Les Éditions Dupuis à Marcinelle
Un groom dans la
ville !
Depuis l’imprimerie fondée par Jean Dupuis en 1922 à
son statut d’éditeur majeur, reconnu autant pour son emblématique porte-drapeau
hebdomadaire (le Journal de Spirou), que pour son catalogue d’albums, appréciés
des plus petits comme des plus grands. Dupuis fête les 80
ans de son journal, et semble plus que jamais avoir parti lié avec sa région
d’origine ! Si bien qu’aujourd’hui filiale à part entière d’un groupe d’édition
d’envergure internationale, le site Dupuis de Marcinelle abrite désormais un
pôle audiovisuel et un centre de développement transmédia.
L’empreinte Spirou !
- PointCulture : Quels sont les pôles d’activités de Dupuis Charleroi en 2018 ?
Julien Papelier : Une centaine de personnes travaille en permanence à Marcinelle, mais ce chiffre peut monter à 200 ou 250 selon l’importance des projets en cours. On trouve toutes les activités liées à la bande dessinée proprement dite, mais aussi Belvision qui s’occupe d’animation et possède ses propres studios (DreamWall) sur place. Enfin, il y a KeyWall, une entreprise de distribution. Des sociétés qui nous permettent d’être présents à la fois dans l’édition et l’audiovisuel. Dans le « tube » des réalisations à venir, on peut citer Boule et Bill, Yakari et Vic le Viking…
- L’empreinte de Spirou est manifeste dans l’espace public avec la présence de statues du Marsupilami et de Lucky Luke à des points névralgiques de Charleroi. Et puis l’équipe de basket joue au Spiroudome et ses joueurs son surnommés les Spirou ?
- On garde des contacts amicaux avec les Spirou même si nous ne sommes plus les sponsors. La présence de Dupuis dans la ville est essentielle à nos yeux. On compte déjà quatre statues dans la cité mais on est dans une phase finale d’implantation de quatre nouvelles dans le centre-ville : un Gaston Lagaffe, un Marsupilami new-look construit dans des matériaux plus résistants, un nouveau Spirou et un nouveau Lucky Luke. Elles accompagnent les très nombreux projets urbanistiques actuels qui participent de la rénovation de Charleroi. On travaille sur de gros évènements en concertation avec la Ville pour faire vivre la BD au quotidien. On va faire la fête à Gaston, dont le film sort ces jours-ci, et fédérer un large public autour d’animations, de rencontres, d’expos et de projections.
- Dupuis
pourrait exister en dehors de Charleroi ?
- Dupuis a déjà connu une existence en dehors de Charleroi au moment où la rédaction du Journal de Spirou était basée à Bruxelles. Mais Charleroi est inscrite dans le code génétique de la maison. On ressent aussi une certaine fierté chez les habitants et les pouvoirs publics à l’égard de Dupuis. La mise sur pied du projet DreamWall en est un bon exemple.
Projets multiples et multimédias
- Pouvez-vous nous dire quelques
mots sur le projet R/O ?
- R/O est un pôle de créativité mais aussi un pôle technologique et d’exploitation des licences. Un incubateur de projets narratifs de créations d’univers qui pourront être déclinés sous forme de jeux vidéo, de BD, de musique, d'animation. C’est un espace expérimental et une pépinière de jeunes artistes en résidence, accompagnée d’une recherche technologique de manière à faire exister ces univers en images le plus rapidement possible. Le fruit d’un partenariat public/privé entre Wallimage, le groupe Media Participations, la RTBF, et Pias.
- Quelle est l’implication
de Dupuis dans Europe-comics ?
- C’est une association d’éditeurs européens qui vise à développer la BD franco-belge en dehors des frontières et notamment dans le monde anglo-saxon. La principale différence entre la BD européenne et le manga est que ce dernier s’exporte beaucoup mieux. Le manga représente 40% du marché de la BD en France.
- Un
mot sur les adaptations cinéma des personnages Dupuis. Comment se négocie le
passage de l’album au grand écran ?
- On est dans une trahison nécessaire à partir du
moment où on transpose un univers vers
un autre médium qui ne ressort pas de notre métier de base. En général, on travaille main dans la main avec les producteurs car nous avons tous le même intérêt, celui de la qualité. C'est une formidable occasion de recruter de nouveaux lecteurs. Après, c’est une sorte de communauté d’intérêts mutuels entre le respect de l’intention d’un
auteur et d’une œuvre et la volonté d’aller chercher un nouveau public. On
s’expose à des critiques très vives de la part de vieux fans mais si dix nouveaux bambins rencontrent le personnage grâce au film, c'est mission accomplie. Le
cinéma peut apporter un nouveau regard sur une œuvre de papier qui elle ne changera
plus ! Rien qu’en deux ans, on a eu Tamara,
Zombillénium, Seuls, Spirou & Petit Spirou, Gaston et
tout prochainement, Tamara 2.
Dupuis, Spirou & Cie
- Vous
êtes à plus de 4100 numéros du journal hebdomadaire de Spirou. Le cap des 5000
se profile déjà à l’horizon...
- On espère bien arriver au numéro 10000, même si on ne sait pas à quoi il va ressembler ! Sur un marché de la presse difficile, on arrive à maintenir nos volumes de vente avec une érosion faible. Mais on doit penser à transmettre nos histoires à une génération qui a grandi avec un smartphone. On continue à publier un journal papier qui peut être lu à différents niveaux. Mais on s’oriente vers un format numérique de type webtoon (forme éditoriale originaire de Corée), avec des histoires qui se lisent de haut en bas.
- Dupuis
a toujours publié des histoires qui s’adressent aux grands et aux petits, et le
fait avec un sens de l’humour très développé. C’est votre marque de fabrique ?
- Nos auteurs ont à cœur de rendre ce monde un peu plus drôle et il existe autour de Spirou une vraie communauté de lecteurs. Le danger aujourd’hui, c’est de ne plus parler aux enfants. On est arrivé après trente ans de création par des génies absolus, puis vingt années où il suffisait d’accompagner ce mouvement (littérature graphique etc.). Le danger à terme, c’est le vieillissement du marché de la BD et une offre qui ne s’adresse plus aux nouvelles générations, ou qui ne puisse plus s’exporter. En 2018, on vend 55% de nouveautés et 35% de fond de catalogue. Largo Winch est la série phare de Dupuis en termes de ventes, suivie de Seuls, des Nombrils ou encore Dad…
- On retrouve cette volonté d’aller chercher de nouveaux publics - en utilisant des
codes BD éloignés de l’école franco-belge - dans la série Télémaque qui tient du Manga, de l’imaginaire
fantastique et mythologique ?
- Cette histoire a été écrite il y a 35 ans mais avec un dessinateur qui utilise des codes graphiques qu’on rencontre dans les mangas ou chez Marvel. La BD est aujourd’hui un média à part entière. Elle est sortie du genre (action, humour, etc. ) et est capable de rendre compte de tout, de se faire témoignage, reportage, etc. On voit à travers ces dernières tendances, une envie de la part des auteurs de montrer un vrai point de vue sur le monde. À l’exemple du personnage de Spirou qui est passé d’une seule veine discontinue de Spirou à une réinterprétation simultanée de plusieurs auteurs auxquels on laisse le temps de s’emparer du personnage, avec un certain nombre de codes et contraintes, bien sûr.
- Un
mot sur le supplément spécial Groom Magazine ?
- Groom est né d’un élan « après Charlie ». On avait fait un supplément spécial Charlie après les attentats de Charlie Hebdo pour lequel on avait reçu pas mal de courriers. On a voulu poursuivre l’expérience en essayant d’apporter un regard d’auteurs de BD sur l’actualité.
- Intégrés
au sein de Media Participations, vous ne craignez pas à terme une
restructuration /concentration au sein
des éditeurs ?
- Non, s’il y a
bien une chose à laquelle tient Média Participations, c’est l’autonomie des maisons
et le respect d’une concurrence interne !
à Marcinelle le 28 mars 2018
Cet article fait partie du dossier Charleroi.
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