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Le classique rencontre le jazz [1]

publié le par Marie De Wautier

Première partie.

Sommaire

 

 

Remarque préliminaire: ce dossier provient du site Travers-sons et à été écrit  par Christiane Claeys Boùùart.

 

L'Europe classique et le jazz:
Entre divertissement et contestation: première partie.

 

Introduction

 

A l'aube du XXe siècle, l'Europe s'ouvre au monde entier. Le vieux continent fait preuve d'une curiosité insatiable et découvre des cultures lointaines et étonnantes. L'univers artistique en est bouleversé. La musique, elle aussi, participera à ce grand courant d'exotisme. Tandis que l'écriture musicale subit une véritable révolution grâce aux recherches d'Arnold Schoenberg sur la tonalité, viennent d'ailleurs rythmes inconnus et sonorités surprenantes. Une nouvelle conception de l'art est née, bouleversant les traditions et ouvrant la porte au modernisme de ce début de siècle. Aux États-Unis, les Noirs , toujours sous le joug de l'oppression, avaient créé leur propre musique issue du blues, des spirituals, des fanfares et des rythmes hérités de leur passé africain. Elle s'imprégna aussi de la mesure régulière des cantiques protestants, des danses de salon et des autres formes importées d'Europe. L'absence d'instruction musicale et l'utilisation d'instruments insolites contribueront à la transformer en une musique originale. Par dérision ou tout simplement par plaisir, les Blancs adoptent les rythmes dynamiques et fluctuants des fanfares noires et créent leurs propres orchestres. Or, c'est cette musique-là que l'Europe rencontrera en premier lieu. Le premier contact avec la musique noire est fait de superficialité au travers d'orchestres tels que les Dixieland, imitation blanche de la musique noire de la Nouvelle-Orléans.

 

 

Le jazz comme divertissement

Immédiatement après la Première Guerre mondiale, les échanges avec le Nouveau Monde s'intensifient et c'est ainsi que l'Europe accueille une musique toute empreinte de joie de vivre, de verve, de spontanéité. Les " revues nègres " attirent et enthousiasment le public. Les rythmes libérés des danses modernes s'emparent de la variété. Rag, fox-trot, charleston et autres sont connus et amusent. Plusieurs musiciens classiques se laissent également gagner par l'enthousiasme de la découverte. Fascinés, ils rêvent de donner à leur oeuvre cet aspect de liberté et de goût de vivre.

Vers 1907 déjà, Claude Debussy compose le plaisant Golliwog's Cake-Walk, extrait des Children's corner. Il termine le Premier livre des Préludes (1910) par la petite pièce intitulée Les Minstrels désignant clairement ces chanteurs blancs déguisés en noirs, véritable clin d'oeil à cette mode déferlant sur l'Europe. Suit encore le Général Lavine-eccentric , Cake-Walk du Second livre des Préludes (1913).

Totalement immunisé contre le pathos wagnérien très influent à ce moment, Erik Satie se tournera résolument vers les musiques populaires et les rythmes américains. En témoigne un ragtime de son ballet Parade (1917) créé en collaboration avec Jean Cocteau, spectacle qui fit un véritable scandale tant la conception en paraissait audacieuse. 

Le grand curieux que fut Darius Milhaud se laissera lui aussi captiver par les rythmes afro-américains. Il fréquenta les clubs de jazz de Harlem. Il nous laisse son ballet La Création du monde (1923). Citons également Trois Rag-caprices pour piano et petit orchestre, Scaramouche. Oeuvres enjouées, au ton allègre, interpétées par des ensembles musicaux réduits contrastant avec la lourdeur des orchestres romantiques.

Grâce à son ami Ernest Ansermet qui lui apporta des disques des Etats Unis, Igor Stravinsky découvre la complexité des rythmes noirs, plus particulièrement le caractère polyrythmique des chants et des danses. Dans l'Histoire du Soldat  (1918), une tension particulière naît de la superposition de deux rythmes différents. La même année voit la création du Rag-Time pour 11 instruments et sa réduction pour piano, le Piano Rag Music dédié à... Arthur Rubinstein. Stravinsky ne perdra jamais le contact avec le jazz; en 1937, il compose le Praeludium pour ensemble de jazz  et en 1945, il crée Ebony concerto pour Woody Herman et son orchestre.

Citons également Maurice Ravel : son Concerto pour piano en ré à la coloration si particulière, le blues de sa Sonate pour violon et piano, ou encore le fox-trot de la théière anglaise et de la tasse chinoise, extrait de l'Enfant et les Sortilèges; le 6e Quatuor à cordes de Bela Bartok avec une marcia et une burletta aux accents de jazz. (1939). N'oublions pas que c'est avec le clarinettiste de jazz Benny Goodman et le violoniste Joszef Szigeti que Bartok au piano créa Contrastes en 1938.

 

Le jazz comme contestation

Cependant, cette vogue du jazz ne fut pas perçue par tous comme un phénomène sans autre importance que de divertir. L'Europe connaît les premières manifestations d'un racisme latent. Cette musique noire, ce jazz primaire, allait bientôt être épinglé par le national-socialisme naissant en Allemagne. Au même titre que la musique juive, elle sera considérée comme une "musique dégénérée" [Entartete Musik]. 

En plus de son intérêt pour toutes les nouvelles tendances que produisit une Europe d'après-guerre - l'expressionisme, le dadaïsme, l'atonalité,- Erwin Schulhoff personnifia assez bien cette nouvelle orientation vers la hot music des Etats Unis. Il ne se lassa pas d'exprimer son goût pour les danses modernes. Juif et professant de surcroît clairement ses symphathies communistes, les autorités lui reprocheront de composer de la musique judéo-nègre et d'appartenir au bolchévisme artistique. Hésitant , il ne put envisager à temps d'émigrer et terminera sa vie en 1942 , malade et tombé dans l'oubli, dans un camp d'internement de Bavière.

Paul Hindemith, la terreur des bourgeois, ne manqua pas d'affirmer son modernisme en adhérant à cette mode jazzy. Ses oeuvres de jeunesse, telle que l'audacieuse Suite 1922 pour piano, sont bien l'illustration de son génie touche-à-tout, même s'il ne persista pas dans ce sens.

Le courant moderniste eut un grand défenseur en la personne d'Ernst Krenek. Il pratiqua très tôt l'atonalité, adhéra ensuite au néo-classicisme. .. Il fut nommé assistant au Staatstheater de Cassel et s'intéressa dès lors à l'impact du modernisme sur le public. C'est près avoir assisté à un spectacle de "revue nègre", le Chocolate Kiddies sur une musique de Duke Ellington, qu'il eut l'idée d'introduire dans un opéra un personnage noir, symbole de liberté , qui devait contraster avec le personnage principal, artiste romantique rongé de doutes. Et ce fut Jonny spielt auf, jazz-opéra créé en 1927. Son succès fut immédiat, malgré la désapprobation officielle. Cette oeuvre allait rejoindre la série des "musiques dégénérées". Or, c'est le personnage de Jonny et son jazzband qui amusa le public, indifférent par ailleurs aux hésitations de Max, l'artiste traditionnel. Krenek connaissait une certaine instrumentation jazz pour avoir entendu l'orchestre de Paul Whiteman. 

La comédie de Krenek a sans doute influencé bien des musiciens, parmi eux Kurt Weill. L'année suivante vit la création de l'Opéra de Quat' sous (Dreigrosschenoper) (1928), satire sociale réalisée en collaboration avec Berthold Brecht. Comme lui, il acquit la conviction que l'artiste avait un rôle didactique. Inspirée du cabaret, les songs qui dominent dans cette oeuvre devaient être faciles à chanter, accessibles à tout amateur de chanson. Il eut pour cela recours à un orchestre de salon et une instrumentation de jazz. Le succès de Jonny spielt auf et de L'Opéra de Quat'Sous incita Arnold Schoenberg à vouloir composer également une oeuvre à succès. Il s'opposa au "simplisme" des mélodies de Weill . Son petit opéra Von Heute auf Morgen (1929), sketch musical, critique d'un modernisme mal compris, ne fut guère perçu comme une comédie, le ton en est finalement plutôt sinistre. Certains lui trouvent des accents de jazz, étouffés cependant par l'écriture dodécaphonique de l'œuvre.

Le hongrois Emmerich Kalman, maître de l'opérette viennoise, céda également à la tentation du jazz. De retour de New York, où il eut l'occasion d'assister à des comédies musicales de Broadway, il introduisit fox-trot et autres rythmes pleins de verve dans son opérette Die Herzogin von Chicago(1928). Il y eut même un saxophoniste noir dans l'orchestre. Oeuvre bien appréciée, justement pour ses aspects jazzy, elle fut bien sûr classée parmi les produits de la musique dégénérée . Le saxophoniste noir servit d'ailleurs de caricature pour une affiche d'une exposition nazie de 1938. 

Totalement impliqué dans le courant moderniste des années 20, fut Stepan Wolpe, né de parents juifs à Berlin en 1902. En réaction contre l'académisme ambiant, il se sentit attiré par le dadaïsme, mais il fréquenta surtout, peu de temps après sa création en 1919, l'école du Bauhaus à Weimar, véritable Mecque pour l'enseignement de l'art nouveau, que ce fût en peinture, littérature, théâtre ou musique. De ce passage, il gardera des traces toute sa vie: amitiés et collaborations avec des artistes d'autres disciplines, ses engagements politiques, son intérêt pour le jazz (il l'interprétait et improvisait) et d'autres musiques populaires. De la fin de cette époque date son mini-opéra Zeus und Elida (1928), où le jazz, bien que reflet de la connaissance qu'on en avait alors, n'est plus un élément décoratif. Il sert de critique et est presque méconnaissable dans son atonalité. La quotidien opprimé est exprimé par le jazz (ex. le blues d'Elida) et le pouvoir d'état par l'orchestration traditionnelle. Bien sûr, contraint à l'émigration, et après un passage en Palestine, où son radicalisme musical ne fut absolument pas compris, il se rendit aux Etats Unis. Là, son influence sera telle qu'il sera souvent considéré comme musicien américain. Plusieurs musiciens de jazz le considéreront comme leur maître dans l'art de la composition; en revanche, ceux-ci lui apprirent le jazz moderne, tel que le be-bop, dont l'influence se perçoit dans plusieurs de ses oeuvres américaines.

Parmi ceux que le jazz ne laissèrent certainement pas indifférent, citons le tchèque Bohuslav Martinu. Son œuvre, Le Jazz de 1928, symbolise parfaitement ce jazz symphonique tel que l'avait importé en Europe Paul Whiteman, oeuvre plutôt anecdotique et marginale dans la riche production de Martinu. Retenons plutôt La revue de cuisine, une suite de jazz. Signalons tout particulièrement le petit opéra Les larmes du couteau, pièce radiophonique (1928) avec accompagnement d'orchestre de jazz. 

Plus proche de notre époque, Dmitri Chostakovitch compose ses deux Suites de jazz (1937-1938) sans autre intention que de fournir un divertissement de qualité. Rappelons également le plaisant Tahiti Trot. Nous sommes proche de la musique dite légère. Langage qu'il utilisera pour ses comédies musicales et ses musiques de film, tel que Mort en sursis par exemple.

Curieuse est la démarche du Suisse Rolf Liebermann qui dans son oeuvre Concerto for Jazz Band and Orchestra (1954) n'hésite pas à associer orchestre symphonique et jazz-band, deux ensembles aux colorations si différentes et qui interviennent à tour de rôle. Musicien humaniste encore trop méconnu, Bernd Aloys Zimmermann eut vis-à-vis du jazz une attitude des plus accueillante. Ainsi dans son Concerto pour trompette (1954) basé sur le spiritual Nobody knows the trouble I've seen , les cordes sont remplacées par un effectif de vents renforcé de 7 saxophones. L'instrumentation fait appel à une clarinette de jazz, un trombone de jazz et 3 percussions jouées par des musiciens de jazz. La partition signale avec précision toutes les syncopes qui doivent être rendues par les instruments traditionnels, en particulier les cordes, tandis qu'elle ne les signale pas pour les parties jouées par les musiciens de jazz. Dans son opéra de 1965, Die Soldaten, il tente d'exprimer une scène de café , une discussion animée entre officiers, à l'aide de cette "ivresse fascinante" qu'il trouve dans le jazz. Autre oeuvre très significative, le Requiem für einen jungen Dichter (1969). Oeuvre qui s'appuie essentiellement sur le texte. Le texte crée l'unité de l'oeuvre. Tout autour, s'organise une combinaison d'éléments parlés, d'allusions à l'actualité, de sons orchestraux et électroniques et de références au jazz.

 

Discographie












 

Fin première partie.

 

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