Le pavé liégeois : carte blanche à Ana Pandza
Je viens justement de lire que Liège souhaite attirer de nouveaux habitants afin de garder son statut de métropole. Le moment est venu pour moi de prendre les choses en main et d’arrêter de suite ces futurs arrivants qui risquent gros en s’installant ici. Je pense qu’ils n’ont pas conscience du danger qui les attend. Il faut bien quelqu’un pour prévenir ces personnes, alors, n’écoutant que mon courage et ma dévotion, je me dévoue pour cette tâche indélicate. Il n’est pourtant pas toujours facile de parler négativement de sa ville. Encore moins d’assumer les propos qui vont suivre. Mais je suis faite ainsi, toujours prête à me sacrifier, pour le bien de la communauté.
Ceux qui ont déjà grimpé la Montagne de Bueren au péril de leur vie, ont eu l’occasion de faire face à l’un des dangers les plus impitoyables de la cité ardente. Modeste par l’altitude mais grande par le nombre de marches, combien de fois n’ai-je pas failli rendre l’âme. Monter, descendre, monter, descendre, trébucher, s’arrêter, … Lors de mes entraînements, j’y ai laissé nombre de morceaux de chair, collés tout au long de la rampe interminable.
Même si on veut contourner l’obstacle, la fatalité nous attend en bas des escaliers de Bueren. Il suffit de s’éloigner de quelques pas pour rencontrer les célèbres « pavés de Liège ». Porter des talons aiguille sur le sol liégeois se révèle être une vraie traversée du désert. C’est ainsi que Liège allie le moderne et l’ancien. En sortant du n’importe quel magasin de luxe, vous faites directement face à la vieille ville et les nombreux travaux de voirie. Trébucher sur le fameux « pavé » vous permettra de découvrir le fond d’un trou de chantier. Après avoir réussi à sauver vos poumons et votre cœur, vos chevilles et genoux, surtout ne vous égarez pas dans les alentours du Carré tôt le matin. Une forte odeur amère émanant d’un mélange de pita et d’alcool régurgités risquera de brûler votre système respiratoire. J’ai même entendu que certains téméraires, qui s’y aventuraient souvent, sont décédés d’un cancer de la trachée. Ils ne sont malheureusement plus là pour confirmer la véracité de ce témoignage.
Cependant le pire piège à déjouer reste l’accompagnement du « pavé liégeois » : la déjection canine. Car à Liège, même si vous demandez que votre pavé en soit dépourvu, on vous en met quand même.
Ce n’est qu’une liste non exhaustive des différents dangers qui guettent les Liégeois. Si on les additionne, il y a de quoi préparer une course d’obstacles. Car si la ville a déjà vu courir la Liégeoise, la Belle Hivernoise ainsi que la Belle Iloise, personne n’a encore eu l’idée d’organiser la Belle Combattante. J’ai déjà en tête une idée bien précise du parcours. En sus des obstacles déjà cités, il y faudra également éviter de se faire accoster par des mendiants ou des vendeurs d’une quelconque ONG. Vous poursuivrez ensuite un sprint à talons sur la Place Saint Lambert et une course au travers d’un parc avec comme objectif de garder les semelles propres. J’ai le pressentiment que le nombre de participants atteindra un nombre record. Vous aurez ainsi l’unique occasion de venir découvrir le caractère avenant de ma ville. Mais surtout ne vous installez pas. Il suffit de me voir pour se rendre compte que ce paysage morose influe sur l’état de votre esprit.
Il parait que la ville garde un petit bout de chacun au sein de son espace. Que restera-t-il de moi ? Une école ou une rue ? Je ne suis ni Lucie ni Léonie. Je n’ai même pas un seul L dans mon prénom. Et même si on en ajoutait un, ce serait d’un vulgaire. Quant aux rues, je ne fais pas le poids face à un pont, à une église ou une boucherie. Je ne suis même pas artiste de théâtre pour pouvoir léguer mon nom à la ville. De toute façon quand je vois de quelle manière sont traitées les rues et les écoles, ça ne m’excite pas outre mesure. Les premières sont décorées de divers déchets quant aux secondes elles sont la hantise des jeunes. Le mieux qu’il me reste à faire est d’ouvrir une pâtisserie artisanale et d’y vendre des chouquettes, des gaufres et des crêpes. Là au moins j’aurais le plaisir de voir arriver une foule de touristes et de locaux, de recevoir des lettres de remerciements pour le délice que leur procurent les petites mignardises.
N’y emménagez pas !
Laissez-moi de l’espace pour errer dans les rues, pour profiter du vent qui
vient emmêler mes cheveux lors d’une escapade fluviale. Si vous venez, je
n’aurai plus ma place fétiche dans les bars que je fréquente, je n’aurai plus
cette blouse qui m’attend peut-être encore dans une petite boutique du
centre-ville.
Ana Pandza
du collectif Et ta sœur ?
photo du bandeau : Roxana Černický
Cet article fait partie du dossier Liège.
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