Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | focus

Le roman satirique, oeuvre de vigilance

publié le par Françoise Vandenwouwer

Si la satire se manifeste de manière plus évidente et virulente par le dessin caricatural, la littérature en pratique depuis longtemps un art nuancé d’ironie, d’absurde ou de burlesque. Les écrivains fustigent et démontent inlassablement les […]

Le roman de satire sociale ne s’inscrit dans aucune définition stricte. Autant d'écrivains construisent des œuvres « comiques » chargées de leur désespoir ou simplement de leur sens de la dérision, parce qu’ils choisissent l’ironie, l’humour, le cynisme, l’absurde, le burlesque  comme tonalité de leur révolte, de leurs réflexions ou de leur vigilance. « J’ai assisté à la destruction de Dresde. J’ai vu la ville avant, puis je suis ressorti d’un abri anti-aérien, et je l’ai vue après, et il est certain que le rire était une réponse possible. »  (Kurt Vonnegut, Un homme sans patrie)

Karl Kraus (Jicin, 1874 – Vienne 1936)

« Que peut un satiriste face à un mécanisme qui lui répond à toute heure par un ricanement infernal ? Il peut l’entendre alors que les autres restent sourds. Mais s’il n’est pas écouté ? Et s’il se laisse lui-même intimider ?

Il se plonge dans l’actualité et n’a rien à attendre du lendemain car il n’y aura pas de lendemain, du moins pour les œuvres de l’esprit. Qui possède aujourd’hui encore un monde à soi, sombrera avec lui. » (Apocalypse - lettre ouverte au public – 1909 – Ed. Rivage-Poche)

Ecrivain, journaliste autrichien, satiriste et polémiste, pacifiste, opposant du nazisme, il est le fondateur d’une revue « Die Fackel » (1899)qu’il dirigera pendant 37 ans et l’auteur d’une œuvre unique dans l’histoire du théâtre  à laquelle il travaille dès 1915, Les Derniers jours de l’humanité qui met en scène des centaines de personnages en plus de deux cents scènes. Sur fond de la première guerre mondiale, le texte est composé uniquement de citations, extraits de presse, de conversations entendues, de discours politiques…

Mikhaïl Boulgakov (Kiev 1891 -  Moscou 1940)

Dès leurs parutions à partir de 1919, ses premiers récits et pièces de théâtre recueillent un immense succès. Mais si elles s’inscrivent dans la tradition fantastique russe, elles sont essentiellement satiriques et provoquent des débats houleux. Peu à peu ses écrits subissent la critique et la censure du régime jusqu’à être totalement interdits dès 1928. Boulgakov est un homme intègre, son œuvre est aussi la prise de position d’un intellectuel face à la dictature et il continuera d’écrire jusqu’à sa dernière heure. La majorité de ses écrits sera publiée après sa mort.

https://ledivanlitteraire.files.wordpress.com/2015/02/le-mac3aetre-et-marguerite.gif

Le Maître et Marguerite est son chef-d’œuvre. Il y travaillera durant douze ans. Le roman ne sera publié que 26 ans après sa disparition. Le diable, agent perturbateur par excellence,  incarné en la personne d’un étrange professeur expert en magie noire, s’installe temporairement à Moscou. Il manipule les vies de plusieurs individus et déclenche une cascade d’événements surnaturels ou fantastiques qui viennent perturber le fonctionnement  de la société moscovite. Délation, corruption, internements, hystérie collective… Boulgakov démonte les mécanismes d’organisation d’une société totalitaire et les travers des hommes qui la constituent.

Kurt Vonnegut  (Indianapolis, 1922 – New York 2007)

Kurt Vonnegut est l’une des figures majeures de la littérature américaine. Célèbre pour son roman « Abattoir 5 » inspiré par la terrible et tragique expérience qu’il vécut en tant que prisonnier de guerre lors du bombardement de Dresde, il s’était déjà imposé sur la scène littéraire américaineavec  Le berceau du chat. Le roman relate en 127 courts chapitres l’enquête d’un journaliste « réunissant la matière d’un livre ayant trait à la bombe atomique, dont le contenu se limitera aux événements qui se sont produits le 6 août 1945, le jour où la bombe est tombée sur Hiroshima. » (Le berceau du chat, chap.4) Cette enquête le mène sur une île des Caraïbes. Aux mains de businessmen, l’île est sous l’emprise d’une religion clandestine «afin de donner plus de piment et de piquant à la vie religieuse du peuple », fondée par Bokonon. Politique, histoire, religion, sciences, tourisme, la société occidentale est passée au crible de la plume satirique de Vonnegut. « Si j’étais plus jeune, j’écrirais une histoire de la bêtise humaine ; et je monterais au sommet du mont McCabe, où je m’allongerais sur le dos avec mon histoire en guise d’oreiller ; et je prendrais par terre un peu du poison bleuâtre qui transforme les hommes en statues ; et je me transformerais en un gisant au sourire sardonique, un pied de nez dressé vers Qui-vous-savez. »

A lire également du même auteur « Un homme sans patrie ».

Terry Southern (Texas, 1924 – New York, 1995)

Ecrivain, journaliste et scénariste pour le cinéma, Terry Southern est un auteur culte de la contre-culture américaine. On lui doit les scénarios du Docteur Folamour de Kubrick, d’Easy Rider de Denis Hopper, de Casino Royale et d’autres films célèbres. Deux romans assurèrent sa renommée d’écrivain satiriste, Candy et Magic Christian. Tandis que Texas marijuana, recueil de nouvelles, rassemblent des textes dans lesquels il dresse un portrait ironique et grinçant de la société américaine et de la contre-culture des années 60.

Arto Paasilinna (Kittilä, Finlande, 1942)

 « Vous autres, fonctionnaires êtes vraiment des gens incroyablement têtus, soupira Rutja. Mais que vous le croyiez ou non, je suis le fils du dieu de l’Orage.

- C’est ça !

L’inspectrice des impôts se remit au travail. »

Auteur prolifique, Arto Paasilinna ne se lasse pas d’observer d’un œil goguenard ses compatriotes et d’en broder des aventures, élaborant roman après roman,  une merveilleuse et drolatique comédie sociale. Ainsi dans Le fils du dieu de l’Orage fait-il descendre de son panthéon un jeune dieu envoyé sur terre afin de détourner les finnois du christianisme, cette nouvelle religion étrangère, et de les ramener vers leurs dieux véritables. Il est chargé en outre d’observer le mode de vie des finnois. Il s’incarne dans le corps d’un modeste antiquaire avec lequel il a conclu un pacte, celui-ci se retirant momentanément de ses affaires qu’il laisse aux mains du fils du dieu de l’Orage…

Thomas Bernhard (Heerlen, Pays-Bas, 1931 – Gmunden, Autriche, 1989)

Si l’on ne peut  considérer Thomas Bernhard comme un écrivain satiriste, il élève cependant la caricature dans certaines de ses œuvres à un niveau de virulence ou plutôt d’excellence, rarement atteint. Il en fait même l’éloge.

Maitres anciens - Comédie – Un certain Atzbacher, le narrateur,  observe Reger, un vieil intellectuel autrichien, musicologue, qui vient s’asseoir « un jour sur deux  sauf le lundi » sur une banquette  dans une salle du Musée d’art ancien de Viennes.  Il y médite, lit Montaigne, Pascal et surtout son cher Voltaire. Le récit alterne les réflexions du narrateur et les propos tenus par Reger, rapportés par le narrateur. Entre les réflexions d’une pensée lucide et profonde, et la virulence de la critique qui ravage le monde de l’art, celui des musées et celui de la culture « d’état » (rappelons que l’état autrichien était le mobile et la cible de toute cette virulence), Thomas Bernhard s’attaque finalement à tout ce qui tient une société dite démocratique et cultivée, et le discours captive, perturbe et maintient  le lecteur sur le fil d’un réel bâti comme un château de cartes que le souffle du rire peut (doit !)réduire à néant. « Vous avez la force de transformer le monde en caricature, la plus grande force de l’esprit, a-t-il dit, qu’il faut pour cela, cette seule force de survie, a-t-il dit. Nous ne maîtrisons que ce que nous trouvons finalement ridicule… »

https://norwitch.files.wordpress.com/2010/04/maitres-anciens.jpg

 

Mavis Gallant (Montreal, 1922 – Paris, 2014)

Auteure canadienne anglophone renommée qui fut pressentie pour un Nobel,  Marie Gallant excellait dans l’art de la nouvelle. Ironie, humour acéré, subtilité de la prose qualifient une œuvre pourtant peu connue du lecteur européen. L’idée de Speck, (1980) traduite et éditée par les éditions Les Allusifs en 2010, narre le projet d’un directeur de galerie parisien, installé au Faubourg Saint-Germain après que des séparatistes basques eurent fait sauter par erreur son ancienne galerie, d’offrir à l’Occident le peintre qui assurerait le renouveau artistique attendu désespérément par le monde de l’art. Tombant sur une collection de toiles d’un obscur peintre français décédé, il décide de le remettre sur la scène artistique en réalisant une grande exposition de son œuvre. L’idée de Speck est un bijou de satire sociale. Mavis Gallant plante son personnage dans une bourgeoisie parisienne en pleine confusion, entre les courants des divers mouvements politiques, idéologiques et spirituels, et se joue pour le plus grand plaisir du lecteur des uns comme des autres.

David Lodge (Londres, 1935)

“Rummidge et Euphoria sont des lieux sur la carte d’un monde burlesque peuplé d’êtres imaginaires, un monde qui ressemble à celui dans lequel nous nous trouvons, mais qui ne correspond pas toutefois rigoureusement à lui. »

David Lodge universitaire,  professeur de littérature anglaise a pris pour cible de son talent de satiriste ce milieu universitaire qu’il connaît et se plaît à tourner en dérision. Mais il étend la comédie de meurs à  la société anglaise en général s’attaquant d’une plume ironique et corrosive à tous ses travers. La chute du British Museum, Changement de décor, Jeu de société, Un tout petit monde, Pensées secrètes… tous ces romans précipitent les personnages dans les failles du comportement des individus aux prises avec les fonctionnements et dysfonctionnements des différentes sphères politiques, sociales, intellectuelles et spirituelles qui composent ce tout petit monde.

Jonathan Coe (Birmingham, 1961)

Autre écrivain anglais dont l’œuvre réalise une brillante satire sociale de la société anglaise, Jonathan Coe livre une critique plus virulente envers les classes politiques. Testament à l’anglaise s’attaquait aux années du thatchérisme, Bienvenue au club et Le Cercle fermé dépeignent deux époques, celle des années 70 et celle des années 90 où l’Angleterre est passée du régime Thatcher à celui de Blair.

http://pim.rue-des-livres.com/o6/f9/m8/9782869307162_306x475.jpg

Pierre Schoentjes, professeur de littérature française à l’Université de Gand, s’intéresse particulièrement à l’ironie. Dans son essai  Poétique de l’Ironie (Ed. Points –Essais) , l’auteur revient à plusieurs reprises sur le fait que l’ironiste qui « s’efforce de mettre des vérités en question » est un idéaliste en ce qu’il croit en un monde parfait « mais notre monde n’est pas le meilleur des mondes possibles ; de là découlent la déception et une certaine amertume qui accompagnent l’ironie. » Au chapitre intitulé Aux frontières de l’ironie, l’auteur fait la distinction entre l’ironie et la satire et déplore que l’ironie soit trop souvent réduite à une fonction satirique. L’accent est mis sur le caractère « d’ironie militante » de la satire et son but résolument destructeur et moralisateur contre celui plus intellectuel et pédagogue, de l’ironie présente dans tous les arts.

Françoise Vandenwouwer