Les cocktails du Bar Botèye : cueillette sauvage, produits locaux et durabilité
Depuis quelques années, la protection de l’environnement et la durabilité ont pris une place centrale dans nos préoccupations, tendance qui a aussi touché le secteur des restaurants et des bars. Le monde du cocktail a été plus lent que celui de la gastronomie à suivre cette voie, à cause du poids des grandes marques, de la facilité d’obtenir des ingrédients exotiques, des recettes fixées par l’histoire... Inspirés par les restaurants, certains barmans ont choisi de suivre les saisons, d’utiliser des ingrédients locaux ou encore de ressusciter des recettes anciennes qui incorporent des liqueurs ou eaux-de-vie du terroir. En Belgique, on peut citer Botanicals by Alphonse à Namur, Bar Ran à Bruges et Jigger’s à Gand.
Un des bars qui pousse la réflexion le plus loin est sans aucun doute le Bar Botèye (en liégeois, bouteille, flacon), à Spa. Créé par Cédric Lansival et Laëtitia Bogais, il a ouvert ses portes depuis quelques mois. A l’origine, les deux créateurs cherchaient un lieu à Bruxelles ou Liège, mais c’est la proximité de la nature et de maraîchers travaillant en circuit court et guidés par une dynamique de changement qui les a menés à Spa. En effet, dès le départ, ils voulaient créer des cocktails qui tiendraient compte des saisons et des ingrédients disponibles, la recette partant du produit et non l’inverse. Par conséquent, la carte est fort différente d’un bar classique. Elle change très régulièrement : certains cocktails sont disponibles pendant deux semaines, d’autres pendant un temps un peu plus long. Cet été, par exemple, la menthe a été de première qualité pendant cinq semaines tandis que le maïs ne l’a été que durant deux semaines. Certains produits viennent de plus loin : beaucoup de cocktails utilisent du citron pour amener de l’acidité, et le verjus, quoique très adapté, n’apporte pas toujours ce goût particulier. Cédric et Laëtitia travaillent donc avec un fournisseur de la région de Valence en Espagne, qui leur livre en direct des caisses de citrons et limes quand ils sont en saison. Même si la distance est plus grande, le circuit entre producteur et consommateur est court et sans intermédiaires.
Ces produits cultivés sont complétés par ce qu’apporte la nature ; Cédric et Laëtitia sont de grands adeptes de la cueillette sauvage, une tradition qui s’est perdue au fil du temps. Elle nécessite une bonne connaissance des plantes et Laëtitia s’est formée en herboristerie. Les ingrédients varient au fil des saisons : le lierre terrestre, un peu mentholé, et les fleurs de pissenlit en mars-avril, les fleurs de sureau en mai-juin, la reine des prés au goût d’amande, les menthes aquatiques et les jeunes pousses de tanaisie en juillet, les fruits de berce, les baies de sureau, les mûres en août-septembre, et enfin les prunelles, l’argousier, le cynorhodon en octobre-novembre. L’hiver est la saison la plus pauvre en produits frais, mais c’est l’occasion d’utiliser tout ce qui a été transformé par fermentation, déshydratation et macération et conservé par le sucre, le sel ou le vinaigre. Un grand bocal de liqueur de kumquats par exemple attend les prochaines créations de Cédric.
Dans le choix des alcools, Cédric et Laëtitia préconisent également les circuits courts et une fabrication artisanale ; il est primordial pour eux de connaître tout le processus de la terre à la bouteille. Ils se fournissent auprès de producteurs belges qui peuvent confirmer l’origine des produits (De Cort basé à Pepingen et l’Atelier Constant-Berger de Herve qui se bat pour revaloriser les vergers locaux) mais aussi auprès de viticulteurs français. Ils achètent en vrac, en grande quantité, quand c’est possible. C’est l’occasion de travailler avec des alcools oubliés, des eaux-de-vie dont la tradition s’est presque perdue mais que les anciens connaissent encore, ou de préparer eux-mêmes leurs vermouths. Ce circuit court ne les empêche cependant pas de travailler avec des alcools d’origine plus lointaine : le mezcal vient du Mexique mais le couple choisit des productions artisanales qu’il est possible de tracer jusqu’au village où les agaves ont été cultivées, fermentées et distillées. Un de leurs futurs de projets est de distiller eux-mêmes leur alcool et ils ont acquis un alambic à repasse qui leur permettra de produire des alcools à Spa. C’est aussi un moyen de préserver un savoir-faire qui se perd à une époque où tout est mécanisé.
Les menus changeants et les cocktails aux produits mystérieux décontenancent parfois les clients mais Cédric et Laëtitia n’hésitent pas à expliquer leurs recettes et leur démarche. Celle-ci cadre tout à fait dans une optique plus respectueuse pour l’environnement, privilégiant les circuits courts, le zéro déchet et les produits saisonniers. Dans le monde du cocktail, tout peut changer aussi !
La recette du cocktail TOUT PEUT CHANGER
SHRUB DE POMMES
Râper 4 pommes bien mûres en écartant la queue et le trognon. Mettre dans un bocal et ajouter 300g de sucre de canne et 300g de vinaigre de cidre (idéalement bio et non pasteurisé). Laisser reposer 24 à 48 heures en remuant de temps en temps.
Variantes : n'hésitez pas à l'agrémenter d'épices, de thé ou de plantes, selon vos goûts et vos envies.
Filtrer au torchon. Le shrub se conserve comme un sirop.
LE COCKTAIL
Verser dans un verre type long drink, rempli de glaçons :
- 4cl d'eau-de-vie de Poire Williams
- 2cl de shrub de pommes
- 1cl de verjus (*facultatif - le verjus se trouve en épicerie bio spécialisée et apporte une acidité supplémentaire au cocktail)
Compléter le verre avec une bulle, de type brut ou extra brut (non sucré), comme un crémant ou un pétillant naturel de Loire par exemple : le chenin est un cépage merveilleux !
Variante pour une version plus légère et moins alcoolisée, le cocktail peut être complété à l'eau pétillante (à la place de la bulle de chenin).
Merci à Cédric Lansival et Laëtitia Bogais d’avoir partagé leur expérience lors d’une rencontre en novembre 2021.
Anne-Sophie De Sutter
Crédits photos : Laëtitia Bogais
Bar Botèye, Place Pierre Legrand 2, 4900 Spa