Les fins du monde au cinéma : la place des émotions
Sommaire
La fin du monde au cinéma
Le cinéma à bien identifié une série de causes qui pourraient anéantir notre civilisation, voire l'humanité. Celles-ci sont parfois environnementales (Deluge, The Day After Tomorrow dans une moindre mesure), occasionnellement bibliques (Knowing) mais surtout d'origine anthropique : guerre (Equilibrium), énergie nucléaire (The Omega Man), épidémies (Twelve Monkeys, The Night of the Living Dead), intelligence artificielle sous différentes formes (Terminator, Numéro 9), pollutions diverses (Dreams, Les Derniers jours du monde), ainsi qu’un recours désastreux aux solutions technologiques (Taxandria, Snowpiercer). Souvent ces motifs sont annoncés dès le début du film, dans les premières minutes, le propos du film étant plutôt focalisé sur le monde d'après. La cause de l’effondrement apparaît comme un point de bascule, un événement assez brutal et limité dans le temps.
Le cinéma s'est plus largement attardé sur l'après catastrophe. Il fournit une longue liste de films dits « post-apocalyptiques » où règnent la violence et la précarité matérielle. Ce qui est captivant ici, c'est de remarquer certaines constantes dans les présupposés : l'humain est fondamentalement égoïste et compétiteur (Mad Max, In Time) ; nous avançons sur une ligne, sans la possibilité de poursuivre notre trajectoire fondée sur le développement technologique, nous nous effondrerons (L'Arbre, le maire et la médiathèque) ; les groupes qui survivent dans le confort le font grâce à d’extrêmes inégalités sociales (Downsizing, Elysium).
La place des émotions
On peut aussi s'intéresser à certains points plus particuliers, comme la place des enfants (Snowpiercer) ou des femmes (Deluge), le sort des personnes racisées (The World, the Flesh and the Devil), l’attachement au livre (The Time Machine), la critique du progrès (Things to Come) ou encore la place des émotions. Plusieurs films montrent en effet comment les survivants manquent cruellement d'outils et d'espaces pour que la parole émerge, pour pouvoir « se raconter » et pour que les émotions soient accueillies. Dans Malevil, les survivants se meuvent à pas lourds au cœur des ruines de leur village. Un silence épais et une poussière dense les entoure continuellement et ralentit leurs déplacements, leur pensée. Autour d'un feu, un soir, l'un deux propose : « On pourrait peut-être se reparler »... (silence)... « Je vais couper du bois. » puis ils se dispersent, toujours sans un mot. Dans Le Temps du loup, les survivants limitent eux aussi leurs échanges aux préoccupations matérielles (s'abriter, se nourrir, recueillir des informations). Pourtant, en permanence, les besoins sociaux et affectifs se font sentir. Quelqu'un sait jouer de la guitare et aussitôt la musique rapproche et réconforte les rescapés. Plus tard, un petit garçon, nu et figé devant un gigantesque feu, semble prêt à mourir. Il est sauvé par un homme qui, le prenant dans ses bras, lui permet de pleurer. Sa sœur aînée, quant à elle, écrit à son père mort : « Cher papa, maintenant que j'ai trouvé du papier et un crayon, il faut que je t’écrive. Il se passe tant de choses et il n'y a personne à qui parler ». Elle vit pourtant au sein d'un petit groupe et a à ses côtés son frère et sa mère. S’exprimer, donner du sens, trouver les mots, font partie d'un processus que l’humain peine à accomplir.
Raisonner ou ressentir
Le cinéma met par ailleurs en exergue notre idéal d'un humain du futur qui est débarrassé de ses émotions. Celles-ci sont considérées comme dangereuses, s'opposant au raisonnement, voire au progrès, ou tout simplement inutiles. Dans Equilibrium, elles sont neutralisées grâce à une pilule. Dans THX 1138, des inhibiteurs de libido et autres drogues permettent de les gérer. Dans Alphaville, des hommes sont condamnés à mort pour avoir exprimé leurs émotions tandis que dans 1984, on aspire à la pensée automatisée.
L'humain idéal du futur est essentiellement cérébral, presque sans corps (La Jetée). Ou alors le corps est envisagé comme une machine à entretenir. L'humain est programmé, ses performances sont améliorées et mises au service de l’industrie ou de l’ordre établi dans une société automatisée et régie par des lois rigides, des calculs et des algorithmes (Metropolis, Robocop, Gattaca, Alphaville).
L’imaginaire cinématographique du futur est par ailleurs hanté par le fantasme d'une hybridation avec la machine qui permettrait d'augmenter les capacités de calculs et d’optimiser la prise de décision en limitant les erreurs dues au parasitage du raisonnement par les émotions. Le cinéma alerte dans le même temps sur les dangers de telles aspirations. Aussi cherche-t-il à tester une bonne combinaison de deux facteurs qui restent mis en opposition : la raison et les émotions. Il imagine des robots capables d'éprouver des sentiments (Real Human, Chappie). On tâtonne donc toujours sur la place qu'il faut accorder aux émotions.
On les place du côté du féminin, de l’irrationnel, du danger. On les oppose au progrès. L’intelligence reste calculs et efficacité. Pourtant, le cinéma, bien que témoin de ces représentations, nous enjoint parfois à leur reconnaitre un vrai rôle, de vraies vertus.
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Le travail du secteur de l’éducation à l'environnement sur le sujet
L'Institut d'éco-pédagogie, le Réseau IDée et PointCulture vous proposent une série d'interviews sur le rôle des émotions et leur place dans les pratiques éducatives ici
Le dernier numéro du magazine Symbiose, réalisé par le Réseau IDée, est consacré au traitement du thème de l'éffondrement dans une optique pédagogique : ici
Le réseau Idée s'était auparavant penché sur la place des émotions dans les pratiques d’éducation à l'environnement dans un numéro de son magazine Symbiose, consultable ici