Les chansons curieuses et exigeantes du label Le Saule
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Léonore Boulanger, Jean-Daniel Botta, Philippe Crab, June et Jim, Antoine Loyer et Aurélien Merle semblent avoir mis leurs antennes les unes dans les autres, cherchant à défricher un même chemin tout en gardant chacun leur personnalité, leur manière de malaxer les mots, d’habiller leurs chansons.
Ce chemin-là n’est pas nouveau. Brigitte Fontaine et Areski ont été les premiers à l’emprunter durant la période où ils se permettaient toutes les audaces, de « Comme à la radio » (1969) à « Vous et nous » (1978). Les Sauliens ont repris ces sentiers trop peu battus à leur goût et s’y aventurent chaque fois un peu plus loin. Côté paroles, comme Brigitte a pu le faire à l’époque, ils se détachent volontiers d’une métrique stricte et d’une logique narrative, donnant naissance à une sorte de « poésie chantée libérée ». Ensuite, il y a l’omniprésence de guitares acoustiques qui se nourrissent des musiques du monde (Areski, souvenez-vous, jouait de sa guitare comme on joue du oud). Et ce besoin de flirter avec les harmonies jazz (cfr. « Comme à la radio ») et des modes de musiques ethniques savantes (africaines, iraniennes, indiennes, latino-américaines, …).
Il fut un temps où les artistes du Saule qualifiaient leurs chansons de chansons modernes. Heureusement, ils ne le font plus. En effet, on ne peut pas dire de leur démarche qui trouve ses racines dans les années 70, dans les travaux du duo Fontaine/Areski, de Dick Annegarn ou encore d’Albert Marcœur, qu’elle soit vraiment nouvelle. Ni dans l’emballage musical, ni dans les audaces des paroles. Non, je pense qu’il est plus juste de parler d’une reprise d’un flambeau qui risquait de s’éteindre. Un flambeau qui symbolisait l’envie de sortir la chanson de la chanson, de transgresser les règles du genre pour créer une chanson audacieuse qui s’écoute comme on écoute certaines expérimentations jazz, certaines musiques du monde complexes ou encore certaines expériences en musique classique contemporaine. En cela, les Sauliens sont de véritables chevaliers dévoués et inspirés. Ils n’ont rien à envier à leurs maîtres.
Petite réflexion au passage. De nombreux artistes sont gênés par les étiquettes « chanson » et « poésie ». C’est que de nos jours, on fait rimer ces mots avec « ringard » et « poussière ». Ou pire, on réduit carrément la chanson francophone aux formats paresseux de la variétoche. Il suffit de se pencher sur le répertoire d’artistes populaires comme Ferré et Nougaro, par exemple, (qui se foutaient royalement des étiquettes !) pour se rendre compte qu’ils ont maintes fois cherché eux-aussi à sortir la chanson de la chanson, s’éloignant de plus en plus du « couplets/refrain » de la chanson classique. Bien sûr, ces chansons-fleuves, ces poèmes chantés et ces chansons libres ne sont connus (et diablement appréciés !) que par les mordus, le gros du public ne cherchant pas plus loin que leurs succès commerciaux. Et quand bien-même, pourquoi n’y aurait-il pas une place pour une chanson exigeante, curieuse et cultivée ?
Alors, je vous invite à vous asseoir sur la branche où poussent les fleurs raffinées des artistes du Saule, le temps qu’il faut pour y goûter pleinement. Et puis, surtout, ne vous limitez pas à cette branche-là. Allez papillonner d’autres fleurs du Grand Arbre des chansons curieuses et exigeantes pour découvrir d’autres manières de faire d’artistes actuels comme Élise Caron, Babx, Bertrand Belin, Mathieu Boogaerts, JP Nataf, ou encore André Minvielle.
Guillaume Duthoit