Les dessins brodés d’Aurélie William Levaux
Aurélie m’a donné rendez-vous chez elle. En
montant l’escalier qui mène au dernier étage d’une maison liégeoise, j’entends
une voix, teintée d’un léger accent, qui m’encourage à gravir les dernières
marches. Arrivée en haut, je suis accueillie chaleureusement par une jeune
femme blonde au large sourire. Preuve que l'hospitalité liégeoise n'est pas qu'une légende.
Le loft dans lequel je me trouve est spacieux, coloré et plein de beaux objets. L’endroit a du cachet, tout comme mon interlocutrice d’ailleurs. Après avoir échangé quelques mots, nous nous installons dans la cuisine autour d’une tasse de café. Sur le plan de travail, Aurélie a rassemblé une dizaine de publications qu’elle a réalisées. Je les feuillète sans trop oser m’attarder.
Aurélie est pleine de fraîcheur, sa spontanéité et son sens de l’humour sont des figures de style qui réapparaissent franchement dans ses dessins et dans son écriture. Dois-je m'en étonner ? Ce qui surgit au travers de notre créativité n’est-il justement pas l’essence de ce que nous sommes tout simplement ?
Depuis toute petite, Aurélie écrit et dessine. C’est sa façon d’extérioriser les histoires qu’elle se raconte. C’est en quelque sorte un leitmotiv dans son œuvre ; traduire le fil de ses pensées sous différentes formes (mots et images), les faire cohabiter et dialoguer. Deux pensées donc, qui ont besoin l’une de l’autre pour exister en toute justesse.
C’est un travail très majoritairement autobiographique. Dans ses dessins, ce sont pour la plupart des femmes qu’elle met en scène. Féministe, Aurélie semble l’être. Son parcours le lui a peut-être imposé ? Illustratrice de formation, elle n’a pu s’empêcher de faire ce constat : le milieu de la bande dessinée est finalement très masculin… Les quelques femmes qui se lancent à l’époque ont bien du mal à obtenir un peu de visibilité. Si elles l’obtiennent, c’est probablement parce qu’elles réussissent à développer un style à part entière qui a tendance à se détacher de celui qui appartient à la BD mainstream. C’est d’ailleurs précisément ce que fait Aurélie en créant des dessins sur tissu pour ses premiers fanzines. La moindre rature est fatale pour le dessin. La dessinatrice trouve alors une solution, sur les taches qu’elle a malencontreusement pu faire, elle pose un petit morceau de tissu qu’elle coud. Son style, déjà bien affirmé, se renforce. En mariant la broderie au dessin, elle féminise sa pratique, un peu par hasard ! Il faut dire que ce dernier occupe une place de choix dans sa démarche artistique. Aurélie est souvent décousue, pour chaque projet elle réinvente sa manière de procéder mais toujours avec ce même besoin compulsif de tout garder, de tout répertorier…
Loin de l’image de la femme délicate, son style d’écriture est plutôt familier. On le remarque notamment dans sa dernière publication, co-écrite avec son frère Christophe Levaux. Dans Le tas de pierres, on en apprend davantage sur l’enfance de la fratrie Levaux, sur la personnalité d’Aurélie encore gamine, crédule, soumise à une morale chrétienne restrictive qui la confine dans un statut duquel elle semble s’être délivrée à présent. Cet héritage chrétien, on le retrouve à peu près partout dans son œuvre, il est son référentiel d’images dans lequel elle puise presque inconsciemment, sans cesse.“ Il y a une humanité et une détresse particulière ici (à Liège) que je trouve chouette. J’essaye de la raconter d’une autre manière…La misère n’est pas que triste, il y a aussi des perles de conneries et de joie dans leur (les liégeois) façon de vivre, c’est ça le côté charmant de la ville — ”
Lorsque Aurélie parle de Liège, c’est avec un mélange d’amertume et malgré tout d’attachement. La reconnaissance, elle l’a eue d’abord en dehors de sa ville. À présent, même si elle y a fait ses preuves, l’artiste reste discrète. De manière générale, Aurélie est citadine, elle aime la ville, sentir les gens autour d’elle et le fait de pouvoir se balader en rue incognito. Indéniablement, Liège a un impact sur son travail puisque l’artiste crée à partir de ce qu’elle vit et voit au quotidien. D’ailleurs, c’est souvent à l’extérieur, en se promenant dans Liège, en se posant à une terrasse et en écoutant les conversations qu’elle commence à écrire.
« Il y a une richesse à Liège. C’est une ville de toxicomanes et d’alcooliques. (…) Il y a un bon terreau de misère. Ça j’aime bien, le peuple de « barakis » comme ils disent ici. C’est touchant et ça n’existe pas ailleurs (à Charleroi peut-être). C’est à ces gens que j’essaye de me connecter pour être bien dans le bain. En écoutant, en étant parmi eux. J’écris ».
Finalement, à l’image de ce dessin sur tissu de forêt tropicale aux airs de jardin d’Eden, accompagné des mots « Liège/Luik », l’on perçoit le côté aigre-doux qui transparaît dans le rapport à sa ville et qui, semblerait-il, est également le sceau qu’Aurélie appose partout dans sa pratique, tant plastique que scripturale.
Alicia Hernandez-Dispaux
Cet article fait partie du dossier Liège.
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