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« Le Genre. Cet obscur objet de désordre »

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Tour d’horizon des controverses autour du genre. Une bande dessinée de Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu.
« — Le genre ne crée pas seulement de la différence, il crée des rapports de pouvoir. — »

Pourquoi présenter le genre sous l’angle si peu avantageux de la polémique ? Le choix renvoie directement au climat dépréciateur qui, tout au long des années 2010, a pesé sur la sphère publique française s’agissant d’un concept né dans les milieux universitaires et militants anglo-saxons. On peut certes regretter que la question se soit imposée de cette manière, et souvent au détriment de la réflexion qui l’anime, mais il faut aussi admettre qu'une opposition virulente témoigne du succès d’un champ critique dont le principe même est de « semer le désordre dans nos idées reçues ».

Pour cette raison même, les auteurs ne vont pas prétendre à la neutralité. La justice sociale occupe une place centrale dans le travail de chercheuse d'Anne-Charlotte Husson, normalienne, agrégée de sciences du langage et féministe revendiquée. Au sein de sa discipline, elle est une spécialiste du genre, et cela depuis bien avant la défense de sa thèse intitulée Les Mots du genre. Après avoir suivi des études en bande dessinée à Saint-Luc Bruxelles et Liège, Thomas Mathieu se fait connaître avec le projet Crocodiles, bande dessinée qui dresse un tableau édifiant du harcèlement dans son ordinaire poisseux d'impunité.

L’essai graphique Cet obscur objet de désordre succède à une œuvre du même acabit publiée en 2016 aux éditions du Lombard : Le Féminisme en 7 slogans et citations. En s’attelant au genre, Anne-Charlotte Husson et Thomas Mathieu ne font pas mystère de leur positionnement en faveur de ce que le sociologue Éric Fassin nomme la démocratie sexuelle, signifiant par là que les questions de sexualité et de genre ressortent du politique.

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Loin de tout prosélytisme, c’est à peine si les auteurs font état de leur cheminement personnel dans une problématique qui ne cesse d'évoluer et de s'approfondir. Mais quelles qu'en soient les raisons, la nécessité du questionnement ne fait selon eux aucun doute, et c’est ce que le livre démontre avec force. Objet de débats enfiévrés et enjeu de société majeur, on en oublie en effet que la notion de genre disséquée ici n’a rien d’une… théorie. Le genre se rapporte directement aux corps, aux comportements, aux interactions entre les personnes, au langage, à l’éducation, à l’histoire des sociétés et aux hiérarchies entre individus. Autant de dimensions de la vie courante au sein desquelles les effets d’un concept se mesurent directement. D’où le choix pour les auteurs de figurer comme personnages dans leur récit, afin que leurs points de vue respectifs s’incarnent en toute transparence dans leurs avatars dessinés. Si un quelconque message se dégage de leur propos, ce n’est pas sous la forme d’un dogme, mais d’un état des lieux du débat public autour d’un concept qui, en dehors des milieux militants, reste encore très flou.

Il va donc s’agir de cerner le genre à partir de ce qu’en disent ses détracteurs (la Manif pour tous, les conservateurs religieux et gens de droite…), à partir donc de ce qu’il n’est pas : une théorie, une idéologie, une donnée physiologique, un ordre de représentations figé. Le terme ne décrit pas une incitation à la débauche pas plus qu’il n’est un outil de coercition au seul profit des minorités sexuelles. A minima, le genre est un ensemble de normes, un système de pensée qui appelle à être finement et constamment déconstruit.

Nous avons besoin de normes pour que le monde fonctionne, mais nous pouvons chercher des normes qui nous conviennent mieux. — Judith Butler

On découvre que la bande dessinée peut-être l’endroit idéal pour rendre compte de ce travail de déconstruction. Nourri de références et de citations, le texte met en lumière l’expertise linguistique d’Anne-Charlotte Husson et trouve un appui idéal dans les métaphores graphiques de Thomas Mathieu, lequel parvient à doser subtilement humour et pédagogie. Les arguments des antigenres font l’objet d’un sourçage minutieux dans une démarche qui, par sa rigueur, réussit à mettre à distance les opinions fausses et les falsifications.

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Si l’un des enjeux actuels des sciences humaines est d'amener plus de justice sociale, cette bande dessinée y contribue sans fausse pudeur, ni à l'égard de son objet, ni à l'égard de la complexité des luttes consubstantielles au processus démocratique.

Anne-Charlotte HUSSON, Thomas MATHIEU, Le Genre. Cet obscur objet de désordre, Casterman 2021.

Lien vers l'éditeur.


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : ©Casterman

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