Le Musée de la Migration de Molenbeek-Saint-Jean : une histoire, des histoires
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Sis à deux pas de la place de l’Yser et du canal de Bruxelles, le bâtiment où a pris place ce nouveau-venu dans le paysage muséal bruxellois, se situe aux portes de la commune, comme une extension de l’ASBL Le Foyer qui vient par ailleurs de fêter ses 50 années d’existence.
De l’extérieur, sa façade trahit toujours sa fonction industrielle passée, mais dès le passage du portail d’entrée, le bâtiment dévoile un bel ensemble architectural mêlant sobrement un espace fonctionnel rénové et lumineux (selon la couleur du ciel le jour de la visite), une cour arrière, des œuvres artistiques et des aménagements conviviaux (un four à pain) encore en cours de finalisation. Avant même d’y entrer, le quidam aura peut-être pu admirer trois installations dont l’une – autour de la condition des réfugiés – est « presque » dissimulée à sa gauche…
Notre guide du jour, revient sur la genèse du projet :
Nous partons du principe que les 184 nationalités présentes ici composent Bruxelles. Que la ville ne serait pas telle qu’elle est sans toutes ces « migrations » et que les personnes ne vivent pas simplement les unes à côté des autres mais toutes ensemble. Les concepteurs du musée l’ont dès le début pensé en co-création, comme un lieu dynamique et interactif, en lien avec son environnement direct et les gens qui y vivent. — Loredana Marchi, MigratieMuseumMigration / Le Foyer
Un constat d’emblée : le cercle est une forme récurrente du musée, depuis le patio d’accueil au rez-de-chaussée jusqu’au second étage, où on peut découvrir les travaux d’Elia Li Gioi autour de Lampedusa, en passant par le premier et sa structure circulaire en alvéoles de bois contenant leurs parcelles de témoignages.
Le musée est construit autour de multiples fragments d’histoires personnelles suffisamment explicites pour que les membres de ces communautés puissent s’y retrouver et se rencontrer. Il s’adresse en priorité à des classes scolaires. — Loredana Marchi
Le sens de la visite part du premier étage vers le second pour se terminer au rez-de-chaussée – qui se veut un vrai espace de rencontre – via un escalier extérieur. Deux dispositifs amusants permettent d’y laisser une trace de son passage, que ce soit via une signature écrite à la main puis reliée par un fil à une carte du monde (avec Bruxelles pour centre) punaisée au mur, ou alors, via un photomaton qui ajoutera votre buste photographié à un diaporama virtuel exponentiel composé de tous les visiteurs passés par le musée. À l’extérieur, on peut détailler une surface composite faite de 4800 fragments et autant de portraits de réfugiés. L’escalier qui remonte à l’étage est lui fléché par deux lignes continues de prénoms, les plus portés dans la Capitale, avec à côté, le nombre estimé de leurs titulaires respectifs.
Au mur droit de ce premier étage sont accrochés quelques grands panneaux reliés par une ligne du temps qui retrace (depuis 1946) les principaux flux migratoires à Bruxelles (à Molenbeek) et en Belgique autour de quelques dates pivots (catastrophe du bois du Cazier, la fin de l’immigration de 1974, etc. ). Ceux-ci sont complétés par un tableau électronique interactif qui permet de connaitre le pourcentage respectif de ressortissants de chaque nationalité présente à Bruxelles (depuis 1946 et à raison d’un état des lieux tous les dix ans), commune par commune. Avec néanmoins cette réserve qu’avec le temps, bon nombre d’ex ressortissants étrangers ont choisi de devenir Belges.
Cette partie centrale du musée a été construite à partir des histoires déposées et des objets qui font sens dans la trajectoire de vie de leurs propriétaires. Même si, en cours de route, certains ont demandé à ne pas figurer dans le musée et à reprendre leurs effets, avec parfois une pression de la famille pour le faire. — Loredana Marchi
Les alvéoles en matériau de récupération collectent une vaste série d’effets personnels parfois très originaux mais tous issus du quotidien, allant de photos (d’enfance, de la famille, de la contrée d'origine, du service militaire, de cafés et lieux de vie fétiches), à de vieux emballages de produits du pays (vin, bière, café, etc.), en passant par des outils issus de leur travail, de leurs loisirs (nécessaire de couture, maillot sportif) ou encore de diplômes, etc. Ils composent une série de récits très individualisés (tous portent un prénom) de trajectoires migrantes vers la Belgique – de la femme de ménage au fonctionnaire européen, de l’ouvrier de chantier à l’ex-juge en fuite, etc. – également audibles en trois langues, via des écouteurs accrochés au mur. On constate que pas mal de ces documents renvoient régulièrement à des moments de « belgitude passée », comme ceux liés au Bruxelles des grands travaux (quartier Nord, le Petit-Château, etc.) et du « tout à la voiture »… Un renouvellement et une rotation de ces histoires sont prévues tous les quatre à cinq mois.
Le second étage est centré sur la problématique des réfugiés et le « cas d’école » de l’île de Lampedusa en Méditerranée, porte théorique d’accès à l’Europe pour les réfugiés venus d’Afrique, et vrai espace d’internement pour bon nombre de personnes ayant survécu à la traversée sur des embarcations de fortune. Un artiste italien Elia Li Gioi a réalisé une collection d’œuvres fortes sous le nom de De la douleur à l’espoir, au départ d’un bateau échoué à Lampedusa dont les restes jalonnent le musée, et dont on peut même emporter quelques fragments de bois ! Une vidéo relate les étapes de réflexion, du travail et de l’installation des cinq œuvres réalisées pour le musée. Des « tableaux » aux couleurs intenses, lestés d’appendices faits de matériaux de récupération ou de résidus d’après la tempête, qui sont autant de référents au drame des réfugiés qui s’est joué – et se joue encore – aux abords de cette étrange et meurtrière porte d’entrée du continent européen.
Pas vraiment musée des migrations au sens strict, mais davantage maison de rencontres plurielles et de construction d'une mémoire collective, l’ambition du MigratieMuseumMigration demeure modeste :
Le propos du musée est bien de susciter le débat et non pas de faire changer à tout prix l’opinion d’une personne qui nourrirait des idées négatives à l’encontre des réfugiés et des migrations. Par ce choix, nous insistons sur l’importance de la problématique des réfugiés par rapport à laquellel’Europe tarde à adopter une politique d’accueil humaine. — Loredana Marchi
Yannick Hustache
17 Rue des Ateliers
1080 Bruxelles (Molenbeek-Saint-Jean)
(+32) 2 411 74 95