Pourquoi une épicerie végane ?
Une semaine avant la seconde édition de 100% veggie à Charleroi, Pointculture consacrera une journée entière au véganisme, le samedi 13 mai. À cette occasion, nous republions les entretiens que nous avions réalisés l'année passée avec quelques militants de la cause animale. Ils nous apportent leur éclairage sur un mouvement politique et un mode de vie encore mal connu.
En marge de ses activités de commerçant, Martin, quarante ans, est un amateur de ska, de metal hard core et de hip hop, musiques qu’il va de préférence écouter dans des petites salles.
Quel a été votre chemin jusqu’au véganisme ?
J’ai été végétarien en pointillés depuis mes 15 ans, principalement pour des raisons liées à la mauvaise gestion des ressources mondiales. Comme mon végétarisme n’était pas motivé par le respect des animaux non-humains, je n’avais pas de difficultés morales à faire des écarts de temps en temps. Le passage au véganisme s’est fait sur une période assez courte. Plusieurs événements se sont produits plus ou moins simultanément. D’abord j’ai rencontré quelqu’un avec qui je me suis mis en couple et c’est en parlant de mon végétarisme que je me suis rendu compte à quel point ma démarche était inaboutie. J’ai commencé à me renseigner sur les conditions de production du lait et des œufs et de fil en aiguille j’ai visionné « Earthlings » [« Terriens », Shaun Monson, 2005. Documentaire emblématique de la cause animale, narré par Joachim Phoenix ]. Ça a été ce qu’on appelle une claque. J’ai décidé de ne plus participer à l’exploitation animale sous quelque forme que ce soit, « douce » ou pas.
Que trouve-t-on spécifiquement dans un magasin végane ? Quelle différence avec une épicerie bio ordinaire ?
En fait, on trouve à peu près les mêmes produits à l’exception de ceux qui contiennent des ingrédients d’origine animale. Mais j'opère ma propre sélection. Un végane peut faire ses courses chez moi sans se donner la peine de lire les étiquettes et sans être mis face à un morceau de viande « du terroir ». Je vends à peu près tout ce qu’on s’attend à trouver dans une épicerie, mais en version végane. Du fromage, des charcuteries, des laits, tous végétaliens, du chocolat, des biscuits, des bonbons, du tofu et du seitan à toutes les sauces, des pâtisseries. Mais aussi quelques livres et des produits de soin, avec encore un petit choix de chaussures, de t-shirts et d'accessoires.
Cherchez-vous des producteurs locaux ? Y a-t-il des marques véganes belges ?
Il y a encore peu de produits véganes belges mais c'est juste une question de temps. C'est un secteur en pleine expansion. Hobbit propose une gamme de produits bio, 100% végétale et de très bonne qualité, la véganaise de Bio-Keuken est délicieuse, Vers en Veggie commercialise des plats succulents. Enfin, je travaille avec un service traiteur, N « toucour », qui prépare des plats et des pâtisseries exclusivement véganes et sans gluten.
Quel regard portez-vous sur le marché végane, en particulier, sur la part croissante que semblent vouloir y occuper les grandes enseignes et des marques pour lesquelles l’éthique n’est pas une préoccupation ?
C’est une question difficile qui, d'ailleurs, concerne aussi le bio. On peut d'un côté se réjouir que l'offre augmente et se diversifie, et de l'autre questionner les intentions et les procédés de ces grandes marques . J’essaye de favoriser un maximum les petites sociétés et les petits producteurs, et surtout, de favoriser des entreprises véganes.
Récemment, une tribune du critique gastronomique du journal Le Monde J. P. Gené a attiré notre attention. Titré Le végan (sic) ou l’art de l’ersatz, l’article dénonce le côté peu naturel et encore moins appétissant d’une alimentation qui serait par essence industrielle et de substitution : fausse viande, faux fromages, végéburgers, etc. Pensez-vous de ces accusations soient en partie fondées ?
L’auteur semble oublier que lorsqu’on devient végane, c’est avant tout par compassion et désir de justice envers les animaux non-humains. Pour ma part, j’ai encore envie de manger des pizzas, des croque-monsieur et des saucisses. L’auteur de l’article choisit de citer certains produits de qualité « moyenne ». Prenons le fromage. La marque incriminée n’est pas ce qui se fait de meilleur, mais elle a le mérite d’exister et de remplir son rôle sur une tartine de pain pour un prix abordable. Mais une offre plus raffinée existe. Par exemple, les fromages de noix de cajou fermentée. C'est plus fin, ces fromages ont un goût plus prononcé, mais l’article ne le mentionne pas.
Ensuite on parle de nourriture industrielle. Bien sûr, dans notre société une grande part de la nourriture tombe sous ce reproche, ce n’est pas propre au véganisme. Mais si on compare des saucisses véganes avec des saucisses ordinaires, les premières l’emportent largement en termes de composition et de valeur nutritionnelle.
Pour ce qui est de faire une cuisine de substitution, la raison est double pour moi. Premièrement on cherche à retrouver ses habitudes. Ensuite, les saucisses et hamburgers, c’est facile à produire et à transporter. Rien qui ne soit spécifique à la viande. Enfin, les véganes ne se nourrissent pas exclusivement de ces produits : il existe des tas d’aliments végétaux bruts qui constituent la base de l’alimentation végétale : légumineuses, céréales, noix et graines.
Comment se compose votre clientèle ?
Difficile à dire, je n’ai pas vraiment d’analyse chiffrée. Cela doit se partager entre véganes et végétariens, à quoi il faut rajouter ceux qui tentent de diminuer leur consommation de viande.
Le docteur Jérôme-Bernard Pellet, grand spécialiste de nutrition végétale, met rarement l’accent sur la condition animale lors de ses prises de parole publiques. En effet, son argument porte plus loin. Il insiste sur le fait que le véganisme va dans le sens de l’intérêt général. Qu’en pensez-vous ?
Je suis tout à fait d’accord avec le fait que le véganisme aille dans le sens de l’intérêt commun. Je pense que chacun a ses raisons et que tous les arguments (ou presque) en faveur du véganisme sont bon à prendre, qu’ils soient éthiques ou sanitaires. En fait, les arguments qui plaident pour ce mode de vie sont nombreux et s'entrecroisent. Chacun fait valoir en premier celui qui le touche le plus, et pour moi, cela reste la défense des animaux.
Propos recueillis par Catherine De Poortere
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Cet article fait partie du dossier Les véganes et l'antispécisme.
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