Le délire ovniprésent d'un Crab-Loyer fraternel
Ces deux-là étaient faits pour se rejoindre : leurs besoins de faire fi de la syntaxe, de la métrique et de la logique première des phrases, leurs vocabulaires patoisant et/ou néologisant gaiement, leurs jeux de guitare d’arachnides espiègles et grouillants qui dansent un folk swing diablement désorganisé, leurs intonations inspirées de bardes poètes de l’Antiquité. Chacun, à sa manière, développait une approche radicale de la chanson tendant à l’abstraction. En choisissant la rencontre, ils ont créé des chants hybrides encore plus fous, encore plus libres !
Le timbre suraigu de l’ami Loyer se mélange merveilleusement à celui plus grave de l’étrange Crab. Un unique unisson enrichi de nouvelles harmoniques. Leurs doigts tentaculaires détricotent les cordes de leurs guitares hirsutes dans un dialogue d'anciens sourds ayant juste trouvé l’ouïe. Et les mots semblent naître au fur et à mesure oscillant entre bribes de sens et fulgurances d’indécence.
Dans le cerveau siamois de ce Crab-Loyer, on tombe sur des cartes postales glanées par l’ami Aurélien (« La maison Richet », « Galipette », « Mimosa », « Francine Cornet »), ça chahute et ça rote (« Homme penché »), ça déraille politiquementincorrecte (« Chanson du détenu »), musicalement ça ose tout (« Portugal »). Oui, ça gratte sans complexe aux endroits les plus anodingues .
Les premières écoutes de ce laboratorio sont ardues tant cette musique expressionniste avide de mots et ces mots déraisonnables gorgés de musique partent dans tous les (non-)sens. Personnellement, j’ai dû y revenir souvent pour entrer dans ce délire ovniprésent ! Mais, je ne regrette pas un seul instant l’expérience.
On a bien là un nouvel album du Saule (la famille est là, derrière, à côté : Borja, Laurent, Marion, Aurélien, Léonore aussi). Un disque à réécouter chaque année un peu plus pour espérer un jour en faire le tour.
Guillaume Duthoit
Philippe Crab & Antoine Loyer : Chansons fraternelles (Le Saule, 2017)