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Le National ouvre de nouvelles voix.e.s

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publié le par Jean-Jacques Goffinon

Ce n’est pas parce que le politique a tagué le secteur culturel de « @non essentiel » que le Théâtre National reste sans voix.

En plus de proposer actuellement ses espaces à une multitude d’artistes toujours en lutte, il crée, avec beaucoup d’originalité et de finesse, une nouvelle « salle de spectacle » rien que pour nos oreilles, des oreilles en manque cruel de discours construits et de créations neuves. Avec son application gratuite Voix.e.s, l’institution n’innove pas seulement le temps d’un confinement, mais propose une plateforme pérenne à des créations sonores d’artistes et de collectifs. Écoutez plutôt…

Un lien direct

Voix.e.s crée un lien direct avec le public. Ce lien n’est pas seulement le fait d’une application simple et facile d’utilisation, mais plutôt celui de l’immédiateté du son à l’impact puissant. À l’ouverture de l’appli, l’image est inexistante. Pas de décorum ou de graphisme séducteur pour privilégier l’une ou l’autre série d’écoute. Ne compte donc que le son, ré-imaginé avec clairvoyance. Ces œuvres franches aux timbres multiples narrent avec originalité notre présent et ses enjeux divers.

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Focus avant effondrement (ou presque)

La Bombe humaine devait être un spectacle de Vincent Hennebicq, avec Eline Schumacher. Le confinement l’a transformé en un feuilleton audio dont le récit galopant rebondit de questions en questions. La narration est une quête vers une solution, qui, entre réalité et fiction, aborde de front nos doutes en matière d’écologie et d’environnement. Tout y est. L’impossibilité d’imaginer son futur. Comment consommer végan alors qu’on a super envie d’un burger ? Comment repenser la planète quand on est né dans les années 1990 à Bruxelles et qu’on a toujours vu le monde comme une ville en expansion ? Comment construire un discours respectueux sur le réchauffement climatique alors que, pour enregistrer ses interviews, on utilise un Zoom et une GoPro achetés sur Amazon lors du Black Friday ? L’anthropocène, ça veut dire quoi ? Et le survivalisme ? Et la collapsologie ?...

Vous l’aurez compris, les incohérences sont légion, les croisements de discours aussi. Au-delà de l’humour très présent, de l’autocritique honnête et du jeu parfait d’Eline Schumacher, en deux premiers épisodes seulement, la série dresse un constat assez complet des difficultés de penser une action concrète tant d’un point de vue politique qu’individuel. Passant d’interviews (avec Philippe Lamberts, député Ecolo au Parlement européen ; François Gemenne, professeur de géopolitique de l’environnement à l’ULB, voire une hypothétique rencontre avec Rob Hopkins dans un train) à des anecdotes personnelles ou fictionnelles, on s’aperçoit vite que la solution unique n’existe pas, que la cohérence des microcosmes comme de la cohésion mondiale est nécessaire et qu’elle semble impossible si l’on considère les discordances de comportement, les politiques aux buts économiques divergents, le politique toujours réactif et non pas proactif. Faudra-t-il plusieurs pandémies pour réagir de concert ? Un monde à la Greta Thunberg, respectueux et sans frontières, où l’argent n’existe plus, les énergies fossiles ne sont plus utilisées, où il n’y a plus que des bateaux, où la nourriture ne s’achète plus, c’est pas une utopie un peu cucul, ça ?

En continuel up and down et avec une fraîcheur indéniable, La Bombe humaine nous touche puisqu’elle parle de nous, citoyens préoccupés et pas particulièrement convaincus par ce qui se déroule sous nos yeux. Elle questionne, sensibilise, avec en prime un discours qui n’est ni misérabiliste, ni didactique, ni trop sérieux. C’est une bouffée d’air sur la gravité ambiante avec en filigrane l’idée qu’il faut bien continuer à sourire puisque c’est grave.

2101_tnw_0658 © Andrea Messana.jpg

Panoramique sur palette large

Après un long travail d’investigation, le collectif La Brute présentait en 2019 le spectacle Paying for It abordant la problématique de la prostitution. N’ayant pu reprendre le spectacle, le collectif a réalisé un reportage sonore intimiste et édifiant. La Vie sans nuit revient sur un monde lui aussi mis en berne par le coronavirus. Un moment arrêté dans une rue d’Aerschot aux vitrines désertées, où dialogues et rencontres ont pris place. Le dialogue avec Maxime et Marie, qui rendent possible la solidarité des travailleuses du sexe. La rencontre de Juliette, travailleuse du sexe originaire de l’Afrique de l’Ouest, qui se livre sur sa condition, sur ses espoirs qui semblent parfois aussi utopiques que déchus. Un documentaire sonore qui peint le tableau noir d’un secteur oublié par tous sauf par la pandémie.

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Avec la série Quand il fait beau, c’est pas plus moche qu’ailleurs !, Benoit Luporsi devient journaliste d’investigation et mène l’enquête sur les enfouissements des déchets nucléaires en bord de Meuse française. Juxtaposant des témoignages, des extraits d’époque et racontant les actions citoyennes et locales, le feuilleton revient sur le temps, l’histoire du nucléaire et sa définition, la notion de territoire, les conflits d’intérêts entre la mairie et l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), le manque d’élu écologiste au conseil départemental… « La maison nucléaire a été construite sans qu’on ait vraiment pensé à fabriquer des toilettes », dit Luporsi ; et son documentaire sonore, vif et polyphonique démystifie le langage politique et déterre la somme de toutes ces actions pas très catholiques.

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Dans les autres propositions remarquables, on compte La Brebis galeuse, une fiction de Chiara Todaro et Guillaume Abgrall. L’histoire de Nicolas (David Murgia) qui, dans les flamboyantes années 1960, est enfermé dans un hôpital psychiatrique et observe son univers, un univers tout aussi fou et décalé que la réalité elle-même. On citera aussi Radio Syria, Radio parloir, le touchant Les Mots de ma mère, et bien d’autres encore.

Multipliant les ambiances et les discours, souvent très étayés, l’application gratuite Voix.e.s est une perle de créativité et surtout une initiative originale du Théâtre National qui propose, ici, une nouvelle approche. C’est un vent frais qui souffle dans nos têtes, mettant l’accent sur une partie du travail théâtral trop souvent oubliée, la mise en scène du son. Amusez-vous donc à vous perdre dans ces expériences sensitives où le contenu et la forme ne font qu’un. Une promenade riche de moments forts.

A vous de découvrir : https://voixes.theatrenational.be/

Un article de Jean-Jacques Goffinon

Photos : ©Andrea Messana

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