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« À ceux qui trouvent cela extrême je réponds qu'il s'agit d'être cohérent. »

Le véganisme : une nouvelle utopie ? / Julien
Rencontre avec Julien, 25 ans, conducteur poids lourds. Membre des Carolovégiens, il milite au sein de l'association Bite back.

Une semaine avant la seconde édition de 100% veggie à Charleroi, Pointculture  consacrera une journée entière au véganisme, le samedi 13 mai. À cette occasion, nous republions les entretiens que nous avions réalisés l'année passée avec quelques  militants de la cause animale. Ils nous apportent leur éclairage sur un mouvement politique et un mode de vie encore mal connu.

Julien 2

Quel a été pour vous l’élément déclencheur du véganisme ?

La présentation du livre « No Steak » (Aymeric  Caron, 2013) en mai 2013 dans une émission télévisée. J'étais alors végétarien depuis deux ans et demi.

Pourquoi et comment en êtes-vous venu à l’activisme ?

J’ai compris que le végétarisme ne suffirait pas pour ne pas faire de tort aux animaux. No Steak parlait de l'association française L214, plus connue maintenant que leurs vidéos sont largement diffusées. En visitant le site de cette association, j’ai appris l’existence d'une marche pour la fermeture des abattoirs qui devait se tenir en juin à Paris. Et j'y suis allé... De toutes les injustices, celles dont les animaux sont victimes font moins de bruit et attirent moins l’attention du public. Nous sommes, en quelque sorte, leur porte-parole. Nous devons leur rendre le droit de vivre.

Comment se déroulent vos actions militantes ?

Dans la rue, on distribue des tracts, on tient des affiches sur lesquelles sont décrites les conditions de vie des cochons dans les élevages flamands. On essaie d'informer les passants, on leur explique que les produits animaux ne sont pas indispensables, et met en évidence les diverses raisons de mettre fin à l'exploitation animale.

Comment conciliez-vous travail rémunéré et activisme ? Peut-il y avoir des points de divergences entre l’un et l’autre ?

Pour faire court, je crois que rien n'est plus fort que la motivation et la détermination ! Il m'est déjà arrivé de travailler plus de douze heures d'affilée, de quitter le travail et aller directement faire une action de tractage avant de rentrer chez moi rapidement me coucher pour enchaîner sur une nouvelle nuit de travail. Je ne souhaite pas attirer l'attention sur moi, bien au contraire. Parfois j'ai juste envie de montrer que c'est possible, de concilier travail et activisme, dans l'unique but que d'autres personnes s'investissent. Quand on veut on peut !

Des sondages effectués auprès des végétariens et des véganes font régulièrement état d’une forte dominance féminine dans ces populations. Cette disproportion se ressent-elle d’abord sur le terrain ? Est-ce que cela importe ? Est-ce quelque chose que vous éprouvez vous-même, en tant que minorité dans une minorité, et dont vous discutez avec vos coéquipiers, vos coéquipières?

Oui, c'est quelque chose que l'on remarque aussi sur le terrain. Cela n'est bien sûr pas un problème. Néanmoins dans une société où le machisme persiste encore, le fait d'avoir une majorité de femmes lors des actions perpétue l'idée chez certains que lutter pour la justice envers les animaux relèverait de la sensiblerie. Évidemment il n’en est rien. Avec le temps de plus en plus d'hommes prennent part au mouvement.

Récemment, les enregistrements de violences commises dans les abattoirs diffusées par l’association L214 ont suscité beaucoup d’indignation et d’interrogations dans la presse et sur les réseaux sociaux. Quel regard portez-vous sur ce brusque emballement des médias – et peut-être des consciences ?

Les journalistes et avec eux toute une partie de la population n’ont pas idée du sort réservé aux animaux dans les élevages et les abattoirs. Ils ne se doutent pas des pratiques que nécessite le rendement industriel ou, plus simplement encore, ils ne voient pas l'animal derrière le morceau de viande. Cet emballement bénéficie donc à la médiatisation du mouvement de libération animale. Celui-ci prend de plus en plus de place, à la télévision notamment, avec des activistes tels que Aymeric Caron, Brigitte Gothière (cofondatrice de L214), et même Martin Thioux (gérant de la boutique « Goveg vegan shop » à Liège), invité il y a quelque temps par une grande chaîne à prendre part à  un débat autour du véganisme.

Ces réactions diffèrent-elles de celles que vous rencontrez, vous, dans la rue ou plus généralement, sur le terrain des actions de Bite back ?

On assiste à une accélération de la diffusion des informations grâce aux médias, à la télévision... On le voit bien, des passants nous interpellent, les gens se disent choqués, bouleversés. Mais l'éloignement fait encore le jeu de ceux qui ne veulent rien remettre en cause, « cela se passe ailleurs, pas chez nous ».

À partir du moment où l’hypothèse de la viande heureuse perd de sa crédibilité, le végétarisme est mis en avant comme pouvant être une réponse modérée, saine et accessible à tous. Vous allez plus loin et vous prônez le véganisme, solution jugée par la plupart comme trop extrême, au mieux utopiste, au pire excluante, pour ne pas dire risquée… Cette radicalité ne risque-t-elle pas de desservir la cause que vous voulez défendre ?

Nos valeurs, l’abolitionnisme, la libération animale, l'antispécisme, sont contenues dans le véganisme. À ceux qui trouvent cela extrême je réponds qu'il s'agit d'être cohérent, d'aller au bout de la réflexion et de prendre acte des connaissances scientifiques actuelles, notamment en matière de conscience et sensibilité, de sentience (voir la Déclaration de Cambridge sur la conscience).

Du point de vue de l'alimentation, l'association américaine de diététique a reconnu qu'une alimentation végétale pouvait être bénéfique pour la santé. Or, on sait que le lait et les oeufs sont aussi issus de l'exploitation et occasionnent autant de maltraitance que la viande. La seule solution pour parvenir à un monde plus éthique et respectueux des animaux est de vivre végane. Dans cette perspective, le végétarisme peut être une étape transitoire mais ne constitue pas une fin en soi. D’ailleurs, avec la médiatisation de ce mode de vie et les moyens dont on dispose aujourd’hui, un certain nombre de personnes sautent le pas sans passer par cette étape.

Au quotidien, le mode de vie végane souffre d’être une exception. Société largement omnivore, peu ou pas de restaurants, de pâtisseries, nécessité de lire les étiquettes, d’apprendre quelques règles de nutrition, spectre de la fameuse vitamine B12… Franchement, est-ce que c’est aussi difficile que ça en a l’air ou bien s’agit-il encore de l’image qu’on en donne ?

Désormais ce n’est plus aussi compliqué de vivre végane qu'il y a par exemple dix ans. Les magasins bio et les sites de vente en ligne proposant des alternatives sont de plus en plus nombreux. On y trouve de tout : produits d'entretien, cosmétiques non testés sur animaux et véganes, vitamine B12, gourmandises, etc . Il est possible de fabriquer soi-même certains produits d'entretien et d'hygiène à partir d'ingrédients bruts (tels que le bicarbonate de soude, le vinaigre, le citron,etc).

De plus en plus de restaurants offrent au moins une alternative végane, à Bruxelles notamment. Paris et surtout Berlin sont des exemples encourageants. On y trouve plusieurs dizaines de restaurants 100 % vegan, ce qui prouve que la demande croît. L'Allemagne dispose même d'une chaîne de magasins végane « Veganz » qui compte essaimer dans toute l’Europe.

Les causes à défendre ne manquent pas. Dans un tableau d’actualités toujours bien sombre on reproche aux associations animalistes de faire passer l’animal avant l’humain. Comment répondez-vous à cette mise en concurrence des sujets, pensez-vous que le reproche soit légitime ? En effet, on sait aujourd’hui que l’essentiel de nos activités et de ce que nous consommons se base de près ou de loin sur une forme d’exploitation, pas seulement animale d’ailleurs. Alors, le fait de sauver des vies animales passe-t-il nécessairement par  des renoncements, le rejet du progrès et la mise au chômage de nombreuses filières déjà douloureusement atteintes par la crise ?

En effet nous sommes régulièrement confrontés à ce genre de critiques. Mais, ceux qui nous le reprochent, que font-ils pour améliorer la condition humaine ? On dirait plutôt qu'il s'agit de mécanismes de déni face à la reconnaissance de droits aux animaux afin d'écarter toute remise en question de la consommation alimentaire. Rien n’empêche personne de s’atteler à plusieurs causes. J'ai choisi la cause des animaux car ils n'ont pas la possibilité de se défendre eux-mêmes et la discrimination à laquelle ils font face est la moins soutenue. Cela ne m'empêche pas de soutenir d'autres causes par ailleurs. Les filières liées à l'exploitation animale persistent pour la plupart grâce à des subsides de l'État, preuve que l'élevage n'est pas rentable. Avec une alimentation végétale et biologique, dans l'optique d'un monde plus durable et sain, nous pourrions augmenter le nombre de personnes travaillant dans la culture de fruits et légumes. Mais ce qu'il faudrait, c'est repenser dans sa totalité le mode de fonctionnement de notre système politique et économique, redonner de la valeur à ce qui le mérite, sortir du consumérisme effréné.

Bite back participe au salon 100% veggie à Charleroi. Ne craignez-vous pas que dans ce genre d’événements, le côté marchand ne prenne le pas sur les idées ?

Le but d'un salon de ce type est de montrer un éventail d'alternatives déjà existantes. Des actes de consommation réfléchis vont dans le sens d'une société meilleure.

 

Entretien réalisé par Catherine De Poortere


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