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L’écriture de soi, bénéfique pour notre santé, notre histoire

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Nous voyons fleurir sur le net de nombreux journaux de confinement. Ces derniers répondent à une quête de sens, de soi, et paradoxalement d’appartenance au collectif. Ils peuvent prendre différentes formes : posts, écrits, photos, vidéos, blogs, Instagram, etc. L’enfermement des corps suscite réflexion sur nous-mêmes et désir de le partager.

Sommaire

Que nous arrive-t-il ?

Tout d’abord lointains, ces mots débarquent telle une bourrasque sur le quotidien de nos existences et déferlent dans les médias. Coronavirus. Mains. Masques. Distances sociales. Tolérance zéro. Gel. Confinement. Le pays est en train de passer à l’arrêt total. Nos vies sont gelées. Pour une durée indéterminée. Notre quotidien est bouleversé, nous perdons nos repères, nos routines, nos rituels.

Nous voyons alors fleurir sur le net de nombreux journaux de confinement. Ces derniers répondent à une quête de sens, de soi, et paradoxalement d’appartenance au collectif. Ils peuvent prendre différentes formes : posts, écrits, photos, vidéos, blogs, Instagram... L’enfermement des corps suscite réflexion sur nous-mêmes et désir de le partager.

Petit retour en arrière...

Le journal intime se définit comme "l’évocation journalière ou intermittente d’événements extérieurs, d’actions, de réflexions ou de sentiments personnels et souvent intimes, donnés comme réels et se présentant comme une trame de l’existence du diariste". — Michal Braud, cité par Laurence Rosier, rtbf.be

L’histoire nous montre que l’écriture des journaux intimes est une pratique plutôt féminine réservée aux milieux aisés, l’écriture du journal faisant partie de l’éducation des jeunes bourgeoises. Il peut être tenu de façon relativement régulière, tantôt tout au long de l’existence, tantôt sur une période particulière (adolescence, voyage, maladie, guerre – Le Journal d’Anne Frank –, période d’emprisonnement...). Il évolue au fil des mentalités et des évolutions technologiques : blogs, réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram.

Virgina Woolf deux couvertures

Comme pratique ordinaire, il est en général destiné à être tenu secret. Comme pratique littéraire, il est souvent destiné à une publication. Dans son célèbre essai Une chambre à soi – récemment traduit en Un lieu à soi [A Room of One's Own, 1929] –, Virginia Woolf encourage les artistes et écrivaines à “sortir de soi” pour atteindre l’universel et la légitimité dans le champ artistique (pensons à la série des Claudine de Colette, à Simone de Beauvoir, mémorialiste de son temps, Susan Sontag, Annie Ernaux et le Journal du dehors, ou encore à Frida Kahlo.

Enfermé chez soi

En ces temps où chacun est reclus chez soi, nombreux·ses sont les écrivain·e·s et les artistes à raconter leur quotidien dans des journaux de confinement. Certains extraits publiés ont suscité pas mal de réactions négatives, notamment celui de Leïla Slimani sur le site du Journal Le Monde : « J’ai dit à mes enfants que c’était comme dans La Belle au bois dormant ». Or, tout le monde n’a pas la chance de vivre ce confinement « comme dans un joli conte de fées » dans une maison à la campagne [1]. Il suffit pour s’en convaincre de lire le journal de Diane Ducret [2] dans son deux-pièces parisien dont la vue donne sur une arrière-cour.

Cette situation nous rappelle que contempler l’horizon est un privilège de classe... Nous sommes loin de l’émerveillement devant la beauté de la nature et l’éclosion des petits bourgeons. Il est donc reproché à ces petites chenilles bien confinées dans leur cocon de tisser dans leurs journaux de confinement la trame d’un quotidien complètement déconnecté. Cette forme d’écriture, indigne, écœure parce qu’elle révèle une fracture culturelle, une inégalité sociale grossie par le microscopique virus.

Qu'en est-il en effet du journal de l’immense majorité des gens ordinaires, au statut précaire, perdue dans la fourmilière ? Ces mères célibataires qui télétravaillent toute la journée avec leurs enfants, les personnes âgées, les personnes aux revenus modestes, les sans famille, et cerise sur le gâteau, des non-confinés qui triment dans les hôpitaux, les supermarchés, les chantiers ?

Avant le confinement existait déjà une disparité bien ancrée entre les individus : il n’est pas donné à tout le monde en effet de maîtriser le langage pour parler de soi, ni de maîtriser les technologies (ou d’en posséder) pour devenir un diariste potentiel. Pour parler de soi, pour mettre en scène sa vie, il faut la vivre dignement et avoir du temps... pour s’adonner à des activités épanouissantes (lecture, sport, cuisine... ou écriture).


Pourquoi écrire ?

Mais d’où vient ce besoin soudain et urgent de narrer nos réflexions en période de confinement, nos gestes répétitifs, de mettre en scène ce soi dans un espace restreint et de le partager?

C’est dans une situation d’impuissance que l’intime devient le lieu d’une résistance réparatrice. — Benjamin Constant - cité par Pierre Pachet, "Les Baromètres de l’âme, Naissance du journal intime"

Écrire impose une fonction informative, à l’instar des journaux de guerre ou de voyage : on veut laisser une trace, un témoignage de ce moment exceptionnel. Pour pouvoir dire un jour à nos petits-enfants « Oui, j’y étais ».

Et puis, le journal nous permet d’exercer une fonction introspective, une volonté d’affirmer son identité individuelle, singulière : se raconter est un moyen d’exister, de sortir de son confinement et de transcender ses angoisses personnelles. On met des mots sur nos maux, nos émotions, dans une démarche cathartique. L’écriture de soi est bénéfique à notre santé, ça l’est d’autant plus en période troublée.

Ensuite, écrire permet, en étant chacun chez soi, de participer à une humanité commune, de créer du lien : on s’échange des recettes de cuisine, des playlists musicales ou cinématographiques, des impressions, ses humeurs du jour, ses coups de gueule... L'écriture diariste met en scène notre solitude, notre quotidien, mais en visant le collectif en vue de restaurer une sociabilité par la diffusion du journal. Elle répond à l’équation « Comment être ensemble en étant chacun dans son coin ».

Enfin, le journal de confinement renouvelle la fonction de résistance qui a toujours marqué l’histoire du genre diariste : journal de campagne, à la guerre, d’incarcération, d’hospitalisation. Cette résistance, la romancière chinoise Fang Fang, originaire de Wuhan, épicentre du Covid-19, la décrit très bien dans son journal, initié en janvier 2020. Elle y raconte la peur, la colère et l’espoir des 11 millions d’habitants de la ville : hôpitaux saturés qui refusent des malades, décès de proches, entraide des habitants... ou simple joie de voir entrer un rayon de soleil dans sa chambre. Cette chronique subjective sera suivie par des millions de Chinois qui y trouvent une autre version des faits que celle décrite par les autorités dans un pays où les médias sont très contrôlés [3].

Reconnexion à soi et… fracture sociale et numérique

En conclusion, à la fois intimistes et collectifs, les journaux de confinement permettent de nous reconnecter à nous-mêmes et de tisser des liens avec le collectif qui nous entoure. Mais nous ne sommes pas tous armés de la même façon lorsqu’il s’agit d’écrire ou de témoigner, et cette impression de vivre ensemble n’efface pas la fracture numérique et sociale.

Si vous êtes publié, le fruit de votre récolte sera connu. Or un historien aura autant besoin de documents officiels que d’initiatives personnelles sur différents supports pour enraciner le déroulement des faits a posteriori. Alors n’hésitez pas à écrire, selon vos talents propres, semez... Il s’agira toujours d’un vecteur de témoignages privilégiés, d’un acte de soin ou de résistance qui changera sans aucun doute votre rapport au monde et aux autres.

Exemples de journaux de confinement 2020

Ces journaux, ces récits de soi qui permettent de sortir de son confinement subjectif se manifestent à travers l’art, les médias, ou toute autre forme de développement personnel. Les réseaux sociaux leur offrent un terreau fertile pour faire émerger les différentes initiatives qui agissent sur nous de façon réconfortante. On s’y retrouve comme dans une bulle où l’on vit avec ses semblables.

En audio

Confinement vôtre (France Culture) : des comédiens, humoristes, auteurs et sportifs prennent la parole pour raconter leur confinement et leur vision du monde qui évolue avec cette crise.

Radiographies du coronavirus (France Culture) : avancées scientifiques.

Paroles de soignant·e·s (France Inter)

Journal transnational & sonore par temps de corona (Caroline Gillet, France Inter) : rassemble des sons de ce que les confinés observent et ressentent partout dans le monde (manque d’espace, comment occuper les enfants...).

Pépites « feel good » pour mieux le vivre : medley de toutes les musiques de confinement, parodies de journaux de confinement...

Journal de confinement (Wouajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline à Paris) : belle voix, propos intéressants, replace les événements dans un contexte historique et collectif.

Les Pieds sur Terre : Journaux de non-confinement d’une caissière et d’un livreur : V. travaille en tant que livreur pour Deliveroo : « Il y a au moins 10 zones de contacts dans un immeuble pour un livreur. Je fais descendre le client en bas de l’immeuble pour éviter tout contact avec les parties communes ». Aujourd’hui, je devais livrer une pizza. Le client m’a demandé si « je n’utilisais pas le corona comme excuse à ma fainéantise ».


En photo

Instagram permet de collecter des clichés/albums photos virtuels qui sont autant de témoignages de la vie quotidienne en confinement (ex : photos de villes désertes).

- challenges art : on s’amuse à reproduire des tableaux célèbres

En vidéo

C’est un moyen pour les confinés de se raconter : sur YouTube et sur Instagram, les “coronavlogs” se multiplient, pas toujours issus de célébrités ou d’influenceurs.

Facebook : Guihome, Véronique Gallo.

Tik tok, outils d’expression sans filtre (s’adresse plutôt aux enfants et aux jeunes ados).

Manu Bollen
image de bannière : Kelly Sikkema, Unsplash



[1] https://diacritik.com/2020/03/19/le-journal-de-confinement-de-leila-slimani-est-un-conte-cruel/

[2] https://www.marianne.net/debattons/billets/journal-du-confinement-la-vie-un-peu-trop-rose-de-leila-slimani

[3] « Wuhan, ville close. Journal ». Éditions Stock (Traduite en plusieurs langues, sa chronique dérange : la romancière sera accusée de trahison).


Plusieurs journaux filmés existent dans nos collections PointCulture, voir ici la playlist établie par notre collègue Marc Roesems :

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