Le Préhistomuseum (Flemalle): poterie rubanée et biface
Une pierre ? Oui, mais pas
n’importe quel caillou ramassé au hasard : un silex façonné à la main et
qui épouse la taille de celle-ci, peu épais, d’un relief assez régulier,
presque lisse malgré les nombreux éclats qui en parsèment la surface, légèrement
pointu et recouvert d’une belle patine d’un ocre profond. Comme la poterie qui
repose dans la vitrine voisine, c’est un objet dont il faudrait pouvoir se
saisir pour en éprouver la pleine réalité. Des
sensations naissent du désir de toucher : on imagine un éclat de
fraîcheur, dense, solide, une dureté qui loin d’attaquer la paume, lui
transmettrait l’assurance de son poids. Le cartel indique qu’il s’agit d’un
biface. Le biface, c’est l’outil par excellence du paléolithique, le couteau
suisse de l’époque, fruit d’une technique dont on ne soupçonnerait guère la
sophistication à moins de tenter de la reproduire soi-même, ainsi que s’y
essaie une poignée de chercheurs en Wallonie. La technique qui consiste à
extraire le biface d’un morceau de roche s’apparente au travail du sculpteur
qui, entre les veines serrées de son marbre, voit déjà frémir la forme délicate
qu’il s’apprête à délivrer. La présence de deux axes de symétrie plaide pour un
probable souci esthétique sur lequel, faute de preuve, on ne peut que rêver. La
taille du silex apprécie le contact d’un percuteur tendre, en bois ou en bois
de cerf. Et puis, avec cette superbe intuition des lois de la matière qui ne
laisse de surprendre chez l’artisan, l’homme primitif et même chez certains
animaux, c’est toute une stratégie de coups que le tailleur déploie sur la
pierre jusqu’à lui faire rendre cette forme utile qu’elle recèle.
À gauche du biface, le petit corps trapu d’un pot d’argile noir semblable à une théière japonaise privée d’anse et de bec parle d’une autre économie, d’un autre rapport à la nature. Partant du Paléotlithique et de sa culture de chasseurs-cueilleurs nomades, le vase rubané figure un bond dans le temps que son potentiel de conservation emblématise : c’est l’attribut d’un mode de vie sédentaire basé sur l’agriculture et l’élevage. Le terme « rubané » désigne la résille de points ou de lignes qui recouvre les flancs de la poterie et signe probablement le travail de l’artisan. Un ornement discret donc, faisant de cet objet une épure qui n’a rien à envier à la céramique moderne quand elle se contente d’être le suspens d’un geste giratoire, le mouvement gelé dans la matière.
De l’œil à la main, vase et biface communiquent un certain trouble. Cette idée qu’il y aurait, sur ces calmes surfaces, comme un conservatoire d’empreintes, et parmi elles, proches, accessibles, celles du premier homme que l’on pourrait, voilà, presque toucher.
Nous parlions d’une charade. Outre le texte dactylographié, les cartels comportent une section fléchée renvoyant à des mots crayonnés à la main : matière, manière, modèles, mots, métaphysique. Passée la pointe de flèche dont la valeur de symbole, plus encore que ceux du biface et du vase, transparaît immédiatement, la quatrième vitrine nous réserve la surprise de se trouver vide. Un blanc manifestement intentionnel d’où jaillit la question : au nom de qui et de quoi cette absence parle-t-elle ?
En préambule, le Préhistomuséum s’explique ainsi sur ses choix, ses limites. Loin de répondre aux énigmes et d’imposer sa propre lecture de l’Histoire, une scénographie qui s’affiche comme telle en mêlant les registres de l’esthétique et de l’érudition offre à la pensée des contours sensibles. Il est vrai que les premiers objets d’un musée qui tombent sous notre regard ont droit à toute notre attention. Cette faveur que nous leur faisons de notre entière disponibilité bénéficie tant du désir qui nous a conduits jusqu’à eux que de l’ambiguïté de l’attente toujours suspendue à une validation de sa cause. Sous un argument qui tient de la science autant que de l’art de raconter, le choix de présenter les collections selon un ordre thématique plutôt que chronologique maintient cette tension et le surcroît de vigilance qu’elle entraîne. Car non seulement les objets sont appelés à dialoguer entre eux, mais ils se tournent vers nous. On traverse ainsi, de salle en salle, des millénaires de cultures successives qui par le fil rouge d’intérêts communs (environnement, économie, mobilité, alimentation, mort, vie en société, pensée) viennent à la rencontre de notre monde actuel. L’image de nous-mêmes qui nous est renvoyée par ce biais dynamique est celle d’une universalité des comportements. Ceci nous invite, dès lors, à cesser de considérer l’homme préhistorique (et par extension tout autre être vivant) comme un étranger, un sauvage, un animal quelconque qui n’aurait rien à nous dire, mais à le regarder comme un proche, un semblable qui, par les traces qu’il a laissées, et celles que l’on imagine, peut encore nous surprendre et nous émerveiller
Catherine De Poortere
- photos: Céline Bataille
La publication L'Objet nature (15 musées de Wallonie, 15 objets nature - 96 pages, 30 photos)
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Préhistomuseum
128 rue de la Grotte
4400 Flémalle
32 (0) 4 275.49.75.
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Flémalle
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Cet article fait partie du dossier L'Objet Nature | promenades musées.
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