait à chaque fois ?

Ce sont pour moi des temps qui reviennent à chaque création mais qui sont très distincts. Un premier temps préparatoire, avec un aspect très pratique (plannings, salles, finances etc.), ainsi qu’un aspect artistique plus fluide, sur une longue durée. Des temps pour une recherche de documentation tous azimuts, lectures, films, images, tout ça de manière assez empirique et rhizomique. Ces temps de recherche, je les fais chez moi. Je me bats pour préserver ces temps de jachère qui sont toujours menacés par des choses pratiques à régler.

Pendant le temps des répétitions, l’organisation est très calibrée (plannings, échauffements organisés bien à l’avance). C’est une période durant laquelle je me lève très tôt avant de partir en répétitions, pour réfléchir à ce qu’on a fait la veille, à ce que je vais faire le jour-même. C’est une sorte de rituel de me retrouver à mon bureau de très bonne heure.

- À quoi ressemble la période de gestation (la durée, votre état, votre ressenti etc.) précédant l’apparition d’une idée, d’une œuvre, d’un projet ? Y a-t-il un cycle dans votre processus de création, une périodicité ? Et après ? Faut-il un temps pour vous en remettre, pour vous y remettre et créer à nouveau, pour avoir du recul sur votre création ?

Ce temps de gestation, il n’est pas stable, parfois j’ai la chance de vraiment le prendre, de laisser venir les idées et les envies, de les noter, les relire, les élaborer, les développer... Le plus souvent, ça se passe en parallèle d’une autre création, comme des parenthèses qui n’auraient rien à faire là, mais qui pourraient être développées ultérieurement.

Il y a des temps où, alors que j’ai choisi par exemple un thème et où j’accumule comme un hamster, sans trop savoir ce que je vais faire de toutes ces notes, arrive un moment de grands doutes. J’ai alors l’impression de patauger dans tout ça, jusqu’à ce que je trouve un point d’accroche ou qu'il s’impose. Une structure, une fin, un concept, une histoire, tout est bon. Ensuite les choses s’assemblent peu à peu autour de ce point d’arrimage, tout en restant encore ouvertes et à mettre à l’épreuve du temps, de la pratique et des répétitions.

Pendant la fin des répétitions, il y a toujours ce stade où, totalement immergé dans le projet, je ne sais plus ce qu’il vaut. Je n’ai plus la découverte, la surprise. Du coup, c’est un temps où j’avance un peu tête baissée, réglant des questions de durées, de rythmes, d’image sur le plateau. Le temps d’assumer et de fortifier mes choix.

Après une création, il me faut un grand temps de digestion et souvent je sens un vide, pour autant que j’aie le temps de l’avoir et que je ne plonge pas dans un autre projet. Il y a aussi un peu de recul qui se met par rapport à la pièce, un regard un peu plus distancé. Arrive alors en général, l’envie de faire des changements.

Il y a aussi un temps où je fais des ponts avec la prochaine création, ce qui m’a convenu ou non dans le processus de la précédente, ce que j’aimerais bouger. Des décisions parfois en opposition, avant de repartir à nouveau.

- À quel niveau considérez-vous que le temps de travail est un critère d’évaluation de la valeur d’une production artistique ?

Je ne peux pas donner de critère absolu. Une création répétée rapidement, avec un concept fort, peut parfaitement fonctionner. Mais dans l’ensemble, je pense qu’un temps long, bien mis à profit, permet de se renouveler dans l’écriture chorégraphique. Il permet aussi des pistes erronées qui vont renforcer ce qui reste.

Je pense aussi que ce temps qu’à la danse, par rapport au théâtre par exemple, est nécessaire. Car la danse s’écrit en même temps qu’elle se répète. C’est aussi sa force et c’est ce qui fait qu’elle est l’un des plus inventifs parmi les arts de la scène.


Photographie de bannière : © Philippe Weissbrodt

Questions : Alicia Hernandez-Dispaux

Site web de l’artiste : http://www.philippesaire.ch/

Philippe Saire présentera son spectacle « Hocus Pocus » à Bruxelles et à Charleroi du 5 au 8 décembre.

Infos et réservations : cliquez ici

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